«Brebis galeuses» : le RN lance des «formations à grande échelle» pour éviter les bévues aux prochaines élections
Posté : 18 octobre 2024 07:51
Après la mise en lumière d’un troupeau de candidats sulfureux aux législatives, le parti d’extrême droite s’est lancé dans un vaste plan pour ses adhérents. Nommée à sa tête, la députée Edwige Diaz défend auprès de «Libé» un projet «à la demande du terrain».
C’est l’un des grands chantiers lancés à la rentrée par le Rassemblement national (RN) : la formation de ses adhérents. Le plan a été confié à l’une des vice-présidents du parti d’extrême droite, Edwige Diaz, chargée de «l’implantation locale». De quoi éviter à l’avenir les polémiques en série autour de candidats problématiques, comme lors des récentes élections législatives ? Le RN assure que l’initiative n’y est pas liée. «Il y a eu une poignée de brebis galeuses mais l’affaire est réglée. On ne met pas un tel dispositif en place pour si peu», assure Edwige Diaz auprès de Libération, même si, en fait de «poignée», il s’agissait de plusieurs dizaines de candidats.
«Cela répond avant tout à la demande du terrain. On voit que les interventions dans les fédérations ont du succès», justifie celle qui est aussi députée de Gironde. Ce fameux «dispositif», à la tête duquel le président du parti d’extrême droite, Jordan Bardella, l’a placée, devra former l’ensemble des adhérents, des nouveaux encartés jusqu’aux futurs candidats. «Il s’agit d’organiser des formations à grande échelle. En résumé, les cadres du parti vont parler du programme du parti aux adhérents du parti», résume Edwige Diaz.
Habitués à esquiver les débats
La stratégie pourrait aussi répondre aux errements de certains candidats RN lors des débats organisés durant la campagne des législatives. Nombre d’entre eux avaient connu des naufrages en direct. Deux candidates avaient été incapables de citer les propositions du parti concernant les services publics, tandis qu’un autre s’était défendu d’être d’extrême droite en brandissant la photo de son épouse rwandaise. Un tollé avait aussi été provoqué par la diffusion de la photo d’une candidate RN portant une casquette nazie. Pour d’autres, c’étaient des publications sur les réseaux sociaux, rendant hommage à l’OAS ou à Philippe Pétain, qui avaient refait surface. Enfin, une trentaine de candidats avaient tout bonnement esquivé les débats durant la campagne.
Pour s’éviter de voir à nouveau des candidats dans la tourmente, la nouvelle vice-présidente en charge de la formation mise sur une prise en main des adhérents dès leur arrivée : «Je me charge de les accueillir personnellement, à distance, chaque semaine», explique Edwige Diaz, qui revendique «1 000 à 1 500 adhésions ou réadhésions» hebdomadaires. Pour un total de «100 000 adhérents» d’après le parti – un chiffre que le RN avançait déjà en 2017, alors que seulement 51 000 militants étaient à jour de cotisation.
Tous les encartés sont ensuite invités à assister aux formations (environ quarante-cinq minutes toutes les deux semaines) dispensées par des cadres du parti lepéniste. «Pour les thèmes où il n’y a pas d’orateur spécialiste, Jérôme Sainte-Marie [sondeur et politologue en charge de la formation des cadres du RN, ndlr] présentera la conférence», détaille la vice-présidente, en prenant l’exemple de la première, sur les retraites, dont la date n’a toujours pas été communiquée.
Un vaste programme que le RN peut aujourd’hui se permettre. «Le plan est financé par le parti, c’est inclus dans le prix de l’adhésion», précise Edwige Diaz. Avec 125 candidats élus lors des législatives anticipées, la formation de Marine Le Pen est devenue le premier parti politique bénéficiaire d’aides publiques. Les près de 11 millions de voix recueillies lui ont permis de s’assurer entre 15 et 18 millions d’euros d’aides annuelles de l’Etat. Avant le scrutin, elles s’élevaient à 10 millions d’euros, soit une augmentation de près de 80 %.
«Etre prêts à accélérer» en cas de dissolution
Signe que le RN se prépare à une possible nouvelle dissolution, Edwige Diaz sera accompagnée dans sa mission par les députés Julien Odoul et Thomas Ménagé, codirecteurs de campagne des prochaines législatives, et de l’eurodéputé Julien Sanchez, directeur de campagne des futures municipales de 2026. «Le calendrier s’annonce intense, donc on profite de ce temps pour entreprendre des formations afin d’être prêts à accélérer quand il le faudra», poursuit la députée. «Le programme des formations est illimité. La seule chose qui y mettra un terme, ce sont les campagnes», ajoute-t-elle.
Pour les prochaines échéances électorales, les candidats désignés par la commission d’investiture du parti, qui doit se réunir «à la fin du mois», devront assister à des formations approfondies. Là encore, Edwige Diaz balaie en expliquant que «la détection de brebis galeuses n’est pas prévue à ce moment-là», tout en admettant que «[le parti sera] très exigeant avec les futurs candidats». D’après la nouvelle stratégie d’ancrage local du RN, seuls ceux ayant participé aux municipales de 2026 seront en mesure de concourir aux législatives de 2027 – en l’absence de dissolution avant.
Les «grands plans», spécialité du RN
Au demeurant, c’est loin d’être le premier «grand plan» lancé par le parti d’extrême droite, avec des résultats peu évidents par le passé. Déjà en septembre 2001, Jean-Marie Le Pen saluait le premier séminaire de l’Institut de formation des élus locaux : «En matière de formation, nos représentants dans les conseils locaux sortent donc enfin du statut, peu enviable il faut bien dire, «d’élus de seconde zone».» Une officine toujours existante, à laquelle s’est ajoutée une autre plateforme de formation. Plus de deux décennies plus tard, en mars 2023, Jordan Bardella lançait le Campus Héméra, présenté à la fois comme média d’idées et école culturelle et théorique. Un projet ambitieux pour former et «promouvoir une élite issue du peuple», selon le président du RN à son lancement. Avec un contenu plus que limité et une seule réunion en dix mois, comme l’expliquait le Monde en janvier, on est encore loin de la grande école des cadres annoncée initialement.
Une déconvenue qui a pu nuire à la mise en ordre de bataille du Rassemblement national dans le cadre de son «plan Matignon». Au moment de la dissolution par Emmanuel Macron, début juin, le parti préparait depuis six mois déjà une liste de candidats fiables pour les législatives, avec l’objectif de faire de Jordan Bardella le nouveau Premier ministre. Le résultat un mois plus tard a été moins ronflant que le nom de l’opération de communication. Cet échec a bouleversé l’organigramme du parti et a déclenché une purge en interne. Si plusieurs «brebis galeuses» ont été poussées vers la sortie, Gilles Pennelle, alors directeur général du RN et chargé d’élaborer ce plan, a aussi fait les frais de ce siège éjectable de chargé de la formation interne.
https://www.liberation.fr/politique/bre ... WRDP3UXTA/