Et ça continue encore et encore....
Collaborateurs RN à Bruxelles : racisme, antisémitisme et complotisme, encore et toujours
«Libération» poursuit sa revue d’effectifs frontistes au Parlement européen et révèle huit nouveaux profils piochés dans les franges les plus radicales par le parti d’extrême droite pour assister ses députés.
Fin octobre, Libération révélait que le Rassemblement national (RN) avait embauché à Bruxelles des collaborateurs parlementaires amateurs de lectures antisémites et racistes, complotistes ou anciens membres de groupuscules extrémistes. Des profils particulièrement radicaux, mais à propos desquels le parti a soigneusement regardé ailleurs… Trop occupé par le procès pour détournement présumé de fonds européens en cours, qui implique jusqu’aux plus haut gradés de son état-major ? Ou alors Jordan Bardella est-il trop occupé à faire la promotion de son livre sorti samedi 9 novembre ? Ou encore peut-être parce que, finalement, une dizaine de noms, c’était un moindre mal…
Libération a donc continué de creuser. A raison : des poignées de petites mains du parti, assistants ou prestataires de services de ses élus européens, étaient passées au travers du filet. Voici notre nouvelle pêche, qui rejoint un tableau de chasse déjà fourni. Si fourni qu’il devient impossible pour le RN de crier aux simples «brebis galeuses» et d’excommunier pour la forme quelques personnalités épinglées ?
Thibault Kerlirzin, ex-crâne rasé, complotiste et proche de figures antisémites
De l’eau a coulé sous les ponts depuis 2013. Thibault Kerlirzin, crâne rasé et veste noire, soutenait alors le suprémaciste blanc norvégien Varg Vikernes, alors poursuivi pour «provocation à la discrimination, à la haine et à la violence et apologie de crime de guerre» (le Norvégien avait été condamné pour ces faits en 2014 à six mois de prison avec sursis). Depuis, Thibault Kerlirzin s’est laissé pousser les cheveux et est désormais prestataire de services auprès de l’eurodéputée RN Mathilde Androuët. Il gravite dans les cercles du parti d’extrême droite à Bruxelles depuis la précédente mandature, où il était présenté comme «consultant». Il avait alors produit une étude au contenu particulièrement complotiste, sur «l’influence des ONG dans le processus législatif européen». Dans ce texte, Kerlirzin s’appuyait notamment sur la lettre confidentielle «Faits & Documents». Une feuille complotiste connue pour ses listes de Juifs et de francs-maçons et à l’origine de la rumeur malveillante et transphobe selon laquelle Brigitte Macron serait en fait un homme.
Thibault Kerlirzin est un proche de l’antisémite Pierre Hillard, qui avait appelé à la déchéance de citoyenneté des Juifs, en 2023, lors de l’université d’été des intégristes de Civitas, entraînant la dissolution de l’association. Ce qui ne retient guère le consultant du RN de le citer et de l’interviewer longuement sur le site internet qu’il tient avec un autre proche de Hillard, un certain Gregoor van der Eyken, qui se définit comme «ni dhimmi [terme péjoratif utilisé à l’extrême droite pour désigner des non-musulmans qui seraient soumis à l’islam, ndlr] ni sioniste». Cette étude avait déjà été préfacée par Mathilde Androuët. Kerlirzin est désormais «prestataire de services» pour la députée qui siège à la commission environnement du Parlement européen et n’ignore rien des opinions de son protégé, puisque Libération l’a déjà interrogée sur le sujet à plusieurs reprises.
