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Le Collectif Némésis, une radicalité au féminin en voie de notabilisation
Le collectif identitaire, remarqué pour son agit-prop et son féminisme de façade, est connecté aux franges radicales de l’extrême droite. Ce qui ne l’empêche pas d’avoir les faveurs du RN et des médias conservateurs.
Face au public : les cadres d’un groupuscule identitaire et… le maire RN de Fréjus, David Rachline. Les hauts plafonds et les moulures de la très chic villa Aurélienne, centre culturel grandiose de la station balnéaire nichée entre Cannes et Saint-Tropez, ont vu défiler, le 16 novembre, d’étonnantes visiteuses, invitées là par l’édile frontiste. Pull blanc sous une veste de costume noire, enfilade de bracelets au bras (mais, pour une fois, sans montre de luxe…), Rachline a pris le micro pour ouvrir cette conférence intitulée «Combattre l’entrisme islamique». Avant de poser tout sourire aux côtés des militantes du groupe identitaire Némésis, qui animaient la causerie et faisaient défiler des diapositives au diapason de leur nationalisme islamophobe.
Cette scène et les nombreux passages de leurs militantes à la télévision ou à la radio – principalement sur des canaux du groupe Bolloré – feraient presque oublier la nature exacte du Collectif Némésis. Même si des sections sont actives un peu partout en France, le groupuscule ne compte qu’une poignée de militantes. Il en revendique 200, pour beaucoup actives au sein d’autres bandes d’extrême droite, mais quelques dizaines seulement seraient réellement actives, selon le Monde. Le groupe s’est spécialisé dans des actions d’agit-prop xénophobes – et parfois accompagnées par un service d’ordre violent –,
méthode clairement inspirée du mouvement Génération identitaire, dissous par les autorités en 2021.
Sigmatisation de l’immigration
Ces militantes, qui se sont longtemps vantées d’être «les féministes les plus identitaires», ont notamment produit des supports de propagande dénonçant les «rapefugees» – contraction de «rape» («viol») et «refugees» («réfugiés»). L’illustration : un homme noir et un homme barbu en qamis poursuivant une jeune femme blonde.
De «l’humour», comme avait plaidé Alice Cordier lorsqu’elle avait ouvert une cagnotte pour payer «un billet d’avion» à la journaliste française d’origine marocaine Nassira El Moaddem, au printemps ? Contacté pour savoir s’il goûte ce genre de blagues, le RN n’a pas répondu à nos sollicitations. Le cabinet de David Rachline, également sollicité, évacue ce sujet mais affirme que «sont bienvenues à Fréjus toutes les personnes souhaitant défendre le droit des femmes ou promouvoir l’histoire de France».
Leur discours, qui se réclame du féminisme, stigmatise l’immigration, rendue presque seule responsable des violences faites aux femmes. Un terme que le groupe a longtemps assumé, mais qu’il cherche désormais à gommer. «Dans son manifeste, souligne Magali Della Sudda, chargée de recherche au CNRS, on ne trouve plus la revendication d’un féminisme identitaire, mais celle du “combat pour défendre les femmes occidentales”.» Pourtant, les fondamentaux restent, rappelle la chercheuse et autrice du livre les Nouvelles Femmes de droite (éditions Hors d’atteinte, 2022) : «Le collectif se positionne du côté des formations politiques qui prônent la lutte contre l’insécurité, l’immigration non-occidentale ou l’islam.» Ses troupes ont soutenu Marine Le Pen ou Eric Zemmour pendant la dernière campagne présidentielle.
Parmi les oratrices présentes à Fréjus, la présidente du mouvement : Alice Cordier – un pseudonyme – qui, à 27 ans, est déjà une militante expérimentée. Après des débuts avec les royalistes de l’Action française, elle s’est orientée vers l’activisme identitaire et a créé en 2019 les Némésis, dont elle est aujourd’hui salariée. La jeune femme a été proche de la bande néonazie des Zouaves Paris qui, après leur interdiction par les autorités, ont réactivé le GUD et poursuivi dans la violence – avant que ce groupe ne soit à son tour dissous cet été. Cordier s’affiche aussi avec Jean-Yves Le Gallou (doctrinaire suprémaciste) ou la militante anti-«idéologie transgenre» Marguerite Stern. En décembre 2021, sur les réseaux sociaux, elle prenait la pose dans un stand de tir, un fusil d’assaut sur l’épaule ; sur son sweat-shirt, une Jeanne d’Arc à cheval portant la même arme.
