Nicolas Sarkozy, "ne vous représentez pas!"
Posté : 01 septembre 2011 21:46
Denis Jeambar exhorte le président de la République à ne pas se représenter en 2012. Nul doute qu'il ne sera pas entendu.
Il n'y a pas la moindre chance pour que cette "Lettre ouverte" au président de la République soit prise au sérieux ou seulement lue par son destinataire. L'auteur, Denis Jeambar, vieux routier du journalisme, ne se berce sûrement pas d'illusions. Il a beau répéter à chaque chapitre son admonestation : "Ne vous représentez pas !", et l'argumenter de toutes les façons possibles, il faudrait que le ciel lui tombe sur la tête pour que Nicolas Sarkozy ne soit pas candidat, l'an prochain, à sa propre succession.
C'est d'ailleurs moins un sage conseil qu'une volée de bois vert. L'auteur administre au président-presque-sortant des critiques tellement féroces qu'elles donneraient presque envie, grands dieux ! de voter Sarkozy par compassion au printemps prochain. Jeambar se sera délecté à aiguiser ses flèches dont voici quelques beaux spécimens : "Vos vantardises juvéniles et vos désarrois... Vos fanfaronnades... Vous n'avez pas regardé la France au fond des yeux parce que vous pensiez être devenu les yeux de la France... Vous incarnez malheureusement un gaullisme au rabais... Votre "travail" : aucun de vos prédécesseurs n'avait eu le culot de recourir à ce mot pour définir la fonction présidentielle... Votre inconstance inquiète, votre versatilité exaspère... Vous avez la tête à l'envers, matamore certes, mais, dans vos décisions finales, toujours plus hésitant que vous voudriez nous le faire croire... Vous roulez des mécaniques, c'est votre nature." Et cette phrase qui pourrait résumer le livre : "Vous ne ratez jamais une occasion de vous faire plaisir et, comme on disait dans les cours de récréation, de "ramener votre fraise"."
Certes, Nicolas Sarkozy n'a pas attendu cette lettre ouverte pour prendre la mesure, ou la démesure, des attaques auxquelles il s'expose tous les jours. En cette matière, il fait mieux que tous ses prédécesseurs de la Ve République. Il est vrai qu'il les dépasse tous en impopularité. Lorsque la campagne présidentielle s'ouvrira, dans sept ou huit mois, il se trouvera bien un ou deux avocats pour plaider sa cause et riposter à cette avalanche passionnée, haineuse et parfois boueuse qu'il aura essuyée du début à la fin de son quinquennat. L'auteur de cette "Lettre ouverte à Nicolas Sarkozy" donne l'impression de déverser une bile trop longtemps contenue et de régler quelque compte secret avec le chef de l'Etat. On voudrait, à tous les auteurs qui ne manqueront pas de le suivre, un peu plus de détachement. Sinon, l'excès des critiques risque fort de provoquer une indigestion, chez tous ces électeurs qui restent indécis jusqu'à la dernière minute.
C'est une certaine nausée qu'on éprouve à la lecture du Capitalisme hors la loi, d'un autre journaliste chevronné, Marc Roche. L'auteur, qui a partagé sa vie entre la City et Wall Street, nous emmène dans les ténèbres, à la recherche de ces banquiers gravitant hors des circuits traditionnels qui sont endettés jusqu'au cou. Attention ! Le voyage n'est pas de tout repos pour les petits épargnants naïfs et confiants. Marc Roche explique que la finance peut être illustrée par trois cercles "à la fois séparés et imbriqués l'un dans l'autre : le premier représente le capitalisme à la lumière, le deuxième celui de l'ombre, le troisième est carrément maffieux" représenté aux Etats-Unis par l'escroc Madoff et en France par le trader de la Générale Jérôme Kerviel.
Ce livre est une sorte de guide de toutes les entités et de tous les intermédiaires qui, hors circuits traditionnels, permettent de contourner les rigueurs du fisc et celles de la morale. On navigue des îles Caïman, royaume des "trusts", ces structures totalement opaques qui permettent de confier ses biens à un tiers, un "trustee", au profit de bénéficiaires tout en échappant au fisc, jusqu'à Hong-Kong, son "incroyable réseau de sociétés financières écrans, de banques souterraines et de sociétés de leasing plus obscures les unes que les autres".
On découvre - accrochez-vous ! - que le successeur de Jean-Claude Trichet à la tête de la Banque Centrale Européenne, l'Italien Draghi, a été vice-président pour l'Europe de Goldman Sachs qui a mené l'opération de maquillage des comptes grecs dont on mesure aujourd'hui les conséquences pour la zone euro et pour la finance mondiale. On apprend que, pour aider LVMH dans sa tentative de prise de contrôle d'Hermès, les banques françaises conseils de Bernard Arnault ont fait appel à des sociétés panaméennes et luxembourgeoises. On découvre qu'une multinationale du négoce nommée Glencore, en soudoyant un fonctionnaire européen, a empoché en 2002-2003 la bagatelle de 7 millions d'euros d'aides européennes agricoles.
On partage l'indignation de l'auteur en découvrant qu'aucun dirigeant de banque n'a été jugé, condamné à la prison même dans les cas de fraude avérée. Au contraire, l'heure est à nouveau aux bonus mirobolants dans les établissements financiers. Le cas le plus stupéfiant est celui d'Antigone Loudiadis, la banquière de Goldman Sachs qui a effectué le maquillage des comptes grecs. "Ce forfait, écrit Marc Roche, lui a valu d'être promue à la présidence de la compagnie d'assurances de Goldman Sachs ."
Le livre de Jeambar ne favorisera sans doute pas les vocations à la magistrature suprême. Celui de Roche prouve que la morale n'est pas souvent récompensée et que la délinquance financière rapporte gros, fabuleusement gros.