Une alerte enlèvement me semble nécessaire.
La députée RN Christine Engrand a-t-elle «disparu» depuis qu’elle est mise en cause pour usage personnel de ses frais de mandat ?
L’élue, dont les pratiques ont été épinglées par Mediapart, est absente de l’Assemblée depuis plusieurs semaines. Convoquée par son parti, elle ne s’est pas présentée, se justifiant avec un arrêt maladie qu’elle a visiblement prolongé.
publié aujourd'hui à 17h08
Disparue des radars. Mise en cause pour avoir utilisé ses frais de mandat à des fins personnelles, la députée RN Christine Engrand n’a pas mis un pied à l’Assemblée depuis plusieurs semaines. Absente de l’hémicycle lors de tous les derniers débats et votes, l’élue du Pas-de-Calais se mure dans son silence, brandissant un certificat médical comme document d’excuse. Ses collègues du RN n’ont pas davantage de nouvelles de sa part, malgré une tentative des instances du parti de la convoquer pour s’expliquer.
Ce qui ne manque pas de faire réagir les électeurs de sa circonscription, dont Valentin De Poorter, par ailleurs reporter pour le média engagé Calais la Sociale. Dans une publication sur le réseau social X (ex-Twitter), samedi 26 octobre, il appelle sa députée à la démission : «Aujourd’hui, l’assistée qui ne va pas au boulot et qui vit d’argent public, c’est elle.». Une référence aux prises de position de Christine Engrand, qui s’est fait la porte-parole des propositions anti-assistanat du RN au sein de la commission des affaires économiques de l’Assemblée. Juste après l’adoption de la réforme des retraites, en avril 2023, elle avait tenu une conférence de presse où elle sommait de «mettre au travail les personnes sans emploi plutôt que de repousser l’âge de la retraite». «On demande des efforts aux uns, et à d’autres, on donne des aides alors qu’ils restent chez eux», blâmait l’élue.
A l’origine des déboires de la députée, une enquête publiée par Mediapart le 10 septembre. Le média d’investigation révèle que Christine Engrand «a allègrement pioché dans son enveloppe de frais de mandat pour régler des dépenses personnelles». A savoir la pension de ses deux chiens, les frais d’obsèques de sa mère, ou encore un abonnement à un site de rencontres, pour un total dépassant les 10 000 euros. Alors même que les règles de déontologie parlementaire imposent que l’avance de frais de mandat – soit 5 950 euros versés chaque mois aux députés en plus de leur salaire – ne serve à régler que des dépenses ayant «un lien direct avec l’exercice du mandat parlementaire».
Dernière apparition le 13 septembre
Après plusieurs alertes adressées par un ancien membre de son équipe aux services administratifs de l’Assemblée, plus tôt dans l’année, Christine Engrand a plaidé un mélange d’erreur et de méconnaissance des règles de la vie parlementaire. L’élue assure qu’elle a «tout de suite» pris contact avec le déontologue de l’Assemblée, puis remboursé les dépenses litigieuses, mais refuse de produire la preuve de ces remboursements. Contacté par CheckNews à ce sujet, le déontologue invoque son devoir de réserve et de confidentialité. Egalement interrogés, les services administratifs et la présidence de l’Assemblée n’ont pas répondu.
Dans un communiqué diffusé après publication de l’enquête, «la députée ne conteste par ces maladresses de début de mandat» et fait valoir que «les nouvelles dépenses font l’objet d’un examen rigoureux afin d’éviter de nouvelles déconvenues». De son côté, le bureau du groupe RN la convoque afin d’en discuter et décider d’une éventuelle sanction. Attendue devant les cadres du RN à l’Assemblée durant la dernière semaine de septembre, l’élue ne s’est pas présentée, produisant un avis d’arrêt maladie, a appris la Voix du Nord.
De fait, sur les réseaux sociaux de Christine Engrand, la dernière publication faisant état de son activité parlementaire remonte au 12 septembre, lorsque la députée avait reçu dans sa permanence des associations de défense des sinistrés touchés par les inondations dans le Pas-de-Calais. On sait aussi que le 13 septembre, elle s’est rendue à la prise de commandement de la brigade de gendarmerie d’une ville de sa circonscription, aux côtés d’un parterre d’officiels. Le même jour, elle a été interpellée pour usage du portable au volant, a dévoilé le Parisien. Durant leurs vérifications, les gendarmes ont alors découvert qu’elle circulait avec un permis de conduire au solde nul depuis 2009, et dans un véhicule présentant un défaut de contrôle technique.
En l’absence d’apparitions publiques plus récentes, CheckNews a donc sollicité la permanence de la députée pour en savoir plus sur son agenda, et son apparente absence depuis les révélations de la presse. «Je n’ai aucune information à communiquer», a évacué notre interlocutrice.
«Je souhaite qu’elle soit sanctionnée»
Côté Assemblée, Christine Engrand a continué de cosigner les propositions de loi portées par son groupe, dont la dernière en date a été déposée le 15 octobre et vise à «renforcer les sanctions contre les atteintes aux édifices religieux et aux biens cultuels». En revanche, la députée du Pas-de-Calais ne s’est plus présentée dans l’hémicycle depuis plusieurs semaines, séchant tous les scrutins publics, du vote sur la motion de censure défendue par le Nouveau Front populaire début octobre aux débats sur le projet de loi de finances qui ont occupé les députés toute la semaine dernière.
Peu avant que ne débute l’examen du budget pour 2025, Mediapart en a remis une couche avec une seconde enquête, parue le 19 octobre, dans laquelle sont épinglées de nouvelles dépenses financées grâce à l’avance pour frais de mandat de Christine Engrand. Cette enveloppe a notamment servi à assurer un véhicule personnel, changer un démarreur et des pneus de voiture, laver l’engin ou bien acheter des smartphones neufs.
Le 3 octobre, auprès de France 3 Hauts-de-France, le sénateur RN Christopher Szczurek, délégué du parti dans la région, indiquait qu’une nouvelle convocation allait être adressée à Christine Engrand pour qu’elle soit entendue «d’ici 2 à 3 semaines». Mais alors que plus de trois semaines se sont déjà écoulées, la députée répond encore aux abonnés absents.
«Madame Engrand a, j’imagine, prolongé son arrêt maladie», glisse Christopher Szczurek, joint par CheckNews, qui n’a «eu aucun contact avec elle et souhaite à titre personnel qu’elle soit sanctionnée». Député et porte-parole du RN, Yoann Gillet confirme que sa voisine sur les bancs de l’Assemblée est toujours en arrêt maladie, sans être en mesure d’en préciser la date de fin. «Elle sera entendue par le bureau du groupe à son retour», complète-t-il, puisque le contradictoire impose de la recevoir avant d’entériner toute sanction. «Concernant les raisons de son arrêt, je ne suis pas en mesure de vous donner des précisions, balaye Yoann Gillet. Ces informations relèvent du secret médical.»
«Nous [affrontons] pleinement, à bras-le-corps, ce problème, affirmait le député Thomas Ménagé, autre porte-parole du RN, au micro de France Inter dimanche. On laissera [Christine Engrand] se défendre, mais si les propos et les éléments qui ont été révélés sont conformes, il y aura une sanction qui peut aller jusqu’à l’exclusion.»
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