Bryan Pecqueur «aime» les radicaux un peu, beaucoup…
Sous le pseudonyme «Bryan écologie» sur Facebook, Bryan Pecqueur, assistant parlementaire de l’eurodéputé RN Aleksandar Nikolic (par ailleurs missionné pour faire la chasse aux «brebis galeuses» dans le parti), étale son militantisme. Prises de parole des cadres lepénistes, réunions publiques (par exemple aux côtés de Sébastien Chenu), tractages… tout y passe. Mais il est plus discret sur ses accointances un peu moins en ligne avec la vitrine du parti, qui affleurent pourtant du côté des pages qu’«aime» sur le réseau social ce jeune homme au visage rond. Les cathos-identitaires d’Academia Christiana (des œcuméniques qui savent aussi faire une place aux jeunes plus nazifiants), les identitaires violents de la Citadelle (groupuscule lillois interdit par les autorités en début 2024), mais aussi la «Page des amis de Louis XX» et «Un Roi pour la France». Sans oublier celle de «The Epoch Times», site de propagande de la secte chinoise Falun Gong, brillant par son appétence complotiste et pour l’extrême droite radicale… Deux qualificatifs qui définissent aussi très bien le «Conseil national de transition de France», un groupuscule conspirationniste (mais aussi antisémite et antimaçonnique) qui s’est autoproclamé gouvernement de transition et ne reconnaît donc pas l’autorité des Parlements français ou européens. Curieux de trouver un collaborateur d’eurodéputé parmi ses fans…
Rémi Meurin, l’identitaire drapé dans le déni
Du bar identitaire la Citadelle, à Lille (Nord), au siège du Parlement européen, à Bruxelles, il y a une bonne centaine de kilomètres. Mais qu’un seul pas, en tout cas pour Rémi Meurin, le collaborateur parlementaire de l’eurodéputée Valérie Deloge. Il faut dire que le jeune homme, graphiste de son état, est un ancien membre du groupuscule Génération identitaire (GI), comme le révélait Mediacités en 2020. Rémi Meurin avait nié avoir eu cet engagement, et pourtant le site avait produit deux photos de l’intéressé sur des tractages de GI, prospectus en main.
Quant à ses passages à la Citadelle, ils sont attestés par le documentaire d’Al-Jazeera England Generation Hate, où on peut le voir accoudé au comptoir du bar du mouvement dissous en mars. StreetPress révélait également à la même époque qu’il était le «community manager» de la page Twitter de la Citadelle. Interrogée à l’époque, car Rémi Meurin était candidat à la mairie de Tourcoing, Sébastien Chenu, alors membre de la commission d’investiture du parti, avait jugé qu’être «membre de Génération identitaire n’est pas un crime».
Adrien Pierotti, passion Seconde Guerre mondiale et collabos
Encore un jeune homme de son temps au RN, encore un adepte des réseaux sociaux. Encore un adepte de la radicalité, aussi. Et pas n’importe laquelle : sur Facebook, Adrien Pierotti «aime» des pages particulièrement marquées. Comme celles dédiées à l’écrivain collaborationniste et férocement antisémite Lucien Rebatet ou à la légende des nazis, Otto Skorzeny. Cet officier SS est notamment connu pour avoir dirigé le commando envoyé par Hitler pour libérer Benito Mussolini et lui permettre de fonder la République sociale italienne à la botte du IIIe Reich. Est-ce pour cet amour d’une certaine histoire que le collaborateur d’Anne-Sophie Frigout est par exemple «ami» sur Facebook avec une certaine Nina Smarandi, ex-collaboratrice de député RN épinglée l’an dernier par Libé pour son amour un peu trop voyant des croix celtiques néofascistes et des militants néonazis ? Contactée, l’eurodeputée Anne Sophie Frigout explique qu’elle « n’était pas du tout au courant » des curieuses passions de son collaborateur et «considère qu’il a trahi [sa] confiance ». « A la lumière de ces faits nous ne travaillerons plus ensemble », fait savoir l’élue RN.
Thierry Comble, Tintin à Bruxelles
Le compte Facebook de Thierry Comble, assistant parlementaire et directeur de cabinet de Philippe Olivier, l’eurodéputé RN et beau-frère de Marine Le Pen, semble plutôt sage. On y retrouve des photos des manifestations d’agriculteurs venus protester à Bruxelles en début d’année et des clichés de ses repas dans des restaurants bruxellois… mais aussi un pastiche particulièrement raciste d’une case de l’album de Tintin le Crabe aux pinces d’or. On peut y voir le héros belge et son acolyte le capitaine Haddock marcher dans les rues d’une casbah, affublés d’un casque colonial et entourés de personnes en costumes traditionnels du Maghreb. La différence entre le dessin d’Hergé et celui partagé par Thierry Comble tient au phylactère dans lequel Tintin dit : «C’est fou comme Paris a changé… !» Allusion à peine voilée à la théorie fausse et raciste du «grand remplacement» avec laquelle le RN tente pourtant de prendre ses distances.
