"J'ai eu tort." Ainsi commence l'histoire de Paul Miller, qui expose, dans The Verge, le bilan d'une expérience aussi technologique que personnelle, consistant à se couper du Web un an durant. Le jeune homme voulait mesurer l'impact d'Internet sur sa vie en vivant sans lui. Il était fatigué de la profusion des informations, des errances sans fin dans les méandres du Réseau mondial, des e-mails qui s'accumulent. Il imaginait que le Web le rendait "improductif", "manquait de sens", "corrompait son âme". Il voulait renouer, en dehors du monde virtuel, avec le "vrai Paul", partir en quête de son identité authentique. Son hypothèse de départ, en somme : "La vie réelle m'attendait, peut-être, de l'autre côté du navigateur web."
Les premiers temps de sa cure de déconnexion, Paul fut ravi, épanoui. "Je m'aime mieux sans Internet", dit-il au bout d'un mois. Il découvre qu'il n'y a rien de plus simple que de se couper du Web : au lieu d'utiliser Google Map, il suffit d'acheter des cartes en papier, au lieu d'ouvrir sa messagerie électronique, d'ouvrir sa boîte aux lettres. Il écrit un livre, voit ses amis en chair et en os, fait du frisbee et du vélo. Certes, "je m'ennuyais un peu, et me sentais un peu seul", dit-il, mais il savoure de faire enfin "les choses qui [lui] importent vraiment". Lors d'une conférence sur Internet donnée par des juifs ultra-orthodoxes, il entend que le Web "reprogramme nos relations, nos émotions, notre sensibilité. Il détruit notre patience. Il transforme les enfants en légumes qui cliquent." Et se fait conseiller de profiter de cette année de pause pour "s'arrêter et sentir les fleurs". Ce qu'il fit. Dans un premier temps.
Car au fur et à mesure, les nouveautés de la vie déconnectée se muèrent en contraintes, et la motivation pour les surmonter – toquer chez quelqu'un plutôt que de lui envoyer un message sur Facebook par exemple – le quitta. Son frisbee et son vélo commencèrent à prendre la poussière. Il découvrit que les vices et les problèmes qu'il imputait à Internet se posaient tout autant sans Internet, même s'ils se manifestaient sous une autre forme. "Une douzaine de lettres par semaine peuvent se révéler aussi oppressantes qu'une centaine d'e-mails par jour", explique-t-il en guise d'exemple.
Ainsi, au bout de quelques mois, le dynamisme et la créativité de Paul Miller virèrent à la "consommation passive et au repli social". Il admit que la recherche de la "vraie vie" était un mythe – "il y a beaucoup de 'réalité' dans le monde virtuel, et beaucoup de 'virtualité' dans nos réalités" – et que le "vrai Paul (...) était inextricablement lié à Internet". Enfin, s'il ne savait pas vraiment ce qu'il avait gagné, il réalisait ce qu'il avait perdu : la connexion avec les autres.