Dette et marchés : A qui profite le crime ?
Posté : 04 août 2011 15:36
Décryptage - Les Bourses internationales ont de nouveau dévissé mercredi. Pourquoi les marchés s'affolent-ils ? Les craintes des investisseurs sont-elles justifiées ? Les réponses de Marc Touati, directeur des études économiques chez Assya compagnie financière, à TF1 News.
TF1 News : Ce mercredi la machine financière a semblé s'emballer internationalement. Quels sont les mécanismes à l'œuvre ?
Marc Touati : Au-delà de la crise 2008-2009, nous venons de traverser deux graves crises mondiales touchant les dettes publiques, tout d'abord en Grèce et au sein de la zone euro puis aux Etats-Unis. Elles ont installé un climat de pessimisme sur les marchés. En apparence, nous en sommes sortis mais malheureusement les stigmates sont toujours là. Aujourd'hui, deux évolutions récentes génèrent à nouveau la baisse des marchés.
TF1 News : Lesquelles ?
M.T. : En Europe, a priori, un accord historique sur la dette publique grecque a été conclu. Mais seul le cas grec a été résolu. Or le problème est beaucoup plus large, il concerne la zone euro dans son ensemble. Résultat : aujourd'hui, cette crise de la dette publique se propage à d'autres pays, notamment à l'Espagne et à Italie. C'est d'ailleurs beaucoup plus inquiétant que la Grèce puisque l'Italie représente quand même 17% du PIB de la zone euro. Cela alimente les inquiétudes.
Par ailleurs, aux Etats-Unis, on vient d'obtenir un accord sur la dette américaine. Celui-ci était à mon sens inévitable, même si l'on a mis excessivement en emphase le risque de ne pas arriver à un compromis, justement pour alimenter la baisse des marchés. Mais, globalement, ce sujet est résolu. Le seul problème, c'est qu'au même moment, des indicateurs économiques publiés aux Etats-Unis montrent que la croissance américaine commence à fléchir dangereusement. Cela jette de l'huile sur le feu.
exergue "Une baisse des marchés alimentée et manipulée"
TF1 News : Vous estimez globalement que les craintes des marchés sont justifiées ?
M.T. : La vraie question est : "A qui profite le crime ?" Cette baisse des marchés est pour moi excessive, alimentée et manipulée. Au mois d'août, il y a traditionnellement peu de volume (de transactions) sur les marchés. Cela signifie que quelques grands acteurs financiers peuvent faire bouger le marché par eux-mêmes. Certains ont donc tout intérêt à alimenter toutes ces rumeurs et spéculations sur la dette publique américaine, sur la dégradation des notes et ainsi de suite, pour faire s'effondrer les marchés. Conséquence : ces marchés finissent par s'effondrer. Et à ce moment là, ces investisseurs rachètent à bas prix.
TF1 News : Qui sont ces spéculateurs ?
M.T. : On ne les connaît pas, sinon ce serait facile. Il faut donc faire très attention aujourd'hui à ne pas se faire piéger par cette volatilité extrême, sûrement en grande partie générée par des investisseurs, par des fonds, voire même par des grandes banques à travers le monde qui font le marché.
TF1 News : Les investisseurs craignent-ils vraiment un défaut de paiement des Etats-Unis ?
M.T. : Non, c'est hors de question car cela n'a pas de sens économique. Le plafond de la dette économique américaine a été rehaussé, ce qui veut dire qu'il n'y aura pas de problème réglementaire pour augmenter la dette publique.
Le vrai enjeu, c'est que, même si elle reste faible, la croissance des Etats-Unis est suffisante pour payer les intérêts de la dette publique. Ce n'est pas le cas en Europe. A part l'Allemagne, les Pays-Bas et le Luxembourg, aucun pays de la zone euro ne génère en effet assez de croissance économique pour couvrir les intérêts de sa dette publique. Par conséquent, pour les payer, ils doivent encore s'endetter. C'est ce qu'on appelle "la bulle de la dette". Ni les Etats-Unis ni l'Allemagne ne sont dans ce cas. Il est vrai que si la croissance s'écroule, peut-être que nous y arriverons, mais pour le moment, nous n'en sommes pas là.
TF1 News : Les agences de notation ne contribuent-elles pas à la tourmente des marchés ?
