Beau panier de crabes.
Au procès des assistants fictifs du RN, les justifications de Bruno Gollnisch dans l’ombre de Jean-Marie Le Pen
Des cadres historiques du parti ont défilé à la barre depuis lundi, témoignant de plus ou moins bon gré des pratiques mises en place par l’ancien chef du FN pour faire salarier son personnel par l’Europe.
Bruno Gollnisch avait promis de débarquer au tribunal correctionnel de Paris en poussant devant lui sa brouette remplie de cartons d’archives, un tas de documents censés démontrer la réalité du travail de ses anciens collaborateurs à Bruxelles. Las, mercredi, au cinquième jour du procès des assistants parlementaires présumés fictifs du RN, l’ancien député européen n’a pas été jusque-là : les juges se sont vus proposer à la place la lecture d’un DVD par l’un de ses ex-employés, un certain Guillaume L’Huillier. Ce dernier faisait officiellement fonction d’assistant parlementaire de Gollnisch au Parlement européen entre 2005 et 2008, alors qu’il occupait en réalité le poste de directeur de cabinet de Jean-Marie Le Pen : le titre apparaissait en signature de tous ses courriers électroniques.
Sur le DVD, une heure trente d’entretiens avec Gollnisch réalisés en 2008, et censés prouver que L’Huillier a quand même fait quelque chose avec et pour lui, au moins une fois. Surprise dans la salle : jusque-là, la justice n’avait pas trouvé de preuves de leur relation professionnelle d’antan. Durant l’enquête, l’examen du portable de L’Huillier a surtout montré qu’il n’avait jamais échangé avec son eurodéputé de rattachement pendant les périodes où il était censé bosser pour lui.
Mardi, la veille, Gollnisch avait quand même sorti une preuve : un fascicule auto promotionnel réalisé en 2010 par «ses équipes» au cours de l’un de ses mandats. La vie de Gollnisch, son œuvre, son trisaïeul à moustache (Edmond Gollnisch), des photos du petit Bruno enfant, en tenue de scout, puis adulte : le député avec le groupe frontiste à Bruxelles, lui en meeting à Sofia… Et puis enfin, «on ne peut pas séparer l’élu du responsable frontiste», avance à la barre l’ex-numéro 2 du FN. Ses ex-assistants, prévenus avec lui, n’étaient donc pas des emplois fictifs, puisqu’ils travaillaient. Certes pas directement pour lui, mais en faisant «de la politique» pour le FN, dans une espèce de cause générale qui, au bout du compte, devait bien servir l’Europe. La logique est difficile à saisir, mais il s’agit de la défense principale de la formation d’extrême droite dans son procès. Peu importe que le fascicule de Gollnisch n’ait pas été réalisé par ceux qui sont renvoyés avec lui : Guillaume L’Huillier donc, mais aussi Micheline Bruna, l’ex-secrétaire personnelle de Jean-Marie Le Pen, et Yann Le Pen (la sœur de Marine Le Pen).
La présidente du tribunal, Bénédicte de Perthuis, rappelle quand même le cadre des préventions : «
Le fait que ces personnes aient ou non travaillé pour le parti à côté, ce n’est même pas la question.» Ce qui fait le dossier, en effet, ce sont ces personnes qui n’ont pas exécuté leurs tâches pour le Parlement européen, tout en étant payées par lui. Mais voilà que Gollnisch, crinière blanche, veste à boutons dorés, phrases au subjonctif, rabroue la présidente quand il estime qu’elle lui coupe un peu trop la parole, piqué au vif dans sa fierté de vieil homme, lui qui fut un jour un cadre politique d’importance, «parmi l’élite du Parlement européen», avant de se trouver traité comme un vulgaire prévenu…
A son image, la première semaine des audiences au procès des assistants frontistes a donné à voir les vieilles méthodes du FN, celui d’avant que le parti d’extrême droite ne change son appellation pour renvoyer ses fantômes à la cave. Avant d’être ceux de Marine Le Pen, ce furent d’abord les usages de son père Jean-Marie, 96 ans, absent au procès pour cause de sénilité. Député européen pendant plus de trente ans, de 1984 à 2003 puis de 2004 à 2019, il a longtemps fait supporter par l’Europe, que sa formation politique a en horreur, les salaires de son propre personnel, déguisés en assistance parlementaire. C’est ainsi que Micheline Bruna a été assistante parlementaire de Bruno Gollnisch, comme Guillaume L’Huillier.
Le procédé, auquel a été biberonnée Marine Le Pen pendant des années, sera fidèlement recopié et développé à une échelle industrielle par celle-ci, quand le parti fera entrer à Bruxelles 23 eurodéputés en 2019, pour faire payer par l’institution les salaires de collaborateurs du Front. Beaucoup plus nombreux.
Absent au procès de ses mauvaises habitudes, Le Pen Jean-Marie plane donc au-dessus de la salle du tribunal comme une ombre poussiéreuse. L’Huillier, justement, n’est-il pas là parce que Gollnisch lui a présenté le «patriarche» ? Il «décidait de tout», s’est souvenu lundi, avant tout le monde, l’ex-député européen Fernand Le Rachinel, ancien ami de Le Pen père. C’était comme ça. Dès lors, Le Rachinel tente de résumer le procès à un problème de «noms qui ne sont pas dans les bonnes cases», au moins pour son cas personnel : les assistants que Le Pen lui aurait «imposés», à savoir Micheline Bruna et Thierry Légier, ce dernier était le garde du corps du président du FN. Ils n’ont jamais bossé pour Le Rachinel. C’était ça ou rien : «
j’aurais bien voulu avoir de vrais assistants», dit l’homme, ancien imprimeur, député européen entre 2004 et 2009, et «très impliqué à l’époque au Parlement». «Je n’imaginais pas qu’on viendrait m’inquiéter vingt ans plus tard», s’est-il encore défendu.
Ni que le principal responsable de son malheur ne serait pas présent pour l’entendre se plaindre.
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