l’homme préhistorique mangeait épicé
Posté : 25 août 2013 21:08
Les épices sont un compagnon discret mais cependant important de l'histoire de l'homme. Pendant longtemps, contrôler les routes des épices était synonyme de richesse et ces plantes ont pour partie conduit au développement des grandes explorations des XVe et XVIe siècles, à la découverte des Amériques et, aussi, à la colonisation des contrées lointaines par les grandes puissances européennes. Mais le commerce et l'usage des épices sont nettement plus anciens que ces épisodes devenus des classiques des livres d'histoire.
Si l'on remonte dans le temps, on trouve les traces de ces échanges dans l'Antiquité romaine, avec la présence d'épices exotiques dans le nord-ouest de l'Europe. Plus loin encore dans le passé, des archéologues ont découvert des clous de girofle dans la Mésopotamie du XVIIIe siècle avant notre ère, ce qui implique une circulation au long cours de ces ingrédients précieux étant donné que le giroflier ne poussait à l'époque que dans l'archipel des Moluques (actuelle Indonésie). Pour les archéologues, la question est désormais de savoir depuis quand notre espèce assaisonne et relève sa cuisine.
Grâce à une étude publiée le 21 août par PLoS ONE, la réponse est : depuis bien plus longtemps qu'on ne le croyait. Il est particulièrement ardu de mettre en évidence l'usage de plantes lorsque les objets récupérés ont plusieurs milliers d'années, puisque les éventuels éléments végétaux (pollens, graines, morceaux de feuilles) ont très bien pu arriver par accident sur les lieux de fouille. C'est pourquoi les auteurs de cet article ont choisi de travailler sur des tessons de poterie préhistoriques mis au jour sur trois sites datant d'environ six mille ans, au Danemark et en Allemagne. Ils se sont d'abord assurés que la matière incrustée dans ces tessons provenait bien de restes de nourriture. La réponse a été positive puisqu'il s'agissait de graisses cuites provenant soit de poissons soit de ruminants.
Puis ils ont recherché dans ces dépôts d'éventuels phytolithes, c'est-à-dire des micro-fossiles de cellules végétales. Leur patience a été récompensée car sous le microscope sont apparus plusieurs débris, morceaux de feuilles ou de graines. A chaque fois il s'agissait d'alliaire officinale, aussi connue sous le nom d'herbe à ail, une plante au goût d'ail un peu poivré, avec laquelle on peut aussi confectionner de la moutarde (d'où son nom anglais de "garlic mustard"). L'alliaire officinale n'ayant pas de valeur nutritionnelle particulière, les chercheurs en concluent que les hommes préhistoriques de la région s'en servaient pour relever le goût de leurs aliments, ce qui en fait la plus ancienne épice jamais utilisée en Europe. Ainsi que le souligne Hayley Saul, archéologue à l'université d'York (Royaume-Uni) et première signataire de l'étude, cette découverte "conteste l'idée que les chasseurs-cueilleurs et les premiers agriculteurs exploitaient les plantes uniquement pour leurs besoins en énergie et non pas aussi pour leur goût".
L'article de PLoS ONE s'interroge également sur l'origine de cette cuisine. A-t-elle été inventée sur place, en Europe du Nord , ou bien faut-il y voir l'influence de la culture proche-orientale, laquelle est à l'époque en train de transmettre dans la région sa toute dernière invention, l'agriculture ? L'enjeu est de comprendre si, en important l'idée de mettre dans leurs assiettes des céréales et des légumineuses cultivées, avec de la viande issue de l'élevage, ces hommes de la fin du Ve millénaire avant notre ère ont également importé des pratiques culinaires venues d'ailleurs. Il n'est pour le moment pas possible de répondre à la question car les datations ne sont pas suffisamment précises pour déterminer avec certitude si les poteries et leurs restes de nourriture sont antérieurs ou postérieurs à l'apparition de l'agriculture dans la région. Il ne faut peut-être pas non plus exclure la possibilité que l'alliaire officinale ait aussi été utilisée pour ses vertus thérapeutiques, dont son nom français témoigne. Quoi qu'il en soit, en montrant par une méthodologie robuste, que l'utilisation des épices remontait à plus de 6 000 ans, cet article ouvre une nouvelle voie dans l'étude de la préhistoire, celle de l'archéologie gastronomique !