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Ça c'est du courage !
Un an après la mort d’Alexeï Navalny: à Moscou, un hommage malgré le froid et la peur
Des milliers de personnes sont venues se recueillir sur la tombe de l’opposant russe, ce dimanche 16 février à Moscou. Ses soutiens sont toujours poursuivis par les autorités.
Il fait -11°C ce dimanche matin à Moscou. Emmitouflées de la tête aux pieds, des centaines de personnes ont afflué vers le cimetière de Borissovo, au sud-est de la capitale, pour honorer la mémoire d’Alexeï Navalny, mort il y a un an, le 16 février 2024, dans une colonie pénitentiaire au-delà du cercle polaire. Sous une neige fine, le monceau de fleurs sur la tombe grandit à vue d’œil. Dans la foule : sa mère Lyudmila Navalnaïa, la mère de son épouse Ioulia, le père de l’opposant Ilya Iachine, des journalistes et des gens ordinaires. Ceux qui n’ont pas peur de se trouver aujourd’hui dans le petit cimetière de la banlieue de Moscou. Il n’y a pas encore de monument sur la tombe, seulement une croix en bois et un grand portrait de l’opposant, si reconnaissable avec son regard rieur.
Depuis un an, des gens sont venus chaque jour se recueillir sur la tombe de l’homme politique. Les circonstances de la mort du principal détracteur de Vladimir Poutine, devenu, derrière les barreaux, l’incarnation de la résistance et de l’espoir d’un autre destin pour la Russie, ne sont toujours pas claires. Son entourage accuse ouvertement Vladimir Poutine, des enquêtes indépendantes en cours indiquent un assassinat. Les autorités, de leur côté, ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour empêcher les citoyens de préserver la mémoire d’Alexeï Navalny, punissant sévèrement les personnes associées à l’homme politique et à sa Fondation anticorruption (FBK), déclarée comme «extrémiste» et dont les activités ont été interdites en Russie depuis 2021.
«
Le nom et le prénom Alexeï Navalny, ainsi que son image, sont perçus dans la société comme un attribut des organisations dont il a été le fondateur, le chef et le dirigeant de son vivant, et qui sont reconnues comme extrémistes […] et dont les activités sont interdites.»
La citation est tirée de la décision du tribunal du district Petrogradsky de Saint-Pétersbourg, qui a condamné un habitant de la ville à trois amendes pour avoir accroché des photos de Navalny sur un monument aux victimes des répressions politiques de l’époque soviétique. Après la mort de l’opposant, les forces de l’ordre ont commencé à surveiller de près tous les Russes qui mentionnaient son nom sur les réseaux ou qui apportaient des fleurs lors des cérémonies d’hommage spontanées.
Selon les calculs du média indépendant en ligne Verstka, en 2024, au moins 57 affaires ont été portées devant les tribunaux pour de telles accusations : 20 personnes ont fait l’objet d’une arrestation administrative et 25 ont été condamnées à une amende.
Avocats arrêtés
Des personnes très différentes, venues des quatre coins de la Russie, tombent sous le coup de la répression. Ainsi Olga Klounina, enquêtrice du comité d’enquête de Vologda, a été licenciée pour avoir publié sur les réseaux, le 24 février 2024 «Rendez le corps à sa mère», alors que les autorités tergiversaient. Le tribunal a estimé que ses actions avaient conduit à «discréditer les activités du comité d’enquête de Russie et à saper son autorité dans la société». Mère célibataire au parcours sans tache, Klounina a été réintégrée mais l’accusation de «diffamation» n’a pas été abandonnée.
Quelques mois avant la mort de Navalny, trois de ses avocats ont été arrêtés pour activités extrémistes. Il s’est avéré par la suite que les réunions confidentielles avec leur client dans la colonie avaient été filmées. Ils ont été condamnés pour avoir transmis au public les textes «extrémistes» de Navalny. «Nous sommes jugés pour avoir transmis les idées de Navalny, par exemple sur l’augmentation des prix des denrées alimentaires. L’agent interrogé par le tribunal a déclaré qu’il considérait personnellement cette pensée comme extrémiste et criminelle», a dit Vadim Kobzev, l’un des trois, lors de sa dernière prise de parole au tribunal en décembre 2024. Ils ont été condamnés à des peines réelles (de trois ans et demi à cinq ans et demi de prison). L’avocate Olga Mikhailova, qui a eu la chance de partir en vacances à l’étranger deux jours avant l’arrestation de ses collègues, sera condamnée par contumace. Elle a expliqué à Libération qu’elle était accusée d’avoir publié les propos de Navalny selon lesquels «il est lentement empoisonné» en prison. A Moscou, se poursuit le procès de trois journalistes accusés d’avoir collaboré avec FBK. Parmi eux, Antonina Favorskaïa, qui avait accompagné la mère de Navalny dans la colonie pour récupérer sa dépouille.
Un prêtre interdit d’officier
Même pour les sommes les plus modestes, une véritable chasse a été lancée aux donateurs de FBK, qui se retrouvent condamnés à des amendes et à des peines de prison (29 cas connus à ce jour). Un chirurgien vasculaire moscovite renommé, Ivan Tishchenko, 47 ans, a écopé de quatre ans de prison pour «financement d’activités extrémistes». Il a avoué avoir oublié d’interrompre ses virements à la Fondation quand celle-ci a été reconnue comme «organisation extrémiste», en 2021. Désormais, tous ceux qui ont fait des dons à FBK entre août 2021 et février 2022 sont menacés de poursuites judiciaires. Selon les forces de l’ordre, cela pourrait concerner au moins 8000 personnes.
Dimanche, dans les allées du cimetière de Borissovo, la police est restée discrète et n’a pas interrompu la panikhide (service mémoriel), célébrée par le courageux père Dmitry. Interdit d’officier pendant trois ans pour être venu prier sur la tombe d’Alexeï Navalny 40 jours après sa mort, comme le veut la tradition orthodoxe, le prêtre était présent à la demande de la famille Navalny, accompagné de son épouse et d’un chœur. Le courage à des visages.
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