Débats présidentielles 2022 : sujet général Marine Le Pen
Posté : 04 mars 2022 07:59
https://www.francetvinfo.fr/politique/m ... 90870.htmlPrésidentielle : on a vérifié neuf affirmations de Marine Le Pen dans "Elysée 2022"
Au cours de l'émission politique de France 2, jeudi soir, la candidate du Rassemblement national à la présidentielle a fait quelques déclarations qui ont mérité des vérifications.
Guerre en Ukraine, pouvoir d'achat, retraites... Pendant plus de deux heures, Marine Le Pen a défendu ses propositions et ses positions face aux journalistes de France Télévisions dans l'émission "Elysée 2022", jeudi 3 mars sur France 2. Franceinfo a vérifié neuf déclarations de la candidate du Rassemblement national.
>> Les neuf séquences à retenir de l'émission "Elysée 2022" avec Marine Le Pen
L'opposante à Emmanuel Macron au second tour de la présidentielle de 2017 a tenté de se présenter comme la principale adversaire du chef de l'Etat, qui avait officialisé sa candidature quelques minutes plus tôt.
1 Les chiffres avancés par Emmanuel Macron dans sa lettre de candidature sont "faux" : à nuancer
"J'ai regardé un petit peu les chiffres qu'il donne sur les emplois industriels. C'est faux. Les chiffres sur le chômage, c'est faux."
Marine Le Pen
dans "Elysée 2022"
Interrogée sur la candidature d'Emmanuel Macron, Marine Le Pen a pointé des erreurs dans la lettre adressée aux Français jeudi soir par le président de la République. Le chef d'Etat y affirme, notamment, que le chômage a atteint son plus bas niveau depuis quinze ans. C'est vrai selon les chiffres de l'Insee, mais la précarité de l'emploi a également augmenté, notamment en raison d'une hausse des emplois partiels. Ainsi, en prenant les catégories A, B et C, il y a plus de 5,5 millions d'inscrits à Pôle Emploi et deux millions de chômeurs de plus qu'en 2008.
Dans son texte adressé aux Français, le président français assure également que "notre industrie a pour la première fois recréé des emplois". La France a effectivement créé des emplois industriels en 2021, mais sur les cinq dernières années le déclin industriel s'est poursuivi. Après avoir reculé en 2020, l'emploi industriel a de nouveau augmenté en 2021. Plus de 18 000 emplois industriels ont été créés au cours de cette année, selon les dernières données de l'Insee. Cependant, il reste inférieur à son niveau d'avant-crise sanitaire, avec −1,2% par rapport à fin 2019.
Si on regarde sur les cinq dernières années, entre début 2017 et fin septembre 2021, plus d'un million d'emplois salariés ont été créés. Le déclin industriel s'est poursuivi avec la perte de 16 000 emplois salariés sur cette période. Toutefois, cette baisse est nettement moins marquée que sur la période précédente (environ 147 000 emplois en moins, entre début 2012 et fin septembre 2016).
2 "On a un peu laissé tomber" les accords de Minsk : plutôt vrai
"Cette guerre est un peu la conséquence de l'échec de l'application des accords de Minsk-2, dont la France était la marraine. Il y a un accord qui a été signé, et on l'a un peu laissé tomber."
Marine Le Pen
dans "Elysée 2022"
Questionnée sur la guerre en Ukraine, Marine Le Pen est revenue sur les accords de Minsk, signés en septembre 2014 et en février 2015 entre l'Ukraine et la Russie, sous l’égide de la France et de l'Allemagne. La candidate du RN estime que ce protocole a "été abandonné", ce qui explique “en partie” la réaction de Vladimir Poutine. Ce protocole a mis fin aux affrontements violents de 2014 entre les forces ukrainiennes et les forces séparatistes, dans la partie orientale du Donbass ukrainien. Ils contenaient plusieurs dispositions, comme un retrait des armes lourdes de part et d'autre de la zone de contact, et une réintégration des deux territoires séparatistes en Ukraine, en échange d'une large autonomie, d'élections libres et de démilitarisation.
