Marine Le Pen, Donald Trump : sidérations symétriques...
Posté : 17 novembre 2024 08:50
D’un pays à l’autre, tout se passe comme si, à l’égard des puissants condamnés pour corruption ou tous autres délits financiers, l’indulgence était la normalité.
Sidération sur les plateaux. Priorité au direct ! On se préparait une soirée pépère, et soudain un fantôme vient percuter l’actualité : il s’appelle «le Droit». Dans le procès des assistants parlementaires fictifs du RN, les réquisitions contre Marine Le Pen viennent de tomber, et elles sont lourdes. Pour l’ex et future candidate à la présidentielle, sont requis par le parquet cinq ans de prison dont deux ferme, 300 000 euros d’amende, et cinq ans d’inéligibilité, avec exécution provisoire. «Exécution provisoire», cela signifie que si le tribunal suit les réquisitions, Marine Le Pen est non seulement interdite de présidentielle, mais qu’elle perd aussitôt son mandat de députée.
Un instant délicieux, débatteurs et animateurs en restent KO. Le droit ! On le croyait mort et enterré, celui-là. D’autant plus mort, et d’autant mieux enterré, que le procès des assistants parlementaires fictifs du RN n’a pas, loin de là, meublé la conversation télévisée. Comme s’il se déroulait dans un inframonde, très profond sous la chronique des règlements de comptes du narcotrafic, par exemple.
Mort et enterré, à voir Nicolas Sarkozy gambader malgré sa condamnation au bracelet électronique (sans «exécution provisoire», dans son cas), ou à voir François Fillon condescendre, quatre ans après sa première condamnation, à rendre par petites tranches l’argent volé à l’Assemblée nationale. Ou encore à entendre Jordan Bardella, en boucle, s’estimer sur tous les plateaux «censuré» parce que la SNCF et Publicis ont tout simplement appliqué leurs règlements intérieurs à propos de l’affichage publicitaire de son livre.
Attentat contre l’électeur !
Sitôt la sidération dissipée, les plateaux se garnissent de supra juges, automandatés d’arbitrer entre les principes de la justice et les raisons de la politique. Verdict unanime : amendes et prison avec sursis, OK, on comprend. Inéligibilité, soit, s’il le faut vraiment. Mais exécution provisoire, scandale ! Empiètement sur la démocratie ! Attentat contre l’électeur ! Gouvernement des juges ! Autrement dit : tiens-toi à ta place, le droit, avec tes servants sans visage. Pas touche aux puissants, aux notoires, à ceux que nous côtoyons, ici, sur nos plateaux. Oui à la justice, si on y tient vraiment, pourvu que ses peines ne soient jamais appliquées.
Doyen de la cour de supra juges, Alain Duhamel, sur BFM : «Les peines d’amende et de prison avec sursis sont légitimes», consent-il. Parfait. Sauf que «les procureurs, qui sont parfois un peu bizarres, ont décidé d’exhumer un système exceptionnel qui permet d’appliquer tout de suite la peine d’inéligibilité. Franchement, c’est pas la meilleure idée du siècle. Les onze millions de Français qui ont voté pour Marine Le Pen trouveront que c’est de la provocation». «Système exceptionnel ?» Seul Patrick Cohen, sur France Inter, en rappelle opportunément l’origine : les scandales Cahuzac et Thévenoud, ayant abouti en 2016 à faire de l’inéligibilité une peine obligatoire (avec l’approbation, à l’époque, de 85 % des Français).
Tout se passe comme si, à l’égard des puissants condamnés pour corruption ou tous autres délits financiers, l’indulgence était la normalité, et anormal leur traitement de justiciables comme les autres. Comme si le droit n’était qu’une matraque contre les classes dangereuses, les voleurs de canettes, les émeutiers des quartiers, les gilets jaunes, les anti-bassines, bref, la racaille militante et manifestante.
Normaliser l’anormal
Hors des frontières, le droit, ce vestige, ne se porte pas mieux. Gloire et honneur à ceux qui le piétinent joyeusement, devant une presse symétriquement sidérée par son lynchage. Un criminel condamné, inspirateur non repenti d’une tentative de coup d’Etat quatre ans plus tôt, dictateur en puissance assumé, s’installe à la Maison Blanche, et la presse sidérée salue le «spectaculaire come-back», plutôt que le sacre d’un criminel (à l’exception notable du Guardian britannique). De manchette en manchette, des termes choisis s’efforcent de normaliser l’anormal. «Trump met en place une équipe de rupture» titre sobrement le Monde à la une pour saluer les nominations de déments, de complotistes et d’antivax qui formeront la nouvelle administration.
