« Le RN n’ira pas plus haut ». Ce que révèle la sociologie du vote pour l’extrême droite
Posté : 18 octobre 2024 18:38
Alors...ira plus haut ? n'ira pas plus haut ?...
Alors que les dirigeants du Rassemblement national, dont Marine Le Pen, comparaissent devant le tribunal correctionnel de Paris pour « détournement de fonds publics », on peut s’interroger sur l’avenir d’un parti politique, qui, il y a quelques mois encore, semblait aux portes du pouvoir. Le RN aurait-il atteint ses limites ? C’est la thèse de Luc Rouban, qui publie « Les ressorts cachés du vote RN ». Entretien.
Vous décrivez le RN comme un « trou noir » qui attire des votes toujours plus nombreux. Qui sont ses nouveaux électeurs ?
J’ai voulu comprendre l’expansion du vote RN, particulièrement notable entre 2022 et 2024. Il a atteint près de 11 millions de voix au premier tour de la présidentielle et près de 8 millions de voix au second tour des législatives en 2024. C’est considérable par rapport aux législatives de 2022. Or, ce vote n’est plus celui de l’électorat de l’ancien Front national, qui était très populaire. Le noyau dur de l’électorat populaire est encore là, mais on a un vote RN qui concerne désormais les classes moyennes et supérieures. Au premier tour des législatives, les cadres ont voté RN à plus de 20 %. Ensuite, le RN a énormément progressé sur des espaces favorables à la gauche, comme la fonction publique, y compris chez les cadres de catégorie A et chez les enseignants (pour 18 % d’entre eux).
Les clés d’analyses appliquées au Front national ne fonctionnent plus selon vous. Notamment sur la question du racisme…
Effectivement, aucune étude ne signale une explosion d’un racisme systémique qui aurait brusquement saisi les Français. Toutes les enquêtes sociologiques montrent une forme de tolérance plus grande dans la société française et moins de racisme, moins d’antisémitisme, moins de xénophobie. Un autre élément probant, c’est que le RN fait des scores très importants dans les DOM-TOM, notamment à Mayotte et aux Antilles. On ne peut pas imaginer que ces électeurs soient devenus racistes !
Si la question de l’immigration joue un rôle si important dans le vote RN, c’est parce qu’elle s’inscrit dans le rejet d’une mondialisation non maîtrisée, avec l’arrivée d’une nouvelle pauvreté, mais aussi d’une nouvelle précarité. Cela crée des tensions dans la confrontation de socialités différentes mais cela vient aussi révéler l’échec de l’intégration républicaine. L’immigration révèle les défauts d’un système sociopolitique finalement peu solidaire et marqué par la désocialisation. Elle renvoie l’image d’une société ouverte en bas, confrontée à de nouvelles concurrences sur le marché du travail, mais fermée en haut, où la mobilité sociale est plus difficile qu’ailleurs. La France souffre du libéralisme mondialisé, qui pousse à la précarisation et aux mobilités forcées, sans avoir les avantages d’un libéralisme favorisant l’initiative et la réussite individuelle.
Est-ce que le vote RN s’inscrit dans un vaste mouvement international « populiste » ou « néo-fasciste » ?
Ces concepts et cette grille d’analyse n’expliquent pas le phénomène RN. Le populisme historique ne colle pas avec ce que nous montrent les enquêtes. Le fascisme, le nazisme ou les populismes de gauche en Amérique latine impliquent un culte du leader fort, une image de peuple uni. Dans les enquêtes que nous avons menées, on voit que l’électorat RN ne demande pas un leadership fort mais un leadership de proximité, un contrôle de l’action politique au niveau local. La demande des électeurs RN est proche de celle des « gilets jaunes », avec des demandes de démocratie directe, le référendum d’initiative citoyenne, tous les outils censés – parfois de manière utopique – permettre de contrôler l’action publique au quotidien. Réduire le vote RN à un néo-fascisme, c’est oublier que les électeurs – je dis bien les électeurs – que l’on a interrogés ne recherchent pas la fin des libertés publiques ou de la magistrature indépendante. Ils attendent avant tout de l’efficacité et la définition d’une règle du jeu social.
...
Pensez-vous que le RN soit aux portes du pouvoir ?
Je ne crois pas. Tout d’abord, il ne s’est pas complètement « désulfurisé », comme en témoigne le procès mené au sujet des assistants parlementaires. Il reste suspect de double discours. Par ailleurs, le RN a un point de faiblesse très important : il n’est pas crédité d’une véritable capacité gouvernementale et manque de soutiens dans les élites sociales. Sa parole porte, son analyse de la société séduit, mais sa capacité à changer réellement les choses est considérée comme assez basse. Selon moi, il a peut-être atteint son point culminant et va devoir désormais affronter un glissement politique au profit de LR si Michel Barnier réussit son affaire.
https://theconversation.com/le-rn-nira- ... ite-240625
Alors que les dirigeants du Rassemblement national, dont Marine Le Pen, comparaissent devant le tribunal correctionnel de Paris pour « détournement de fonds publics », on peut s’interroger sur l’avenir d’un parti politique, qui, il y a quelques mois encore, semblait aux portes du pouvoir. Le RN aurait-il atteint ses limites ? C’est la thèse de Luc Rouban, qui publie « Les ressorts cachés du vote RN ». Entretien.