Un an après une rencontre pour consultations des ministres des Affaires étrangères, une réunion des chefs d’Etat et de gouvernement s'est déroulée en 2019. Il y a bien eu des échanges de prisonniers cette année-là et l'année suivante, mais c'est à peu près tout. L'Ukraine considérait qu'il était impossible d'organiser des élections tant que la zone n'était pas démilitarisée, et la Russie a distribué des centaines de milliers de passeports dans ces territoires afin d'y asseoir son influence.
"Moscou préfère une zone d'instabilité permanente et n'a pas grand intérêt à la résolution du conflit", analysait toutefois la chercheuse Anna Colin Lebedev pour franceinfo, avant le début de la guerre. En décembre 2021, alors que l’armée russe se massait aux frontières ukrainiennes, les ministres des Affaires étrangères du G7 apportait de nouveau leur "soutien aux efforts de la France et de l'Allemagne" pour la mise en œuvre de l’accord.
3 Un ancien accord garantissait la neutralité de l'Ukraine : à nuancer
"Il y avait un accord passé entre les Etats-Unis, l'Allemagne, la France et la Russie naissante pour que l'Otan ne s'élargisse pas et ne réarme pas des pays proches de la Russie. Et donc que l'Ukraine devait rester en quelque sorte, une forme de pays qui ait une neutralité pour éviter qu'il existe des conflits."
Marine Le Pen
dans "Elysée 2022"
Marine Le Pen est également revenue sur le rôle de l'Otan dans la région, avec une référence au passé. "Comme Der Spiegel l'a révélé en ressortant des documents provenant des britanniques", Marine Le Pen évoque un "accord" de non-extension de l'Otan passé entre plusieurs pays au tournant des années 1990. Le président russe Vladimir Poutine utilise régulièrement cette "promesse orale" – et une trahision occidentale – pour justifier son intervention militaire. Et quand bien même, l'Otan n'a jamais donné d'avis favorable à une intégration de l'Ukraine.
Cet argument repose sur des déclarations connues et des documents déclassifiés (en anglais). A la chute du mur de Berlin, en 1989, on s'interroge sur l'intégration de l'Allemagne de l'Est à l'Otan. Pour convaincre l'URSS, le secrétaire d'Etat américain de l'époque, James Baker, assure à Mikhaïl Gorbatchev que "la juridiction militaire actuelle de l'Otan ne s'étendra pas d'un pouce vers l'Est". Mais le traité de 1990, finalement, n'interdit pas explicitement l'élargissement.
Par ailleurs, Marine Le Pen omet un point important : la Russie a enfreint des promesses écrites contraignantes. Notamment le mémorandum de Budapest, signé en décembre 1994, qui garantissait l'intégrité territoriale de l'Ukraine. Une promesse qui a volé en éclats avec l'annexion de la Crimée par Moscou en 2014. En résumé, expliquait le chercheur David Teurtrie à franceinfo, "les Occidentaux répondent à la Russie : 'Vous dites qu'on a violé un engagement qui n'est présent dans aucun traité, mais vous aviez signé le mémorandum de Budapest, qui garantit l'intégrité territoriale de l'Ukraine'."
4 Les Allemands veulent continuer de recevoir du gaz russe : c'est plus complexe
"Les Allemands défendent leurs propres intérêts, et, notamment, ne veulent pas ne plus recevoir de gaz russe."
Marine Le Pen
dans "Elysée 2022"
La candidate RN a estimé que les sanctions économiques n'avaient pas une grande efficacité pour contraindre un pays engagé dans un conflit à cesser les combats. Et que ces décisions entraînaient des conséquences pour les populations, y compris dans les pays ayant prononcé des sanctions. Elle a notamment cité l'exemple de l'Allemagne, très dépendante du gaz russe, et réticente selon elle à couper les importations.