Plutôt que conspirationniste et propriétaire d’un réseau de désinformation, le magnat Elon Musk, premier soutien de Donald Trump, est prudemment qualifié de «richissime et mégalomane» dans son portrait par l’AFP. Dans le corps des articles, est certes souvent énuméré le catalogue exhaustif des dingueries passées de la nouvelle équipe, mais surtout pas dans les titres : les directions sont prudentes. Ne pas insulter l’avenir. Et aussi, ne pas attirer l’attention. Comme si le «système» de la presse traditionnelle, bousculé dans ses repères, avait intégré que tout écart à une stricte neutralité lui serait compté à charge par les forces montantes, dont nul ne sait jusqu’où elles peuvent monter.
https://www.liberation.fr/idees-et-deba ... OSY2FKT6U/
Sidération sur les plateaux. Priorité au direct ! On se préparait une soirée pépère, et soudain un fantôme vient percuter l’actualité : il s’appelle «le Droit». Dans le procès des assistants parlementaires fictifs du RN, les réquisitions contre Marine Le Pen viennent de tomber, et elles sont lourdes. Pour l’ex et future candidate à la présidentielle, sont requis par le parquet cinq ans de prison dont deux ferme, 300 000 euros d’amende, et cinq ans d’inéligibilité, avec exécution provisoire. «Exécution provisoire», cela signifie que si le tribunal suit les réquisitions, Marine Le Pen est non seulement interdite de présidentielle, mais qu’elle perd aussitôt son mandat de députée.
Un instant délicieux, débatteurs et animateurs en restent KO. Le droit ! On le croyait mort et enterré, celui-là. D’autant plus mort, et d’autant mieux enterré, que le procès des assistants parlementaires fictifs du RN n’a pas, loin de là, meublé la conversation télévisée. Comme s’il se déroulait dans un inframonde, très profond sous la chronique des règlements de comptes du narcotrafic, par exemple.
Mort et enterré, à voir Nicolas Sarkozy gambader malgré sa condamnation au bracelet électronique (sans «exécution provisoire», dans son cas), ou à voir François Fillon condescendre, quatre ans après sa première condamnation, à rendre par petites tranches l’argent volé à l’Assemblée nationale. Ou encore à entendre Jordan Bardella, en boucle, s’estimer sur tous les plateaux «censuré» parce que la SNCF et Publicis ont tout simplement appliqué leurs règlements intérieurs à propos de l’affichage publicitaire de son livre.
Attentat contre l’électeur !
Sitôt la sidération dissipée, les plateaux se garnissent de supra juges, automandatés d’arbitrer entre les principes de la justice et les raisons de la politique. Verdict unanime : amendes et prison avec sursis, OK, on comprend. Inéligibilité, soit, s’il le faut vraiment. Mais exécution provisoire, scandale ! Empiètement sur la démocratie ! Attentat contre l’électeur ! Gouvernement des juges ! Autrement dit : tiens-toi à ta place, le droit, avec tes servants sans visage. Pas touche aux puissants, aux notoires, à ceux que nous côtoyons, ici, sur nos plateaux. Oui à la justice, si on y tient vraiment, pourvu que ses peines ne soient jamais appliquées.
Doyen de la cour de supra juges, Alain Duhamel, sur BFM : «Les peines d’amende et de prison avec sursis sont légitimes», consent-il. Parfait. Sauf que «les procureurs, qui sont parfois un peu bizarres, ont décidé d’exhumer un système exceptionnel qui permet d’appliquer tout de suite la peine d’inéligibilité. Franchement, c’est pas la meilleure idée du siècle. Les onze millions de Français qui ont voté pour Marine Le Pen trouveront que c’est de la provocation». «Système exceptionnel ?» Seul Patrick Cohen, sur France Inter, en rappelle opportunément l’origine : les scandales Cahuzac et Thévenoud, ayant abouti en 2016 à faire de l’inéligibilité une peine obligatoire (avec l’approbation, à l’époque, de 85 % des Français).
Tout se passe comme si, à l’égard des puissants condamnés pour corruption ou tous autres délits financiers, l’indulgence était la normalité, et anormal leur traitement de justiciables comme les autres. Comme si le droit n’était qu’une matraque contre les classes dangereuses, les voleurs de canettes, les émeutiers des quartiers, les gilets jaunes, les anti-bassines, bref, la racaille militante et manifestante.
Normaliser l’anormal
Hors des frontières, le droit, ce vestige, ne se porte pas mieux. Gloire et honneur à ceux qui le piétinent joyeusement, devant une presse symétriquement sidérée par son lynchage. Un criminel condamné, inspirateur non repenti d’une tentative de coup d’Etat quatre ans plus tôt, dictateur en puissance assumé, s’installe à la Maison Blanche, et la presse sidérée salue le «spectaculaire come-back», plutôt que le sacre d’un criminel (à l’exception notable du Guardian britannique). De manchette en manchette, des termes choisis s’efforcent de normaliser l’anormal. «Trump met en place une équipe de rupture» titre sobrement le Monde à la une pour saluer les nominations de déments, de complotistes et d’antivax qui formeront la nouvelle administration.
Plutôt que conspirationniste et propriétaire d’un réseau de désinformation, le magnat Elon Musk, premier soutien de Donald Trump, est prudemment qualifié de «richissime et mégalomane» dans son portrait par l’AFP. Dans le corps des articles, est certes souvent énuméré le catalogue exhaustif des dingueries passées de la nouvelle équipe, mais surtout pas dans les titres : les directions sont prudentes. Ne pas insulter l’avenir. Et aussi, ne pas attirer l’attention. Comme si le «système» de la presse traditionnelle, bousculé dans ses repères, avait intégré que tout écart à une stricte neutralité lui serait compté à charge par les forces montantes, dont nul ne sait jusqu’où elles peuvent monter.
https://www.liberation.fr/idees-et-deba ... OSY2FKT6U/