Je suis libéral et probablement plus à gauche que bien des anti-libéraux parce que, à mes yeux, l'État doit être exemplaire. Comptable de chaque euro collecté. La question fondamentale à mes yeux n’est pas tant de «faire payer les riches» que de veiller soigneusement à bien dépenser ce que les pauvres et les riches payent déjà. La mamie dont le bureau de poste a fermé paye des impôts. Est-il normal que ces impôts servent à monter puis démonter des portiques, payer l’absence de neige, renoncer à des logiciels, lancer des grands travaux douteux, payer des logements de fonction ou des frais de déplacements prohibitifs, tolérer la disparition de meubles, accepter que l’on ferme des bureaux pour un pot de départ, perdre des millions dans Mia ou Viadeo ou en jouant au casino des emprunts toxiques, constater qu’un ministre pense d’abord à voyager ou à faire carrière dans le privé?
Et qu’il peut plaider pour sa chapelle au nom de l’intérêt général.
Ce ne sont que quelques exemples hélas de dépenses publiques douteuses.
La dette, qui nous plombe
Tout cela, c’est vous, moi et la petite mamie dont le bureau de poste a fermé qui le payons. Sans oublier le remboursement d’une dette qui chaque année nous fait perdre des hôpitaux, des salaires de profs, des travaux sur les routes ou des laboratoires de recherche. Rien que les intérêts de cette dette nous ont coûté 55 milliards d’euros (en 2012). Regardez le budget de l'État en 2017 et faites-vous plaisir en imaginant comment utiliser ces 55 milliards.
Inutile de hurler sur l’évasion fiscale qui jugulée, mettrait fin à nos problèmes. C’est un mythe, un autre bouc émissaire, qui nous empêche de penser.
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Libéral ou capitaliste: ce n’est pas la même chose
Citant Pierre Mendès-France, Hubert Védrine indiquait qu’un pays qui ne contrôle pas ses finances publiques est un pays qui s’abandonne. Comme Mendès-France, figure de gauche (ultralibéral?), je pense que la dette est une possibilité occasionnelle, pas une facilité récurrente. Je crois à la force de l'État stratège. Mais le nôtre n’a plus le choix: en fait de stratégie, il colmate les brèches. Est-ce si compliqué de définir un budget à l’équilibre? De cesser de s’endetter pour les dépenses courantes (le fonctionnement) et de réserver l’emprunt aux projets d’avenir (l’investissement)?
Le libéralisme ultra-tempéré d’Emmanuel Macron
Pour plusieurs raisons, je ne crois pas qu’Emmanuel Macron soit libéral. Ou bien il l’est, dans les limites de l’exercice en France. Il entend mener, assurément, quelques réformes libérales. Mais, s’il est élu, il n’y aura pas de «grand soir thatchérien» comme je le lis parfois; il devra procéder à petites touches. Pour éviter les manifs, il se limitera à un libéralisme très tempéré. Son approche est prudente parce qu’il sait combien l'État français est difficile à secouer et que la moindre secousse peut se transmettre à l’ensemble de la société. Dommage?
S’il était libéral, il poserait le diagnostic de l’intervention publique. Les rapports s’accumulent, les comparaisons internationales existent, seule la volonté manque. La Cour des comptes dit tout ou presque.
Sans doute définirait-il le périmètre stratégique de l’intervention publique. Annoncer la suppression de 120.000 fonctionnaires ne sert pas à grand chose si cela ne s’accompagne pas d’une réflexion globale. A-t-on besoin de tous les ministères? Existe-t-il des redondances? Des commissions inutiles? Des comités de pilotage chronophages? Dans quels domaines est-il primordial ou secondaire d’agir? Quelle nouvelle organisation en découlerait?
Et il s'interrogerait sur l'État employeur. On manque de policiers? D’infirmières? Il y a des sureffectifs ailleurs, certains lisent Spinoza au lieu de bosser alors qu’il faut affecter d’être «absolument débordée». Hélas, le cloisonnement, la rigidité des statuts et des primes empêchent trop souvent la mobilité, d’un métier, d’une région à l’autre. l'État impose la diversité mais s’avère incapable de la pratiquer? Tandis que certains sont (très) choyés, on paye ses profs au lance-pierres? Immense chantier que celui de l'État employeur! Sans cesse repoussé ou colmaté avec des CDD, des postes précaires…
Le soir, il relirait les œuvres complètes de Kafka et se poserait de nombreuses questions: tirage au sort des étudiants en médecine, mobilisation de tous les moyens parlementaires dans des débats inutiles, embrouillamini fiscal (230 impôts différents pour les entreprises par exemple, pour un coût de collecte de 5,7 milliards), complexité dissuasive des critères d'attribution d'aides sociales, incapacité à accueillr les handicapés, douteuse efficacité des subventions dans l’agriculture, sur-efficacité des subventions dans la culture (personne ne va voir nos films mais on est payés youpi).
Macron pourra-t-il repenser l'État?
Son programme ne porte guère trace de toutes ces réflexions et il n’est pas exclu de voir surgir, tel ce pass culture, quelques gadgets gouvernementaux dont on a pris l’habitude depuis longtemps et qui, sans régler aucun problème, alimentent le maquis administratif. Que deviendra en effet cette «plateforme qui sera gérée par le ministère» que décrit le candidat?
Il est à craindre que l'État soit toujours perçu comme la solution alors que son efficacité a largement diminué ces dernières années (la faute à l'ultralibéralisme!). Il est à craindre que l'on dépense toujours pour plus en fonctonnement, y compris lorsqu'il s'agit d'apporter des aides à ceux qui en ont besoin.
Mais peut-être Emmanuel Macron a-t-il cela en tête? Sans le dire, peut-être écartera-t-il les énarques de son gouvernement (qui ne pensent que par l'État) et bousculera-t-il les habitudes? C’est aujourd’hui peu probable. Mais rien n’est exclu. Le dévouement et la compétence des fonctionnaires sont réels. C’est la machinerie administrative qui est à blâmer, dans sa trop grande complexité, comme en témoigne le bilan mitigé du choc de simplification.
Repenser l'État: la tâche est herculéenne.
A la fin de cet article, j’ai conscience d’avoir écrit de nombreux gros mots et je mérite les insultes des lecteurs pour avoir douté de l’omnipotence de la puissance publique. Un ancien Premier ministre avait osé dire: «l'État ne peut pas tout». On sait ce qu’il est devenu… Mais, si le lecteur est curieux, qu’il clique sur les liens et s’interroge sur notre étrange tendresse pour les défaillances publiques.
Qui aime bien châtie bien. J’en conclus qu’il faut être libéral pour aimer l'État. L’aimer assez pour le vouloir presque parfait.