Quelques jours après son arrivée à la maison d’arrêt des Baumettes, à Marseille, un détenu de 22 ans inconnu jusqu’ici de la justice, a été égorgé par un codétenu. L’homme avait pourtant, à de multiples reprises, demandé de changer de cellule pour échapper à son futur meurtrier.
C'est chez nous!Le 9 octobre 2024, Robin Cotta, 22 ans, trouve la mort dans la cellule 504 du quartier des arrivants de la maison d’arrêt des Baumettes, frappé, assommé, puis froidement égorgé par un codétenu avec les tessons d’un bol en porcelaine.:
L’administration pénitentiaire marseillaise parle d’abord d’un "incident" entre deux détenus, tous deux impliqués dans des affaires de stupéfiants. "Des faits sans rapport avec les conflits entre bandes rivales sur fond de narcotrafic", précise alors le parquet de Marseille, très préoccupé par l’influence des gangs locaux comme la DZ Mafia au sein de cette prison emblématique et surpeuplée.
Trois mois après les faits, la cellule investigation de Radio France révèle les premières conclusions de l’enquête menée par la division territoriale de la criminalité de Marseille sous l’autorité d’une juge d’instruction. Les témoignages de surveillants, la parole de détenus ainsi que des enregistrements vidéo montrent que la direction et le personnel de la maison d’arrêt ont ignoré la série d’appels du jeune homme à changer de cellule, pour être éloigné de son futur meurtrier.
Un codétenu violent
L’histoire commence le 21 septembre 2024, quand Robin et un ami, amateurs de purple drank, sont interpellés par la gendarmerie dans une pharmacie de Mézel (Alpes-de-Haute-Provence). Ils sont en possession de fausses ordonnances de sirop codéiné pour la toux nécessaire à la fabrication de ce cocktail euphorisant. Aussitôt mis en examen, les deux hommes sont placés en détention provisoire dans des établissements différents, dans l’attente de leur éventuel procès.
Robin est incarcéré à la maison d’arrêt des Baumettes, où il intègre le quartier des arrivants sous le numéro d’écrou 210 063. Intérimaire d’une entreprise d’installation de panneaux solaires depuis un an, il n’a pas le profil d’un grand délinquant et encore moins d’un trafiquant. Son casier judiciaire de majeur est vierge. Il n’a jamais été incarcéré. Du 22 septembre au 4 octobre 2024, sa détention ne semble pas poser de problème. Le jeune homme ne se sent alors pas menacé, comme en témoigne un courrier envoyé le 1er octobre à son père que nous avons consulté. "Salut papa, j’espère que ça va, je t’écris depuis ma ‘cellule arrivant’. Mon codétenu est un gars super. Il a tout fait pour que mon arrivée se passe bien et il m’a expliqué tout le fonctionnement des Baumettes. (...) Je pense que l’enquête va être rapide parce que j’ai déjà tout dit. Ne te fais pas de soucis pour moi, j’ai le moral et la santé. Tu connais ton fils. Je suis un grand garçon. Je vais assumer comme un homme. J’espère que cette lettre ne t’a pas fait trop de peine. Je t’aime mon père. Garde le moral". Dans ce courrier, le détenu demande aussi à ses parents séparés de lui envoyer de l’argent pour "cantiner" afin d’acheter de quoi améliorer l’ordinaire en prison. Robin envisage alors un court séjour aux Baumettes avant d’être jugé.
Mais le 4 octobre, la situation change radicalement. Robin est placé en détention avec A.M. Ce détenu de 25 ans, incarcéré un mois plus tôt, a été plusieurs fois condamné pour vol et violences. Il purge aux Baumettes une récente peine de six mois de prison ferme dans une affaire de transport de stupéfiants. Lors de l’enquête, plusieurs détenus ont expliqué aux policiers que A.M. avait déjà menacé certains de ses trois codétenus en mimant notamment de les découper à la machette. Un détenu rapporte que le premier codétenu de A.M. a demandé à quitter sa cellule en se réfugiant à l’infirmerie et qu’il en a profité pour mettre en garde les surveillants des Baumettes en leur disant "Si on le laisse avec quelqu’un, ce sera une dinguerie !"
