pourquoi l'occident détourne les yeux en Syrie?
Posté : 31 mai 2011 19:00
par tisiphoné
Après plus d'un mois de répression sanglante, les Etats-Unis et l'Union européenne (UE) continuent de faire preuve d'une grande clémence à l'égard des dirigeants syriens. Les raisons de cette retenue sont à chercher dans l'impuissance des Etats-Unis et de l'UE face à la Syrie. Loin d'être un fait nouveau, cette impuissance a caractérisé les vaines tentatives des responsables américains et européens pour contraindre la Syrie à changer de politique entre 2003 et 2008. Les méthodes employées ont pourtant été radicales.Dans la lignée de l'intervention en Irak, l'administration Bush met en place, en 2004, de redoutables sanctions économiques de portée extraterritoriale contre le régime, tandis que dans le même temps, l'UE gèle toute négociation avec Damas. Dans le cadre du Conseil de sécurité, les Etats-Unis et la France s'organisent pour augmenter la coercition contre le régime syrien.
La résolution 1559 de septembre 2004 vient déstabiliser complètement le Liban tandis qu'en dépit de la pression internationale, les troupes syriennes se retirent sans encombre du pays du Cèdre sept mois plus tard. La création du Tribunal spécial pour le Liban, en 2007, vise une nouvelle fois à contraindre les responsables syriens. Jamais la question syrienne n'a été autant à l'ordre du jour au Conseil de sécurité de l'ONU qu'en 2007.
La multiplicité des moyens mis en place et les mesures coercitives déployées n'ont pas eu de prise sur les dirigeants syriens entre 2003 et 2008. Ils sont restés sourds aux pressions occidentales, se contentant de rechercher des soutiens auprès de leurs alliés traditionnels, Iran et pays du Golfe en tête. Ayant conscience de l'inefficacité d'une politique de fermeté à l'égard de la Syrie, l'Elysée orchestre, en mai 2008, un rapprochement entre l'UE et la Syrie.
Ainsi, et contrairement à ce qui s'est trop souvent dit, les dirigeants syriens n'ont pas changé d'attitude, c'est la France et l'Europe, qui, ayant besoin de la Syrie dans les différents dossiers régionaux, ont abandonné leur politique de fermeté. De même pour les Etats-Unis qui nomment, en 2010, un nouvel ambassadeur à Damas (après cinq ans d'absence de dialogue diplomatique) sans que les responsables syriens n'aient pour autant bougé d'un iota sur leur position d'avant 2005.
Les Etats-Unis comme l'UE ne disposent pas de moyens plus efficaces aujourd'hui pour peser sur les décisions prises à Damas. Ils ne peuvent que se limiter à condamner les agissements du régime dans des déclarations symboliques et à déployer des sanctions, qui viennent s'ajouter à celles que les Etats-Unis maintiennent, depuis 2004, malgré leur inefficacité.
La possibilité d'intervenir en Syrie a fait l'objet de nombreux commentaires dans la presse. Pourtant, l'UE, les Etats-Unis et Israël ne veulent tout simplement pas d'une intervention en Syrie. Compte tenu des moyens de nuisance dont dispose le régime syrien, il est en effet probable que les dirigeants occidentaux s'accommodent d'une répression radicale et d'un rapide retour au calme dans le pays, même s'il en coûte des milliers de vies civiles.
A travers leur soutien au Hamas dont ils abritent le bureau politique à Damas, et leur aide au Hezbollah libanais, les dirigeants syriens ont la faculté d'inquiéter indirectement Israël si cela s'avérait nécessaire. De plus, si la Syrie n'occupe plus le Liban depuis 2005, son influence y demeure réelle. Au moment de la crise politique libanaise de 2008, c'est vers Damas que Nicolas Sarkozy s'est tourné afin d'envisager une issue au conflit, réglant en quelques jours, grâce aux accords de Doha, six mois de négociations infructueuses.
