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Soutine, ou le livre du monde

Posté : 17 septembre 2016 18:34
par Rushkild
Soutine, ou le livre du monde



Soutine (1893-1943) nous appelle à voir, lorsque nous contemplons, un peu surpris, un peu choqués, ses peintures.

Dans quel univers clownesque l’artiste a-t-il bien pu prendre ses modèles ? Que signifient ses arabesques grotesques, ses exagérations forcément maladroites ? Ces premières réflexions cèdent vite la place à d’autres pensées, pensées qui naissent du malaise étrange que ses déformations des êtres et des choses ont su susciter.
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Grotesque, autoportrait, 1922-1925
On regarde une toile de Soutine comme on contemple le portrait d’un clown, confidence involontaire de la vie, énigme à déchiffrer, profondeur cachée derrière la grimace. Une intuition se fait jour : dans le monde tourmenté, torturé, grotesque et virulent de Soutine, la vérité des choses se laisse entrevoir.
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La Folle, 1919
Qu’est-ce que la vie, finalement, sinon une stabilité qui se cherche au sein d’un mouvement ? Et lorsque cet écoulement du temps, car c’est de cela dont il s’agit, s’applique à du vivant, chair, os, sang, humeurs, c’est toute la complexité crucifiée du vivant qu’un peintre affolé de sa découverte ose exposer. Audace d’un monde où tous les voiles sont retirés.
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On décèle dans l’univers de Soutine, au sein de ce frémissement du vivant, le surgissement à venir de l’impossible perfection. Surgissement du monde, innocence du regard, le monde avant le monde, vacillement des origines.
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Le temple grec est au bout du chemin, mais le chemin n’a pas de fin, puisqu’il est définitivement lui-même, convulsivement lui-même. Soutine raffolait de l’art grec. Sans doute, ce n’est pas surprenant. Comme un prisonnier rêve de liberté, comme un asphyxié convoite l’oxygène.
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Escalier rouge à Cagnes, 1923-1924
Le drame de Soutine, c’est de n’avoir jamais menti, de ne jamais s’être voilé la face, d’avoir toujours vu, et dit (ou peint, car cela revient au même) la vérité.
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La vieille Actrice, 1925
Et la vérité du monde est convulsive, l’on y entrevoit la naïveté de l’instant, le ruissellement du devenir, la forme qui s’essaie à d’autres formes, tout un univers d’essais et d’erreurs d’où surgissent toujours plus de vertiges, de mouvements.
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La Volaille pendue, 1925
Dans cet espace, seul tout retour en arrière est interdit. La vérité du monde est cruauté, la violence se cache sous les pierres immobiles, le monde vibre des paroles qu’il retient.
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Le Village, 1923
Cruauté du monde mais aussi humanité du regard, lorsqu’il se pose sur des êtres sans défense. Humanité et humilité, qui sait déceler les orages cosmiques au cœur des choses mais aussi les tourments d’une âme d’enfant qui s’interroge sur l’opacité de l’Autre.
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La petite Fille à la poupée, 1919
Tout est sens chez Soutine, rien n’est absurde. Et dans cet univers empli de significations à découvrir, les couleurs sont le langage du monde. C’est parfois un cri qu’on perçoit, comme chez cet autre expressionniste, Munch. Cri d’un corps en attente, violence suggérée d’une femme qui sourit (ou grimace ?) pour mieux étreindre, ou tordre, dans l’ondulation de la vie. Dérives du désir.
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La Femme en rouge, 1922
Temps mêlé à l’espace, passions unies à la chair, corps qui deviennent autres, dans un perpétuel frémissement des apparences. La vie, vérités et mensonges.



Rushkild