La direction des Baumettes alertée par trois courriers
Durant les six jours de sa codétention avec A.M., Robin n’a de cesse de demander à changer de cellule pour éviter un conflit ou parce qu’il se sent menacé, ont reconnu les gardiens après le drame. Le rapport pénitentiaire joint à la procédure fait état de trois courriers de la victime adressés à la direction de la maison d’arrêt, dont une lettre rédigée le matin même de sa mort. Dans cet ultime courrier daté du 9 octobre 2024, Robin réclame une nouvelle fois d’être transféré dans la cellule qui lui fait face. Mais l’officier responsable du quartier des arrivants lui fait savoir qu’il ne peut pas le recevoir et remet le rendez-vous au lendemain.
Durant cette codétention et jusque dans les heures qui ont précédé son meurtre, la victime a plusieurs fois réclamé d’être déplacé, via l’interphone qui équipe chaque cellule. Des communications de mauvaise qualité mais que les surveillants ont obligation de consigner dans un carnet de liaison. Les enquêteurs ont également saisi plusieurs séquences captées par les caméras postées sur les coursives du quartier des arrivants. Dans l’une de ces vidéos, prise à 17h04, soit deux heures avant sa mort, un surveillant remarque une feuille de papier agitée sous la porte de la cellule occupée par Robin, mais le gardien semble ignorer le bout de papier. Plus tard, à 18h22, au moment de la distribution des repas, les images montrent le même surveillant discuter avec les deux détenus devant la porte ouverte de la cellule. Selon les témoignages des détenus voisins rapportés par l’enquête policière, Robin refuse alors de réintégrer sa cellule et se dit prêt à aller à l’isolement pour ne plus être avec A.M. Mais son ultime demande est rejetée par le gardien, "faute de place" au "cachot".
Une heure plus tard, le corps de Robin est retrouvé mort. Ce sont les détenus qui ont donné l’alerte aux surveillants en criant collectivement dans les coursives. Sollicitée par la cellule investigation de Radio France, la direction de l'administration pénitentiaire se retranche derrière la procédure judiciaire en cours pour ne pas répondre à nos questions, confirmant simplement le lancement d’une enquête interne en parallèle de l’instruction judiciaire ouverte à Marseille. Elle ajoute que "les personnels du centre pénitentiaire des Baumettes, très marqués par cette affaire, ont tous reçu une proposition de soutien psychologique."
"Mon fils n’était pas Pablo Escobar"
Confrontés à ces informations, les proches de Robin Cotta se disent prêts à engager la responsabilité de la direction et du personnel surveillant de la maison d’arrêt en portant plainte. "Mon fils n'était pas Pablo Escobar, explique Odile Cotta, la mère de Robin. Il n’avait rien à son actif. J’avais confiance en l’Etat et la prison. Je me suis dit : 'Il rentre [en prison]. Il va se prendre un mois ou deux. Ça va lui servir un peu de leçon'. Mais jamais je n’aurais cru que l’Etat, la prison elle-même, soit aussi laxiste."
"Ce n’est pas un manque d’effectifs, c'est un manque d’humanité. Mon fils est mort dans l’indifférence totale des Baumettes".
Ce drame remet en lumière la question de la surpopulation carcérale, largement liée à l’augmentation des homicides autour du narcotrafic et aux placements en détention provisoire(Nouvelle fenêtre). Selon nos informations, le quartier des arrivants de la maison d’arrêt des Baumettes comptait près de 120 détenus au moment de la mort de Robin, quand le taux d’occupation normal est de seulement 62 places. Une surpopulation qui oblige ce quartier d’accueil des détenus à constamment déroger aux règles de gestion carcérale et au principe d’encellulement individuel pourtant inscrit dans la loi. Une note de service de la direction du centre pénitentiaire des Baumettes précise d’ailleurs que les nouveaux arrivants doivent être observés et évalués durant 15 jours avant d’être affectés dans l’un des deux quartiers pour hommes de la maison d’arrêt.
Incarcéré depuis plus d’un mois, le meurtrier de Robin n’avait donc, en théorie, plus sa place dans cette zone d’accueil et de sélection des détenus. Mais, selon plusieurs sources pénitentiaires, le cas de A.M. n’est pas isolé. Les "arrivants" des Baumettes resteraient au minimum un mois et demi dans ce sas de la détention, en partageant systématiquement leur cellule.
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