les fusibles vont-ils payer pour le pouvoir politique ?
Posté : 10 septembre 2011 08:15
Frédéric Péchenard, patron de la police, a admis avoir donné l’ordre d’examiner les factures de téléphone du journaliste du Monde travaillant sur l’affaire Bettencourt. Veut-il jouer le rôle du fusible pour les dirigeants politiques ?
Il a avoué. Vendredi, sur France Info, Frédéric Péchenard, directeur général de la police nationale, a admis être le donneur d’ordre dans l’affaire des écoutes du Monde. « Oui, j’ai demandé à la Direction Centrale du Renseignement Intérieur d’identifier le haut fonctionnaire qui, soumis au secret professionnel et ayant un accès direct des documents sensibles, divulguait des informations confidentielles dans une affaire judiciaire en cours. Je trouve cela grave. Il s’agit d’une infraction pénale ».
Claude Guéant, ministre de l’Intérieur, avait déjà admis l’existence de ces espionnages consistant à faire examiner en juillet 2010 les factures téléphoniques de Gérard Davet, journaliste au Monde par la DCRI. C’est Brice Hortefeux qui occupait le ministère de l’Intérieur à l’époque. Il s’agissait alors d’identifier la source de Davet dans l’affaire Bettencourt. Et ce fut David Sénat, ex-conseiller de Michèle Alliot-Marie, qui a été soupçonné par le renseignement intérieur. La sanction est vite tombée : le conseiller écopa d'une mutation... à la Cour d'appel de Cayenne.
Dans un autre volet de l’affaire des écoutes du Monde, une enquête lancée suite à une plainte du Monde, est également en cours sur l’espionnage à l’encontre Gérard Davet et deux de ses collègues. Cette fois, c’était le parquet de Nanterre dirigé par Philippe Courroye qui avait demandé cette enquête, annulée par la Cour d’appel de Bordeaux, soupçonnant la juge Prévost-Desprez, ennemie jurée de Courroye, d’être la source des journalistes. Le donneur d’ordre a déjà été identifié par la Justice, il s’agit de Marie-Christine Daubigney… l'adjointe de Courroye.
Affaires politiques
Péchenard et Daubigney semblent donc jouer le rôle des fusibles. Mais qui protègent-ils ? Qui peut penser que l’adjointe de Courroye puisse demander une enquête visant l’ennemie jurée de son patron sans lui en référer ? Et d’une manière générale, une procureure adjointe peut-elle demander une enquête aussi sensible sans en parler à son supérieur ?
Plus largement, il est évident que lors d’enquêtes judiciaires, des policiers, des magistrats et autres font fuiter des informations vers les journalistes, sans entraîner d’enquête de la DCRI. La députée PS Aurélie Filipetti avait pris l’exemple de sa plainte pour violences conjugales qui s’était retrouvée le lendemain matin dans le Figaro. Si on admet les arguments de Péchenard sur le caractère fondamental du secret professionnel des fonctionnaires, pourquoi ne pas avoir lancé d’enquêtes sur ces autres fuites ?
La seule explication valable est que l’affaire Bettencourt se distingue par son caractère politiquement dérangeant pour l’Elysée. C’est donc bien le pouvoir politique qui avait intérêt à identifier les sources des journalistes. Le sort de David Sénat prouve d’ailleurs qu’on peut se montrer très rancunier en haut lieu envers les hauts fonctionnaires trop bavards.
Barbouzeries
Alors, certes, Frédéric Péchenard est un bon élève et un fidèle de Nicolas Sarkozy, mais a-t-il réellement demandé seul ces espionnages, en dehors de tout cadre légal, sans demande, ni même un avis du ministère de l’Intérieur voire de Élysée ? Interrogé sur ce point par France Info, Péchenard a préféré noyer le poisson : « Je viens de vous répondre clairement sur les raisons qui ont motivé cette demande d’identification... ».
Dans cette affaire, les grosses pointures, que ce soit Courroye, Élysée ou le ministère de l’Intérieur, sont toujours hors de cause. Ce sont les seconds couteaux qui sont en première ligne. Et même si Claude Guéant (secrétaire général de Élysée au moment des espionnages) a confirmé qu’il n’y aurait « bien évidemment » aucune sanction de sa part contre les services de police, la Justice pourrait se pencher sur ces espionnages et leur caractère illégal. De son côté, Péchenard a affirmé qu’il répondrait « bien naturellement » à toute convocation.
Quelques mois avant la présidentielle, cette plongée dans les barbouzeries en tous genres pourrait être explosive pour Nicolas Sarkozy, lui qui cherchait à se protéger à tout prix des affaires en cours. C’est l’arroseur arrosé.