Vous décrivez le RN comme un « trou noir » qui attire des votes toujours plus nombreux. Qui sont ses nouveaux électeurs ?
J’ai voulu comprendre l’expansion du vote RN, particulièrement notable entre 2022 et 2024. Il a atteint près de 11 millions de voix au premier tour de la présidentielle et près de 8 millions de voix au second tour des législatives en 2024. C’est considérable par rapport aux législatives de 2022. Or, ce vote n’est plus celui de l’électorat de l’ancien Front national, qui était très populaire. Le noyau dur de l’électorat populaire est encore là, mais on a un vote RN qui concerne désormais les classes moyennes et supérieures. Au premier tour des législatives, les cadres ont voté RN à plus de 20 %. Ensuite, le RN a énormément progressé sur des espaces favorables à la gauche, comme la fonction publique, y compris chez les cadres de catégorie A et chez les enseignants (pour 18 % d’entre eux).
Les clés d’analyses appliquées au Front national ne fonctionnent plus selon vous. Notamment sur la question du racisme…
Effectivement, aucune étude ne signale une explosion d’un racisme systémique qui aurait brusquement saisi les Français. Toutes les enquêtes sociologiques montrent une forme de tolérance plus grande dans la société française et moins de racisme, moins d’antisémitisme, moins de xénophobie. Un autre élément probant, c’est que le RN fait des scores très importants dans les DOM-TOM, notamment à Mayotte et aux Antilles. On ne peut pas imaginer que ces électeurs soient devenus racistes !
Si la question de l’immigration joue un rôle si important dans le vote RN, c’est parce qu’elle s’inscrit dans le rejet d’une mondialisation non maîtrisée, avec l’arrivée d’une nouvelle pauvreté, mais aussi d’une nouvelle précarité. Cela crée des tensions dans la confrontation de socialités différentes mais cela vient aussi révéler l’échec de l’intégration républicaine. L’immigration révèle les défauts d’un système sociopolitique finalement peu solidaire et marqué par la désocialisation. Elle renvoie l’image d’une société ouverte en bas, confrontée à de nouvelles concurrences sur le marché du travail, mais fermée en haut, où la mobilité sociale est plus difficile qu’ailleurs. La France souffre du libéralisme mondialisé, qui pousse à la précarisation et aux mobilités forcées, sans avoir les avantages d’un libéralisme favorisant l’initiative et la réussite individuelle.
Est-ce que le vote RN s’inscrit dans un vaste mouvement international « populiste » ou « néo-fasciste » ?
Ces concepts et cette grille d’analyse n’expliquent pas le phénomène RN. Le populisme historique ne colle pas avec ce que nous montrent les enquêtes. Le fascisme, le nazisme ou les populismes de gauche en Amérique latine impliquent un culte du leader fort, une image de peuple uni. Dans les enquêtes que nous avons menées, on voit que l’électorat RN ne demande pas un leadership fort mais un leadership de proximité, un contrôle de l’action politique au niveau local. La demande des électeurs RN est proche de celle des « gilets jaunes », avec des demandes de démocratie directe, le référendum d’initiative citoyenne, tous les outils censés – parfois de manière utopique – permettre de contrôler l’action publique au quotidien. Réduire le vote RN à un néo-fascisme, c’est oublier que les électeurs – je dis bien les électeurs – que l’on a interrogés ne recherchent pas la fin des libertés publiques ou de la magistrature indépendante. Ils attendent avant tout de l’efficacité et la définition d’une règle du jeu social.
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Pensez-vous que le RN soit aux portes du pouvoir ?
Je ne crois pas. Tout d’abord, il ne s’est pas complètement « désulfurisé », comme en témoigne le procès mené au sujet des assistants parlementaires. Il reste suspect de double discours. Par ailleurs, le RN a un point de faiblesse très important : il n’est pas crédité d’une véritable capacité gouvernementale et manque de soutiens dans les élites sociales. Sa parole porte, son analyse de la société séduit, mais sa capacité à changer réellement les choses est considérée comme assez basse. Selon moi, il a peut-être atteint son point culminant et va devoir désormais affronter un glissement politique au profit de LR si Michel Barnier réussit son affaire.
https://theconversation.com/le-rn-nira- ... ite-240625