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Qui pour se sacrifier ?

Posté : 17 septembre 2011 15:10
par sacamalix
Crise: où sont les héros?
Pour faire le sale boulot budgétaire, c'est-à-dire augmenter les impôts et diminuer les dépenses de l'Etat, il ne faut pas quelqu'un qui pense à sa carrière. Il faut quelqu'un prêt à se sacrifier. Pas facile à trouver des héros.
La commémoration du 11 septembre a donné lieu à une avalanche de reportages, mêlant images d'archives, reconstitutions, et témoignages. Notamment cette phrase, en hommage au désormais fameux corps des pompiers de New York: «quand les gars montaient , ils savaient qu'ils ne reviendraient pas tous». Ils savaient qu'ils risquaient leur vie et ils l'ont fait quand même. Comme, avant eux, les pilotes d'hélicoptères russes qui déversaient du béton sur la centrale de Tchernobyl, comme aujourd'hui, les soldats que la représentation nationale envoie dans les faubourgs de Kaboul, comme en 1830, les médecins pendant l'épidémie du choléra en Provence. Tous s'exposaient au risque ultime et quelques uns sont, en effet, tombés. La roulette russe est américaine ou afghane, mais elle est de toute époque. Mais pas de tous les métiers.

Les deux tours européennes - l'euro et sa tour jumelle l'Union européenne- sont en danger mais il n'y a pas de pompier. C'est la guerre des boutons au 18: personne ne sait sur lequel appuyer: exclusion d'un partenaire -au risque d'un éclatement général-, économie budgétaire,-au risque d'aggraver la crise-, taxation, mais de qui? de quoi? Taxer les riches, taxer les niches? Le récent plan fiscal du gouvernement est une caricature qui révèle une erreur de casting et une erreur de timing.

Un coup d'extincteur alors que la tour s'écroule

L'erreur de casting.Pour prendre une décision, il faut un décideur. Les fonctions sont bien réparties: au président, les rencontres internationales aux sommets, aux ministres, les plans français. Or les deux ministres concernés, le ministre de l'économie et la ministre du budget semblent peu adaptés à l'enjeu du moment. Oublions le passé et les qualités des deux intéressés car leur fragilité est ailleurs. Elle vient tout simplement du fait qu'ils croient – espèrent - tous deux avoir une carrière. Et, pour faire le sale boulot, il ne faut pas quelqu'un qui pense à sa carrière. Il faut quelqu'un qui n'a plus rien à perdre. Pour une raison élémentaire: parce que les mesures seront nécessairement impopulaires et que celui qui les prendra sautera. En Allemagne, l'essentiel des mesures de rigueur -avec une augmentation de la TVA, une diminution des allocations de chômage etc...- fut prit par le chancelier Gerhard Schröder au début des années 2000. Il le paya par une déroute électorale en 2005. Mais il était au pouvoir depuis sept ans et n'avait plus d'ambition. Il pouvait faire le sale boulot et il le fit. Pour le job, il faut un vieux renard et pas de -encore- jeunes loups. Seguin, Strauss Kahn auraient été très bien en leur temps. En politique, il y a une place pour les retraités. Parfois même, il n' y a plus qu'eux. L'histoire de France en montre quelques exemples.

Le timing n'aide pas.La campagne électorale est évidemment une difficulté supplémentaire. En France, l'expérience montre que les réformes se font dans les cent premiers jours qui suivent une élection présidentielle. Après, c'est plus difficile, et avant une autre élection, ce n'est même pas la peine d'y songer. Ce qui explique le plan fiscal de cette fin d'été, dérisoire comme un coup d'extincteur alors que la tour s'écroule.

Pourquoi pas un impôt sur le sel ou les chewing gums

Impôt sur les boissons sucrées -pourquoi pas un impôt sur le sel tout aussi mauvais pour la santé-, sur les parcs de jeux, -mort d'avance dès lors que le parc Disney y échappait- sur les mutuelles- comme si les Français n'avaient pas assez de difficultés avec leur pouvoir d'achat. Il ne manque plus que l'impôt sur les chewing gums, très coûteux pour les collectivités locales, car les tâches qu'ils font sur les pavés sont difficiles à nettoyer... Ces mesurettes n'avaient un sens que si elles annonçaient une vraie réforme. Pas celle qui consisterait à «faire payer les riches», comme si une tranche supplémentaire d'ISF ou d'impôt sur le revenu allait changer quelque chose!, non, une réforme qui adapterait la France à son nouvel environnement.

Plutôt que chercher à réinventer la gabelle, constatons avec le professeur Michel Bouvier, un des meilleurs experts français des finances publiques, «l'inadaptation de notre fiscalité à la mondialisation et aux techniques de communication». La France ne peut continuer à avoir une fiscalité du XIXéme siècle et du XXéme siècle au temps d'internet. Continuer à taxer (impôts ou charges sociales) le travail est une énigme au temps de la concurrence mondialisée. Il faut taxer les revenus plutôt que le travail, et les produits plutôt que les productions, seule façon d'égaliser l'impôt quel que soit le lieu de fabrication.

De même, il faut réfléchir à une fiscalité au temps d'internet, au temps du commerce en ligne, qui, malgré la crise ou à cause d'elle, ne s'est jamais aussi bien porté, une fiscalité du temps du virtuel. La taxation des transactions financières est une voie intéressante: un taux très faible et une assiette très large, et donc indolore et à haut rendement. L’opinion attend l’Europe, car la plupart des mesures fiscales doivent être envisagées désormais à ce niveau ou, plutôt, à plusieurs et en même temps si l’on veut garder l’illusion d’une souveraineté fiscale. Les gouvernants, ceux qui croient l'être et ceux qui voudraient le devenir, n'ont pas d'autre choix que de présenter un vrai projet et non pas un sachet de rustines, de dresser une perspective pour, tout simplement, retrouver une légitimité qu'ils ont perdu. La fiscalité doit être un enjeu de la campagne.

Nicolas-Jean Brehon