Quand ça veut pas...
Européennes 2024 : avec des budgets explosés, Marion Maréchal en partie retoquée par la Commission des comptes de campagne
Le gendarme administratif a rejeté, dans une décision publiée le 6 mars, près de 400 000 euros des comptes de l’ex-tête de liste Reconquête, qui a arrosé son entourage pendant la campagne mais aussi pâti du train de vie mirobolant de cadres du parti d’Eric Zemmour.
Il s’en est fallu de pas grand-chose pour que le compte de campagne de Marion Maréchal relatif aux européennes de juin 2024 soit rejeté.
Finalement, ce sont près de 400 000 euros qui en ont été retoqués par la Commission nationale des comptes de campagne (CNCCFP), a-t-on appris cette semaine.
L’ex-tête de liste du parti Reconquête a explosé ses budgets de près de un million d’euros. Pour ce scrutin, le montant du remboursement par l’Etat avait été fixé à un peu moins de 4,4 millions d’euros, à peu près la somme que Reconquête, le parti d’Eric Zemmour, avait prêtée à Marion Maréchal pour faire campagne. Mais celle-ci en a dépensé 5,4… A cause, en partie, de largesses accordées à des proches, salaires et facturations importantes pour des prestations de services pas ou mal justifiées. Mais aussi «des dépenses non maîtrisées et non validées ou pas prévues, faites dans notre dos, notamment en fin de campagne», fait savoir l’entourage de l’eurodéputée d’extrême droite. La toute fin de la campagne de Marion Maréchal avait été chaotique en interne, avec une ambiance très tendue entre la tête de liste et Sarah Knafo, directrice de la stratégie de Reconquête et compagne d’Eric Zemmour. «Même après que le scrutin soit passé, on continuait de recevoir des factures, ajoute la même source. Au final : notre compte a été validé et Reconquête remboursé.» Pour cela, Marion Maréchal a toutefois été obligée d’emprunter une grosse somme à un proche.
Selon nos informations, parmi les dépenses non prévues ou mirifiques, on compte un meeting de Sarah Knafo à Paris pour 42 622 euros, quelques nuits d’hôtel pour Eric Zemmour et sa compagne, habitués des palaces : une nuit à l’hôtel la Plage à La Grande-Motte (un 5 étoiles, pour 852 euros), une autre à Londres à plus de 921 euros, au Rubens (déplacement auquel l’équipe de campagne de Marion Maréchal affirme n’avoir pas été associée), un séjour à l’hôtel Pan Deï Palais à Saint-Tropez (5 étoiles aussi), ou encore deux nuits à la Villa Gallici à Aix-en-Provence pour 1 500 euros,
où Eric Zemmour est allé jusqu’à se faire rembourser son yaourt nature par l’argent public (8 euros).
Une décision de la CNCCFP, datée du 5 décembre 2024 et mise en ligne le 6 mars 2025 sur son site internet, révèle ainsi que Maréchal a eu recours à un prêt de 800 000 euros le 13 août 2024, soit trois jours seulement avant la date butoir pour déposer ses comptes. On est alors deux mois après le départ de l’élue européenne du parti d’Eric Zemmour, à l’issue du psychodrame qui a suivi les résultats médiocres de sa liste : 5,47 %. L’identité du généreux donateur venu au secours de Marion Maréchal n’est pas connue à date. Selon l’Obs, qui a relevé l’information, il s’agirait d’un «particulier français». A Reconquête, on n’en sait pas plus. Mais on veut croire que l’équipe de l’ex-tête de liste a «fait ça dans l’urgence. Elle ne devait pas être très sereine. Le prêt est d’autant plus périlleux que les garanties présentées par l’équipe en face ne sont pas énormes», indique un cadre à Libération.
Pourtant, la plus grosse partie de la somme réformée par la CNCCFP concerne la refacturation de salaires de personnels de Reconquête passés sur la campagne de Marion Maréchal, pour un montant total de 178 217 euros. Leur contrat a ainsi fait l’objet d’un avenant signé par Gilbert Payet, trésorier de Reconquête, «mais pour une part seulement de leur activité», de l’ordre de 50 à 70 % de leur temps de travail. Or, estime la Commission des comptes, «la refacturation du salaire et des cotisations sociales par la formation politique au mandataire ne peut s’effectuer que sous réserve que le salarié travaille exclusivement pour la candidate, ce qui n’était pas le cas». Parmi les émoluments en question, selon nos informations, on compte le salaire de Sarah Knafo, ou de Samuel Lafont, «chargé des opérations numériques», rémunérés alors respectivement 5 800 et 5 900 euros par mois – dont le coût total chargé pour la campagne est de 160 000 euros.