Mais le ministre de l'Economie allemand, Robert Habeck, a pourtant déclaré : "Nous devons nous libérer des importations énergétiques russes", a-t-il martelé en conférence de presse. Le gouvernement a débloqué 1,5 milliard d'euros pour acheter du gaz naturel liquéfié, dont les principaux exportateurs sont les Etats-Unis, le Qatar et l'Australie. Mais le pays n'a pour le moment aucun terminal méthanier sur son territoire pour recevoir les livraisons.
Une situation qui oblige Berlin à faire appel à l'un des 21 terminaux présents dans l'Union européenne, ce qui entraîne des coûts de transport, alors même que le prix du gaz et de l'énergie s'est envolé ces derniers mois. "Il faut construire rapidement nos propres méthaniers GNL en Allemagne, avec les connexions et l'infrastructure nécessaires", a donc conclu le ministère de l'Economie.
5 Le gaz est "quatre fois plus cher" depuis le début de la crise ukrainienne : faux
"Je vois que le gaz est aujourd'hui quatre fois plus cher qu'il ne l'était il y a quelques semaines et que cette situation pourrait encore s'aggraver de manière spectaculaire."
Marine Le Pen
dans "Elysée 2022"
Au cours de l'émission, Marine Le Pen a mentionné les répercussions de la guerre en Ukraine sur l'économie française. Elle estime notamment que le prix du gaz est "quatre fois plus cher qu'il ne l'était il y a quelques semaines". C'est faux, si l'on en croit les chiffres donnés par le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, mardi sur franceinfo. La France a constaté "une hausse de l'ordre de 10% depuis le début de la crise en Ukraine", a déclaré Bruno Le Maire. "Donc on n'est pas dans une flambée multipliée par deux, par trois ou par quatre", a relativisé le ministre de l'Economie. Le gouvernement envisage une prolongation du dispositif de bouclier tarifaire "jusqu'à la fin de l'année".
Pour rappel, la France dépend aujourd'hui à 20% du gaz russe. C'est moins que certains de nos voisins. Les importations de gaz russe de l'Allemagne et de l'Italie représentent près de la moitié de leur consommation.
6 Marine Le Pen est la "seule" candidate à proposer un départ à la retraite à 60 ans, avec 40 annuités, pour les travailleurs qui ont commencé avant 20 ans : faux
"Je suis la seule à proposer une retraite qui permette à ceux qui sont entrés dans le monde du travail en-dessous de 20 ans de partir avec 40 annuités, à 60 ans."
Marine Le Pen
dans "Elysée 2022"
Marine Le Pen a assuré être la "seule" candidate à proposer un départ à la retraite à 60 ans, avec 40 annuités, pour les travailleurs entrés sur le marché du travail avant 20 ans. Or, le candidat de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, par exemple, propose un âge légal de départ à la retraite à 60 ans avec 40 annuités de cotisation, indépendamment de l'âge d'entrée sur le marché du travail. De son côté, le candidat communiste Fabien Roussel souhaite instaurer le départ à la retraite à 60 ans "pour une carrière complète allant de 18 à 60 ans", peut-on lire sur son programme.
L'ex-députée européenne a récemment revu sa position sur les retraites. Initialement, elle envisageait un départ à la retraite à 60 ans avec 40 annuités pour tous. Une proposition qui avait été critiquée y compris dans son propre camp, certains redoutant une mesure repoussoir pour l'électorat de droite.
La candidate du RN est finalement revenue le 17 février sur cette proposition. Elle souhaite désormais un système progressif de départ à la retraite, en réservant la retraite à 60 ans avec 40 annuités aux Français entrés dans la vie active avant l'âge de 20 ans. Pour ceux qui commencent à travailler après l'âge de 20 ans et jusqu'à 24,5 ans, "un système progressif de 160 à 168 trimestres de cotisations sera mis en place", a-t-elle ajouté, pour un départ entre "60,7 et 62 ans".