Cela signifie qu'une intervention ne pourrait demeurer circonscrite au seul territoire syrien et, compte tenu des rapports de forces régionaux et de l'influence de la Syrie, ferait courir le risque d'un embrasement régional. Les dirigeants occidentaux doivent avoir conscience qu'intervenir en Syrie s'apparenterait à ouvrir la boîte de Pandore et relèverait de l'irresponsabilité la plus totale.
Le régime baasiste syrien, dont on feint de découvrir une fois encore la vraie nature, est utile aux Etats-Unis et à l'Union européenne mais aussi, et en premier lieu, à Israël. Le régime baasiste syrien semble être, sous plusieurs aspects, une garantie à la sécurité d'Israël bien que les deux Etats soient officiellement en guerre depuis 1948. La frontière israélo-syrienne est, en effet, d'une tranquillité remarquable depuis 1973 au point d'être la frontière la plus sûre de l'Etat hébreu.
Ce statut quo stratégique sert, depuis 1948, l'intérêt des deux Etats en venant prévenir tout risque de guerre directe entre eux. Ils ne se font donc la guerre que verbalement ou par factions interposées, comme entre 1982 et 1989 au Liban. Ainsi, loin de constituer une menace directe, l'existence du régime baasiste est au contraire très utile à Israël. La main de fer avec laquelle les moukhabarat (police politique) encadrent violemment la population syrienne depuis 1967 fait de la Syrie un Etat sinistre mais "stable", ce qui offre une garantie à la sécurité d'Israël.
Loin des idées reçues, la Syrie n'apparaît pas aux yeux des dirigeants occidentaux comme un régime déstabilisateur de l'"ordre" régional. Au contraire, l'Etat syrien représente la contrepartie d'un équilibre au Proche-Orient constitué avec Israël ; équilibre qui s'est construit sur l'étouffement de la société civile syrienne et qui est garanti par son maintien dans le silence. Dès lors, le régime syrien apparaît trop utile pour que les puissances occidentales se risquent à une intervention, elles s'accommodent donc de la répression brutale et relativement silencieuse qui sévit en ce moment en Syrie.
La population civile syrienne qui fait entendre sa voix contre un Etat répressif est donc fondamentalement dérangeante pour les dirigeants occidentaux. Ceux-ci doivent feindre de vouloir la fin de la répression en Syrie alors qu'ils redoutent en fait la disparition de ce régime si utile. Un vrai malaise existe donc chez les responsables européens et américains face à la situation en Syrie.
Toutefois, l'origine de ce malaise n'est pas à chercher dans les pratiques du régime syrien dont ils s'accommodent si bien depuis tant d'années, mais plutôt dans le changement de la situation occasionnée par les protestations. Cette réalité doit nous interpeller dans le sens où elle est révélatrice de la nature des politiques occidentales au Moyen-Orient : les peuples n'y ont pas leur place, et leurs aspirations, pourtant légitimes, sont encombrantes.
Une intervention en Syrie n'aura pas lieu. La révolte des Syriens risque de s'éteindre dans une sinistre et effroyable mare de sang. Celle-ci éclabousse si profondément nos choix politiques au Proche-Orient qu'il est irresponsable de vouloir débattre de la possibilité d'une intervention. Ces discussions inutiles masquent, en effet, le coeur du problème.
Si l'on doit se rendre compte de notre impuissance face à la répression des manifestations en Syrie, nous devons aussi comprendre que cette situation est largement le fruit des politiques occidentales déployées au Proche-Orient depuis quarante ans. Elles ont favorisé cet équilibre régional malsain dans lequel les peuples arabes n'ont pas droit au chapitre.
Il serait dès lors souhaitable que la répression que subissent actuellement les civils syriens donne au moins lieu à des débats constructifs sur la réorientation de nos politiques au Moyen-Orient dans un sens qui tienne enfin compte des aspirations des peuples arabes.
Et ce, afin que les fleurs apportées par le "printemps arabe" ne se retrouvent pas en Syrie, comme à Bahreïn, fanées, dans un livre d'histoire.