Céline Sayah, l’amie de Némésis
Une jeune pousse qui monte. Candidate RN défaite aux élections législatives dans la 7e circonscription du Nord en juin, Céline Sayah, par ailleurs déléguée départementale du Rassemblement national de la jeunesse (RNJ), a trouvé un point de chute à Bruxelles au service de France Jamet. Une bonne pioche, bien dans la ligne et active sur les réseaux sociaux, où elle ne relaie que la bonne parole officielle lepéniste. En apparence du moins. Car il n’y a pas à creuser beaucoup pour découvrir sur son compte Facebook des «j’aime» en faveur notamment du Cercle Pol Vandromme, filiale officieuse en Belgique des obsédés de la «race blanche» de l’institut Iliade (un think tank identitaire). Ou pour Eléments, magazine chic de l’extrême droite intello hexagonale et référence de la presse de la mouvance.
Une appétence qui se retrouve aussi dans les «amis» Facebook de Céline Sayah, où se retrouvent notamment des militantes du collectif Némésis, un groupuscule identitaire réservé aux femmes qui honnit notamment les dits «rapefugees», contraction de «rape» (pour «viol», en anglais) et «refugees» («réfugiés»). Mais aussi Alexandre Simonnot, cadre des ultranationalistes du Parti de la France et proche de Jean-Marie Le Pen. C’est moins chic.
A noter : France Jamet emploie également Gwenael Blancho, dont nous avons révélé dans notre article fin octobre qu’il est par ailleurs un lecteur passionné de l’auteur antisémite Emmanuel Ratier et qu’il publie des tweets racistes. Belle équipe.
Ghislain Dubois, l’avocat qui en savait beaucoup
L'avocat belge Ghislain Dubois, à Bruxelles, en août 2011. (Dries Luyten/AFP)
Libé a beau avoir révélé que l’avocat belge Ghislain Dubois est à l’origine des faux documents fabriqués en 2017 et 2018 pour cacher l’emploi fictif d’assistant parlementaire de Jordan Bardella, il est toujours en odeur de sainteté au RN. Il a en effet été repêché comme assistant parlementaire des eurodéputés Alexandre Varaut et Christophe Bay, après avoir été celui de Jean-François Jalkh. Le parti d’extrême droite n’est pas plus dérangé par les accusations de harcèlement sexuel sur un mineur, sur fond de chantage à l’embauche, qui pèsent sur l’homme. Au cours d’un dîner arrosé en 2019, il aurait proposé à un jeune homme de 17 ans, fils de restaurateurs d’un établissement prisé par les cadres RN à Bruxelles, «une relation sans discernement pour [leur] différence d’âge, sans pudeur». Avant de lui toucher la jambe.
Contacté par Libé, l’eurodéputé a expliqué que son collaborateur «n’est ni en examen ni même poursuivi par une quelconque autorité policière au judiciaire et il m’a semblé donc difficile de le discriminer sur la seule foi de vos affirmations». Rien à voir avec le fait qu’il était «coordinateur du pôle juridique» lorsque en 2015, éclate l’affaire des assistants parlementaires du RN pour laquelle le parti est actuellement jugé pour des soupçons de détournements portant sur plus de cinq millions d’euros…
Lionel Dubos, en cours de licenciement pour ses propos orduriers
Lionel Dubos n’est pas resté très longtemps assistant parlementaire de Julie Rechagneux. Libé a en effet retrouvé un compte X à son nom, ouvert à l’été 2023, qui est particulièrement ordurier. Il s’agit d’un déversoir d’insultes contre de nombreuses personnes, anonymes, militants ou élus de gauche, à base «d’ordure gauchiste», «sac à merde», «journapute», «dégénéré»… «Magnifique. De telles images font plaisir à voir», tweetait-il aussi le 13 mai, s’extasiant devant les images de la manifestation des néofascistes (voire néonazis) réunis par les héritiers du GUD pour un défilé glaçant en plein Paris, deux jours plus tôt. Toujours à propos de cette manifestation, il réagissait à la vidéo d’une femme racisée dénonçant ce défilé par une réplique raciste : «Retourne en Afrique.»
Il prend aussi pour cible Cédric Herrou, activiste qui œuvre à l’accueil digne des migrants dans la vallée de la Roya, dans les Alpes-Maritimes : «Pourriture de gauchiste. J’espère que t’es (sic) copains immigrés te feront la peau.» Contacté par Libé, il a d’abord nié être l’auteur de ces messages avant d’être confronté à des preuves. Jointe, Julie Rechagneux a expliqué qu’il lui avait avoué être l’auteur de ces tweets et l’eurodéputée RN a promis de le licencier.
https://www.liberation.fr/politique/col ... 5VGH632U4/