7 Le pourcentage des dépenses de retraites par rapport au PIB est "soutenable" : à nuancer
"Le pourcentage [du système de] retraites par rapport au PIB est soutenable."
Marine Le Pen
dans "Elysée 2022"
Après avoir détaillé son programme sur les retraites, Marine Le Pen a nuancé le poids des pensions dans l'économie française sur le long terme. La candidate RN se réfère au Conseil d'orientation des retraites (COR). "La part des dépenses de retraite dans le PIB a atteint un niveau particulièrement élevé en 2020, à 14,7% de la richesse nationale", mentionne le rapport de juin 2021. Mais en effet, les dépenses du système de retraite par rapport au PIB diminueraient (PDF, page 9), sur la période 2030-2070 dans tous les scénarios "et varieraient ainsi de 11,3 % à 13,0 % à l'horizon de la projection." C'est la partie du rapport cité par la candidate du RN.
Mais Marine Le Pen oublie la suite. Cette tendance peut surprendre dans un contexte de vieillissement de la population. Mais elle s'explique par deux raisons, explique le COR : l'augmentation de l'âge de départ à la retraite (de 62,2 ans en 2019 à un peu moins de 64 ans vers 2040, si la loi n'est pas modifiée), les réformes passées et le recul de l'âge d'entrée dans la vie active. Et également une baisse des pensions moyennes par rapport aux revenus d'activité (31-36%, contre 50% actuellement). Des conditions plus dures, donc.
8 La dette a augmenté de 600 milliards d'euros sous le quinquennat Macron : vrai
"Le bilan Macron sur le plan budgétaire, 600 milliards de dettes supplémentaires en un quinquennat."
Marine Le Pen
dans "Elysée 2022"
La candidate du Rassemblement national a taclé le président de la République sur sa gestion des finances publiques, fustigeant les "600 milliards de dette supplémentaires" pendant le quinquennat.La dette est effectivement passée de 2 231,7 milliards d'euros à la fin du deuxième trimestre 2021, qui correspond au début du quinquennat d'Emmanuel Macron, à 2 834,3 milliards d'euros à la fin du troisième trimestre 2021, selon les dernières données disponibles de l'Insee. Soit 602,6 milliards d'euros de plus.
Ajoutons que le dernier budget de l'Assemblée nationale estime à "680 milliards" d'euros la dette sur l'ensemble sur quinquennat d'Emmanuel Macron. Une partie de ce chiffre s'explique par la crise sanitaire sans précédent qui a frappé le monde. La "dette Covid" s'élève à 165 milliards d'euros, relève la Cour des comptes dans son dernier rapport public annuel (PDF).
9 Les émissions CO2 importées représentent 50% de l'empreinte carbone de la France : vrai
"L'empreinte carbone de la France, c'est 50% de nos importations."
Marine Le Pen
dans "Elysée 2022"
Interrogée sur les questions climatiques, Marine Le Pen a dénoncé le poids des échanges internationaux dans les questions environnementales. La candidate Marine Le Pen voulait sans doute dire : "50% d'importations", en référence aux effets induits par la consommation sur le climat. Le chiffre évoqué par la candidate RN apparaît bien dans un rapport du Commissariat général au développement durable de janvier 2020 : les émissions importées représentent plus de la moitié de l'empreinte carbone de la France (57% en 2018).
Les émissions intérieures ont diminué de 30% entre 1995 et 2018 (4,8 tonnes équivalent CO2 par habitant en 2018) et les émissions importées (pétrole, automobile, électronique…) ont augmenté de 78% (6,4 tonnes équivalent CO2). Marine Le Pen recommande "de changer le système économique mondial avec du localisme et de l'économie circulaire". A demande constante, et en reportant une partie de la production en France, il faudrait toutefois reporter une partie des émissions importées dans les émissions intérieures.