« J’ai été très mauvaise. » Ces aveux surprenants, Éva Joly les prononce mercredi, en marge d’un déplacement à Arcachon. Quelques heures plus tard, en meeting à Talence, près de Bordeaux, elle enfonce le clou :
« Je sais bien que j’ai ma part de responsabilité dans le peu d’écho qu’on accorde à mes propos mais je sais aussi que le système met à l’index ceux qui veulent changer la règle du jeu. Le système ne s’y trompe pas : si les attaques sont si violentes, c’est parce que je ne fais pas semblant, ce que je dis, je le pense vraiment. » Et elle ajoute : « La politique n’est pas l’art du pantomime, il ne s’agit pas de faire semblant de mobiliser les foules pour la révolution pour ensuite tranquillement s’asseoir autour d’une table et continuer à faire recuire les mêmes sempiternelles alliances. Je ne suis ni le bruit ni la fureur, je ne suis que la petite voix de la raison. »
Que voit-on dans cette séquence de com de la candidate écologiste ? D’abord, qu’il s’agit bel et bien d’une séquence de com.
La posture des excuses, on l’a déjà vue et déjà entendue dans cette campagne. C’était le 6 mars, avec Nicolas Sarkozy, sur le plateau de Des paroles et des actes, sur France 2.
C’est une technique. Elle permet de définir un avant – le bilan, contesté, critiqué, qui jette un doute sur le candidat – et un après – un avenir forcément meilleur, puisqu’on a appris de ses erreurs. Il s’agit de renouer avec sa base électorale, de la rassurer, de la remobiliser.
C’est particulièrement évident dans le cas d’Éva Joly, puisqu’elle n’est pas la seule à faire son mea culpa ce soir-là, à Talence.
Noël Mamère avait eu des propos très durs à peine deux semaines auparavant, le 13 mars : « Quel est vraiment l’intérêt que nous avons à être présents à l’élection présidentielle si, d’une part, nous restons encalminés dans ces sondages qui ne sont pas bons – il faut le reconnaître et le dire – et si en restant dans la compétition, nous contribuerions à affaiblir le candidat du PS ? ».
Et le voici qui accueille Éva Joly sur ses terres et explique que : « C’était un moment de découragement », une « bêtise ». Bref, qu’il regrette.
Que s’est-il passé depuis le 13 mars ? Une chose que ni les Verts ni le PS n’avaient anticipé : la poussée spectaculaire de Jean-Luc Mélenchon. Un Jean-Luc Mélenchon qui dépasse désormais François Bayrou dans les intentions de vote, jusqu’à atteindre 14% dans certaines enquêtes. Et qui a bien l’intention de tout phagocyter à gauche. En bon stratège, Mélenchon a compris qu’il avait tout à gagner du déficit de leadership au NPA et chez les Verts dans cette campagne. Donc, il joue à fond son avantage, en développant un discours écologiste, parlant de « règle verte » et de « planification écologique ». L’électorat écologiste est d’autant plus sensible à ces approches que – c’est une caractéristique française – il est aussi à gauche qu’écologiste, voire plus à gauche qu’écologiste.
Les dirigeants d’EELV – Cécile Duflot, Noël Mamère ou Daniel Cohn-Bendit – avaient choisi, et fait avaliser par leurs militants, une candidate qu’ils pensaient pouvoir contrôler. Ou du moins, qui ne gênerait pas leurs ambitions respectives. Et voici que surgit un concurrent autrement plus redoutable que Nicolas Hulot, et qu’ils n’ont absolument pas vu venir.
Et c’est avec une panique perceptible qu’ils tentent de relancer leur campagne. En attaquant en priorité, bien sûr… Jean-Luc Mélenchon. Car c’est bien lui qui est visé derrière ces phrases d’Éva Joly : « La politique n’est pas l’art du pantomime, il ne s’agit pas de faire semblant de mobiliser les foules pour la révolution pour ensuite tranquillement s’asseoir autour d’une table et continuer à faire recuire les mêmes sempiternelles alliances. »
Reste que cette com est bien pensée sur le fond. On attaque Mélenchon, mais on pense aussi à « traiter » le cas Éva Joly, en tentant de faire de ses défauts, une force.
Elle est une mauvaise communicante, donc elle le reconnaît. Mais elle va plus loin. Elle en joue. Elle se présente sous les traits d’une personne authentique qui incarne « la petite voix de la raison », face à tous les autres candidats – qu’elle énumère – et qui « tricheraient » en misant tout sur la com. Ce qu’elle appelle « le bruit et la fureur ». Au fond, Éva Joly se présente comme la « vraie » candidate anti-système. Une posture forte et intéressante pour elle – ne serait-ce que parce qu’elle donne, enfin, un sens à sa candidature. Mais qui arrive un peu tard.
Pour les Verts, l’enjeu de ce nouveau positionnement va beaucoup plus loin que la présidentielle. Il s’agit de savoir qui sera le principal partenaire du PS à gauche au cours des cinq années à venir. En particulier si François Hollande l’emporte le 6 mai. Les Verts ne jouent pas que leurs finances dans cette campagne. Ils jouent, en réalité, l’ensemble de leur avenir politique. Ils ont pensé pouvoir « négliger » l’élection présidentielle. Ils risquent bien de payer cette erreur – cette erreur historique – au prix fort.