«Vous êtes cinglés»
A la lecture de la décision de la CNCCFP, il semble toutefois que Marion Maréchal a bel et bien flambé pour sa campagne européenne. En tout cas, certains de ses amis ont touché de grosses sommes.
Le contrat le plus important est revenu à l’époque à Philippe Schleiter, neveu du négationniste Robert Faurisson. Il pilotait pendant la campagne, via sa société Delta Lead, dont il était l’unique intervenant, une «mission d’organisation et de management des équipes opérationnelles». Tarif journalier pour une partie de la campagne : 2 220 euros TTC. A l’époque, selon le Canard enchaîné, Gilbert Payet, avait tiré la sonnette d’alarme, en adressant ce message à l’équipe de Maréchal : «Vous êtes cinglés. Personne n’était rémunéré à ce niveau pendant la présidentielle !» Hélas pour Philippe Schleiter, ce dernier n’a pas apporté assez «d’éléments tangibles suffisamment probants» pour justifier sa mission, estime la CNCCFP qui a réformé, en conséquence, une partie du montant qu’il a facturé, soit 16 000 euros.
Un autre cadre important de la campagne de Marion Maréchal pointé du doigt par le gendarme administratif n’est autre que son très proche ami Thibaut Monnier, le cofondateur de son école à Lyon, l’Issep, aujourd’hui député de la Drôme. Avec sa société de conseil L2H, Monnier a facturé pendant les européennes pour plus de 90 000 euros de prestations, assurant avoir bossé 756 heures pour la campagne, à 120 euros chacune. Un nombre «considérable», note la CNCCFP dans sa décision. Manque de pot pour lui, ce boulot aurait là encore manqué de «justificatifs tangibles du travail effectué». Indulgente, la commission a réformé le coût de la moitié des heures facturées par Monnier, soit 45 360 euros. Contacté par Libération, Thibaut Monnier indique que «les heures déclarées sont des heures effectuées. l’interprétation de la CNCCFP n’est pas juste. Personne ne peut prétendre que je n’étais pas aux côtés de la candidate durant ces six mois».
Le directeur général de l’Issep n’est pas en reste : par le biais d’une autre de ses structures, l’IFF (pour Institut français de formation), il a aussi facturé des missions de community management, ainsi que la commande de deux études sondagières, dont la seconde, facturée 4 200 euros, n’aurait été qu’un copié-collé de la première, a estimé le gendarme des comptes de campagne.
Location de trois appartements
La présence de ces deux structures dirigées par Thibaut Monnier parmi les prestataires de services choisis par Marion Maréchal pour sa campagne n’est pas vraiment une coïncidence. De janvier 2023 à août de la même année, soit quelques mois avant le début de la campagne pour les européennes, la désormais députée à Bruxelles a été salariée de L2H au poste de «directrice développement», avec un émolument plus que confortable : 6 636 euros brut mensuels. Maréchal était aussi en cheville avec l’IFF : selon nos informations, la nièce de Marine Le Pen a été rémunérée par lui à l’automne 2022, lorsqu’elle occupait à Reconquête le poste de «responsable du pôle formation». Sa facture d’alors, d’un montant de 8 600 euros, avait été présentée au parti d’Eric Zemmour par l’IFF.
Autre curiosité relevée par la CNCCFP : l’équipe de campagne de Marion Maréchal a inscrit dans ses comptes la location de trois appartements dans un même immeuble situé à Boulogne-Billancourt, dans lequel a notamment séjourné son directeur de campagne d’alors, Philippe Vardon. Problème, comme l’avait révélé en juin de l’année dernière le Canard enchaîné, cet immeuble appartenait à la mère de Frédéric Reuseau, c’est-à-dire le président de l’association de financement électorale de Marion Maréchal pour la campagne…
A l’époque, c’est dans le bâtiment, baptisé en novembre 2023 par l’Obs la «coloc de l’enfer», que vivait la même Marion Maréchal, mais aussi la chroniqueuse de CNews Charlotte d’Ornellas et un certain Geoffroy Lejeune, directeur du JDD de Vincent Bolloré.
Pas de chance pour les occupants copains, ils ont oublié de faire signer un contrat à leur bailleur, note la CNCCFP dans sa décision du 5 décembre. Elle a ainsi réformé la somme correspondant aux loyers : 18 112 euros.
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