« Une question juridique passionnante »
Il n'y a pas non plus pléthore de sexomniaques partout autour de nous. Isabelle Arnulf n'en soigne que deux ou trois par an, contre le même nombre de nouveaux cas de somnambulisme mais chaque semaine. Tous comme les crimes perpétrés par des somnambules, cette pathologie originale interroge la justice. Il y a un préjudice, mais peut-on en juger son auteur responsable ? « C'est une question juridique passionnante », juge Yves de Gratie.
Depuis 2008, cet avocat belge défend un homme accusé du viol de sa fille de quatre ans et qui assure être sexomniaque. Après avoir été acquitté une première fois à Mons, il a été condamné à quatre ans de prison ferme en appel à la cour d'appel de Charleroi. Il y a un mois, la cour de cassation de Bruxelles a rejeté son pourvoi. Aujourd'hui, l'avocat et son client s'apprêtent à saisir la Cour européenne des droits de l'homme.
« Mon client a toujours dit qu'il ne mettait pas en doute la parole de sa fille. »
En avoir conscience ou pas …
En France, il n'y a encore jamais eu (à notre connaissance) de décision sur un cas de sexomnie. Une affaire instruite à Nantes pourrait être la première de cette nature. L'avocat belge rappelle qu'une décision de relaxe serait tout aussi possible chez nous, car les deux systèmes juridiques sont relativement proches.
« En France comme en Belgique, pour qu'un prévenu soit condamné, il faut que le ministère public et éventuellement la partie civile apportent la preuve de la réunion d'un élément moral et d'un élément matériel dans l'accomplissement du crime. Lorsque le prévenu agit dans son sommeil, il n'a pas conscience de poser un acte délictueux. L'élément moral fait donc défaut. »
« Une partie du cerveau est éveillée, l'autre endormie »
Isabelle Arnulf explique que le somnambulisme est une pathologie « très complexe » qui peut diviser le corps scientifique même.
« Une partie du cerveau est éveillée, l'autre endormie. On le sait grâce aux électrodes, ou grâce à l'imagerie fonctionnelle. »
Si on a de l'humour on est tenté de demander quelle partie du cerveau accuser. Le droit ne s'encombre pas de ces considérations. Blogueuse sur Rue89, maître Laure Heinich-Luijer explique qu'en France un tel cas est prévu par l'article de l'article 122-1 du code pénal :
« N'est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au
moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli
son discernement ou le contrôle de ses actes. »
Elle explique ensuite qu'en France dans un procès de sexomniaque, la procédure de jugement aurait été la même qu'au pays de Galles et un acquittement aurait été possible.
« Le juge aurait missionné un expert, et si l'expert avait diagnostiqué la sexomnie du prévenu, il aurait probablement aussi été jugé irresponsable. »
Mais l'avocate précise aussi :
« Depuis la loi Dati de 2008, le jugement des malades mentaux n'est plus complètement le même. Ils sont jugés irresponsables sur le plan pénal, mais il peut y avoir une audience pour que la victime puisse entendre que son agresseur est coupable mais pas responsable. »
Seule réparation possible : une audience et des soins
Cette audience devient alors la seule réparation possible, avec la thérapie ordonnée. Entre autres soins : des antidépresseurs à petites doses pour calmer la libido, et des sédatifs. Une peine qui peut sembler très légère, mais que Laure Heinich-Luijer trouve au contraire plutôt rassurante :
« Il y a une dérive du tout sécuritaire en ce moment, la Justice veut absolument juger. Souvent avec cette idée complètement fausse : tant que les gens sont en prison, ils ne peuvent pas nuire.
On pense aussi que si on les envoyait dans un hôpital psychiatrique, ils en ressortiraient tout de suite. Mais c'est faux ! Et en réalité, quelqu'un qui est en prison en sort aussi un jour et en général beaucoup plus dangereux car son état s'est aggravé. »
Mais il reste un souci : un sexomniaque, qui violerait une personne en étant tout à fait conscient de ses actes pourrait utiliser sa pathologie pour échapper à une condamnation. C'est toute la problématique de ces cas, juge Laure Heinich-Luijer.
« On juge l'acte de quelqu'un à un moment donné, on ne juge pas une
personne, on ne juge pas une maladie. C'est le summum du cas d'école. »