M.T. : J'espère qu'elles ne participent pas à cette spéculation. Mais il est clair que les agences de notation aujourd'hui en font trop, elles jouent un jeu dangereux. Elles doivent aujourd'hui faire preuve d'une plus grande transparence dans leur notation et arrêter de jeter de l'huile sur le feu parce qu'elles alimentent ces mouvements spéculatifs. Ce n'est pas normal. Elles doivent retrouver une certaine crédibilité. Et ce n'est pas en voulant dégrader tout le monde qu'elles y arriveront.
exergue "Si on dégrade les Etats-Unis, il faut le faire pour tout le monde"
TF1 News : Une dégradation de la note américaine est-elle possible ?
M.T. : Il n'y a aucune raison de le faire. Sinon, il faudrait le faire pour tout le monde. Pour la France également par exemple. C'est là le paradoxe. Si on applique à la lettre les critères de notation, la France ne mérite ainsi plus son triple A depuis quasiment 10 ans. Pourtant, on le lui maintient. Or nous n'avons même pas assez de croissance pour payer les intérêts de la dette, la dette publique explose, etc. Le problème est qu'il n'y a pas assez de transparence dans la notation délivrée par les agences. A partir de là, elles ne sont plus crédibles.
TF1 News : Quel serait le scénario si cette note américaine était néanmoins dégradée ?
M.T. : Comme je le disais, il faudrait alors dégrader tout le monde. Dès lors, les taux d'intérêt grimperaient un peu partout, ce qui casserait la croissance mondiale. Les gagnants seraient alors les pays émergents et notamment les Chinois. A la rigueur, vu qu'ils détiennent une bonne part de la dette américaine, ce serait embêtant pour eux, donc tout s'arrêterait là. Le problème, c'est que si vous dégradez les notes de toutes les dettes publiques, les acteurs financiers qui les détiennent verront leurs actifs se déprécier également. Et ils ne pourraient donc plus octroyer des crédits comme avant. La vie économique ralentirait. Ce serait extrêmement dangereux.
TF1 News : Les Chinois, qui ont déjà dégradé la note américaine, participent-ils à l'affolement des marchés ?
M.T. : Non, disons qu'ils sont les grands gagnants de cette crise. On a une double crise aux Etats-Unis et en Europe et les Chinois sont au milieu. Actuellement, quel est le seul acteur qui peut investir massivement dans la dette publique européenne ou ailleurs ? C'est la Chine. Demain un pays européen peut dire : "Je sors de la zone euro et je me mets sous la protection de la Chine qui va me financer en échange d'actifs". C'est cela qui est très dangereux. Mais il ne faut pas non plus qu'ils jouent trop avec le feu puisqu'ils détiennent .1700 milliards de dollars de bons du trésor américain. Ils n'ont donc pas non plus intérêt à trop affaiblir les Etats-Unis.
TF1 News : Ce mercredi la machine financière a semblé s'emballer internationalement. Quels sont les mécanismes à l'œuvre ?
Marc Touati : Au-delà de la crise 2008-2009, nous venons de traverser deux graves crises mondiales touchant les dettes publiques, tout d'abord en Grèce et au sein de la zone euro puis aux Etats-Unis. Elles ont installé un climat de pessimisme sur les marchés. En apparence, nous en sommes sortis mais malheureusement les stigmates sont toujours là. Aujourd'hui, deux évolutions récentes génèrent à nouveau la baisse des marchés.
TF1 News : Lesquelles ?
M.T. : En Europe, a priori, un accord historique sur la dette publique grecque a été conclu. Mais seul le cas grec a été résolu. Or le problème est beaucoup plus large, il concerne la zone euro dans son ensemble. Résultat : aujourd'hui, cette crise de la dette publique se propage à d'autres pays, notamment à l'Espagne et à Italie. C'est d'ailleurs beaucoup plus inquiétant que la Grèce puisque l'Italie représente quand même 17% du PIB de la zone euro. Cela alimente les inquiétudes.
Par ailleurs, aux Etats-Unis, on vient d'obtenir un accord sur la dette américaine. Celui-ci était à mon sens inévitable, même si l'on a mis excessivement en emphase le risque de ne pas arriver à un compromis, justement pour alimenter la baisse des marchés. Mais, globalement, ce sujet est résolu. Le seul problème, c'est qu'au même moment, des indicateurs économiques publiés aux Etats-Unis montrent que la croissance américaine commence à fléchir dangereusement. Cela jette de l'huile sur le feu.
exergue "Une baisse des marchés alimentée et manipulée"
TF1 News : Vous estimez globalement que les craintes des marchés sont justifiées ?
M.T. : La vraie question est : "A qui profite le crime ?" Cette baisse des marchés est pour moi excessive, alimentée et manipulée. Au mois d'août, il y a traditionnellement peu de volume (de transactions) sur les marchés. Cela signifie que quelques grands acteurs financiers peuvent faire bouger le marché par eux-mêmes. Certains ont donc tout intérêt à alimenter toutes ces rumeurs et spéculations sur la dette publique américaine, sur la dégradation des notes et ainsi de suite, pour faire s'effondrer les marchés. Conséquence : ces marchés finissent par s'effondrer. Et à ce moment là, ces investisseurs rachètent à bas prix.
