Dérive
Migrants : l’Union européenne met la barre à droite toute pour contenter populistes et opinions publiques
A l’occasion du Conseil européen, qui se tient ce jeudi 17 octobre à Bruxelles, les Vingt-Sept discutent de nouvelles législations drastiques.
Même s’ils disposent d’un pacte adopté en avril et que le nombre de passagers clandestins est en baisse.
L’immigration menace-t-elle autant, voire davantage, l’Union européenne que la Russie ? La question peut paraître baroque, mais la progression continue des populistes et de l’extrême droite qui, surfant sur le rejet grandissant des étrangers, surtout de culture musulmane, se rapprochent du pouvoir voire y parviennent, a brusquement poussé le sujet tout en haut de l’agenda des Vingt-Sept. Ainsi, le Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement, qui se tient ces 17 et 18 octobre à Bruxelles, y était presque entièrement consacré – sans décision attendue – alors que la possible réélection de Donald Trump dans trois semaines pourrait laisser l’Ukraine et l’Europe sans défense, un défi qui paraît autrement existentiel.
Cela est d’autant plus important que l’Union européenne vient tout juste d’adopter, en avril dernier, le volumineux «Pacte sur la migration et l’asile» (10 règlements et 3 recommandations) qui verrouillera comme jamais les frontières extérieures européennes au point que l’on peut désormais parler de «forteresse Europe». Mais, alors que ce Pacte n’entrera en vigueur qu’en 2026, les Vingt-Sept souhaitent des «solutions innovantes» pour montrer que l’Europe agit. «Nous devons sortir des sentiers battus», a plaidé le Premier ministre grec Kyriákos Mitsotákis, ce jeudi.
Implosion ou «orbánisation»
En mai, déjà, quinze Etats avaient demandé à la Commission européenne de donner un tour de vis supplémentaire, notamment en externalisant le traitement des demandes d’asile. A Bruxelles, on reconnaît que l’immigration est devenue un sujet central dans les débats politiques intérieurs et que si rien n’est fait, il n’est pas exclu que la majorité des Etats de l’UE soit un jour dirigée par l’extrême droite qui est souvent, mais pas toujours, europhobe et prorusse, ce qui menacerait d’implosion la construction communautaire.
L’heure est donc clairement à l’«orbánisation» de la politique migratoire européenne. Une victoire pour Viktor Orbán, le Premier ministre hongrois, qui avait été cloué au pilori en 2015 pour s’être opposé violemment au passage sur son sol des réfugiés et migrants du Moyen-Orient et d’Afrique que la Turquie avait laissé partir pour faire pression sur l’Union. Mais, depuis, les attentats, parfois commis par des étrangers en situation irrégulière (Solingen, Arras, Bruxelles) ou les manifestations pro-palestiniennes qui ont parfois viré aux démonstrations islamistes, ont braqué les opinions publiques. Aux Pays-Bas, en Autriche, en France ou même en Allemagne – qui a accueilli un million de réfugiés en 2015-2016 –, l’extrême droite a réalisé, au cours de l’année écoulée, des scores sans précédent depuis 1945. Un signal d’alerte pour les gouvernements en place.
«Solution albanaise»
Les Etats ont réagi depuis quelques semaines dans le plus grand désordre, mais ils ont clairement mis la barre à droite toute : l’Allemagne a rétabli les contrôles à ses frontières avec ses voisins de l’espace Schengen, la Pologne, qui voit débarquer à ses frontières des milliers de migrants emmenés là par la Russie et le Bélarus, a suspendu le traitement des demandes d’asile, la France envisage une énième loi sur l’immigration, les Pays-Bas veulent sortir de la politique européenne d’asile et d’immigration, la CDU-CSU allemande, qui reviendra sans doute au pouvoir fin 2025, souhaite que le budget européen finance la construction de murs aux frontières extérieures, etc.
Quant à l’Italie, déjà gouvernée par l’extrême droite, elle a commencé mercredi à refouler les migrants (16 en l’occurrence) interceptés dans les eaux internationales vers un camp qu’elle finance en Albanie pour y traiter les demandes d’asile, seuls ceux qui obtiennent le statut de réfugié étant autorisés à entrer en Europe. Après la «solution Rwanda» tentée par l’ancien gouvernement conservateur britannique, la «solution albanaise».
Lundi, Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission, a pris acte que le sujet était loin d’être clos : elle s’est engagée à proposer un texte durcissant les conditions des reconduites à la frontière des étrangers sans papiers, moins de 20 % des ordres de quitter le territoire (OQT) étant exécutés dans l’Union. Le précédent texte de 2008 est jugé trop laxiste, bien qu’il ait autorisé une rétention administrative pouvant aller jusqu’à dix-huit mois, puisque l’étranger dispose d’un délai pouvant aller jusqu’à un mois pour partir volontairement avant que l’Etat puisse passer à l’éloignement forcé. Les Vingt-sept l’ont encouragé à poursuivre : « le Conseil européen appelle à agir de manière déterminée, à tous les niveaux, pour faciliter, accroître et accélérer les retours depuis l’Union européenne ».
Sourde oreille
La conservatrice allemande propose même d’étudier la mise en place de «hubs de retour» situés dans des pays tiers où seraient envoyés les étrangers sous OQT en attendant que leur pays d’origine leur délivre un laissez-passer consulaire. Et afin que ces derniers ne fassent pas la sourde oreille, des «accords de retour» seront multipliés avec des sanctions à la clef. La solution des «hubs de retour» ne suscite pas l’enthousiasme de l’Allemagne, de l’Espagne ou encore de la Belgique qui se demande pourquoi les pays tiers accepteraient et quels en seraient les coûts.
Le concours Lépine des «solutions innovantes» ne fait que commencer, mais il est d’ores et déjà certain que les droits fondamentaux des migrants ne sont plus la priorité des Européens. Au point que l’on peut se demander ce qu’il restera du droit d’asile d’ici à quelques années. Ce durcissement intervient à un moment curieux, puisque les entrées illégales, alors que le Pacte sur la migration et l’asile n’est toujours pas en vigueur, s’effondrent : le nombre de passages clandestins a baissé de 42 % au cours des neuf premiers mois de 2024 selon l’agence Frontex chargée du contrôle des frontières extérieures de l’Union. «Le seul point problématique reste les Canaries, tous les autres chemins ayant été en grande partie bloqués», se félicitait récemment un membre de la Commission.
Mais le ressenti populaire, soigneusement entretenu par les populistes, est différent.
https://www.liberation.fr/international ... Z2NNFRP7E/