TF1 News : Qui sont ces spéculateurs ?
M.T. : On ne les connaît pas, sinon ce serait facile. Il faut donc faire très attention aujourd'hui à ne pas se faire piéger par cette volatilité extrême, sûrement en grande partie générée par des investisseurs, par des fonds, voire même par des grandes banques à travers le monde qui font le marché.
TF1 News : Les investisseurs craignent-ils vraiment un défaut de paiement des Etats-Unis ?
M.T. : Non, c'est hors de question car cela n'a pas de sens économique. Le plafond de la dette économique américaine a été rehaussé, ce qui veut dire qu'il n'y aura pas de problème réglementaire pour augmenter la dette publique.
Le vrai enjeu, c'est que, même si elle reste faible, la croissance des Etats-Unis est suffisante pour payer les intérêts de la dette publique. Ce n'est pas le cas en Europe. A part l'Allemagne, les Pays-Bas et le Luxembourg, aucun pays de la zone euro ne génère en effet assez de croissance économique pour couvrir les intérêts de sa dette publique. Par conséquent, pour les payer, ils doivent encore s'endetter. C'est ce qu'on appelle "la bulle de la dette". Ni les Etats-Unis ni l'Allemagne ne sont dans ce cas. Il est vrai que si la croissance s'écroule, peut-être que nous y arriverons, mais pour le moment, nous n'en sommes pas là.
TF1 News : Les agences de notation ne contribuent-elles pas à la tourmente des marchés ?
M.T. : J'espère qu'elles ne participent pas à cette spéculation. Mais il est clair que les agences de notation aujourd'hui en font trop, elles jouent un jeu dangereux. Elles doivent aujourd'hui faire preuve d'une plus grande transparence dans leur notation et arrêter de jeter de l'huile sur le feu parce qu'elles alimentent ces mouvements spéculatifs. Ce n'est pas normal. Elles doivent retrouver une certaine crédibilité. Et ce n'est pas en voulant dégrader tout le monde qu'elles y arriveront.
exergue "Si on dégrade les Etats-Unis, il faut le faire pour tout le monde"
TF1 News : Une dégradation de la note américaine est-elle possible ?
M.T. : Il n'y a aucune raison de le faire. Sinon, il faudrait le faire pour tout le monde. Pour la France également par exemple. C'est là le paradoxe. Si on applique à la lettre les critères de notation, la France ne mérite ainsi plus son triple A depuis quasiment 10 ans. Pourtant, on le lui maintient. Or nous n'avons même pas assez de croissance pour payer les intérêts de la dette, la dette publique explose, etc. Le problème est qu'il n'y a pas assez de transparence dans la notation délivrée par les agences. A partir de là, elles ne sont plus crédibles.
TF1 News : Quel serait le scénario si cette note américaine était néanmoins dégradée ?
M.T. : Comme je le disais, il faudrait alors dégrader tout le monde. Dès lors, les taux d'intérêt grimperaient un peu partout, ce qui casserait la croissance mondiale. Les gagnants seraient alors les pays émergents et notamment les Chinois. A la rigueur, vu qu'ils détiennent une bonne part de la dette américaine, ce serait embêtant pour eux, donc tout s'arrêterait là. Le problème, c'est que si vous dégradez les notes de toutes les dettes publiques, les acteurs financiers qui les détiennent verront leurs actifs se déprécier également. Et ils ne pourraient donc plus octroyer des crédits comme avant. La vie économique ralentirait. Ce serait extrêmement dangereux.
TF1 News : Les Chinois, qui ont déjà dégradé la note américaine, participent-ils à l'affolement des marchés ?
M.T. : Non, disons qu'ils sont les grands gagnants de cette crise. On a une double crise aux Etats-Unis et en Europe et les Chinois sont au milieu. Actuellement, quel est le seul acteur qui peut investir massivement dans la dette publique européenne ou ailleurs ? C'est la Chine. Demain un pays européen peut dire : "Je sors de la zone euro et je me mets sous la protection de la Chine qui va me financer en échange d'actifs". C'est cela qui est très dangereux. Mais il ne faut pas non plus qu'ils jouent trop avec le feu puisqu'ils détiennent .1700 milliards de dollars de bons du trésor américain. Ils n'ont donc pas non plus intérêt à trop affaiblir les Etats-Unis.