Une forme de «normalisation»
A Fréjus, Alice Cordier était venue avec deux de ses cadres. La première, Astrid Mahé O’Chinal, est la fille de Jildaz Mahé O’Chinal, une des figures tutélaires du GUD et de la «GUD connexion», cette bande de prestataires du RN au cœur de plusieurs scandales visant le financement des campagnes du parti. Cette jeune femme, engagée au sein du Collectif Némésis depuis ses débuts, est par ailleurs proche des néofascistes italiens de CasaPound, dont elle fréquente le siège de Rome. La seconde, Nina Azamberti, est une habituée des cercles lepénistes. Jusqu’à récemment assistante parlementaire du député RN des Bouches-du-Rhône Romain Baubry, elle a cofondé un groupuscule marseillais inféodé au sénateur (ex-RN) Stéphane Ravier.
Le reste des militantes du collectif est à l’avenant. A Versailles, une historique des Némésis est notoirement liée à la scène nazifiante d’Ile-de-France et regrettait, il y a quelques années sur les réseaux sociaux, de croiser trop de «cheveux bleus […], de beurettes et de rebeux» dans son école parisienne. Une autre, montpelliéraine, militait en parallèle au sein de la bande de nervis du coin, aujourd’hui disparue, Jeunesse Saint-Roch. De même, des Lyonnaises gravitent autour des bandes violentes d’extrême droite de la ville. Ce qui n’empêche pas des élus du RN, parti soi-disant normalisé, de s’afficher avec le collectif. Le colloque de Fréjus n’est pas une exception. Mi-septembre, l’eurodéputée RN Virginie Joron a invité Alice Cordier au Parlement européen, à Strasbourg, pour quelques photos. Mais aussi une vidéo dénonçant la «censure politique». Un classique de la propagande d’extrême droite, qui dénonce les restrictions légales prévenant les discours de haine comme des atteintes à la liberté d’expression.
Alice Cordier est aussi une habituée des pince-fesses du petit monde de l’extrême droite politique et médiatique. En janvier 2022, la militante identitaire a pu trinquer avec les zemmouriens Philippe de Villiers et Stanislas Rigault ou encore les étoiles de la presse d’extrême droite Geoffroy Lejeune (alors pas encore à la tête du JDD) et Charlotte d’Ornellas (déjà à Europe 1) à la soirée des 10 ans du site de la fachosphère Boulevard Voltaire. Une sauterie où a aussi passé une tête Marine Le Pen, flanquée de quelques cadres (Sébastien Chenu, Jérôme Rivière…). La candidate à la présidentielle a pris la pose pour une photo avec Cordier. Une forme de «normalisation» pour les Némésis, peut-être le seul groupuscule d’extrême droite a pouvoir être ouvertement convié à ce type d’événement.
Des habituées de Montretout, domaine familial des Le Pen
Quelques mois plus tard, le soir du second tour de la présidentielle, une porte-parole du groupe était à la soirée électorale parisienne de Marine Le Pen, au pavillon d’Armenonville, dans le XVIe arrondissement parisien. Elle était venue en compagnie d’Hermine Mahé O’Chinal, fille et sœur de, également militante de Némésis. En parallèle, le groupe a pris ses habitudes à Montretout, le domaine familial des Le Pen, sur les hauteurs de Saint-Cloud (Hauts-de-Seine) à deux pas de Paris. C’est là qu’elles ont préparé leur dernière action, contre la manifestation féministe #NousToutes du 23 novembre. Et si Alice Cordier a feint d’ignorer tout des lieux et de leurs propriétaires, Libé a révélé que les Némésis avaient déjà pris possession des murs en janvier dernier pour une soirée festive avec buffet, paillettes et alcool. Sous l’œil de tableaux à la gloire de Jean-Marie Le Pen, elles avaient poussé les meubles et dansé jusque tard dans le saint des saints de la lepénie.
En avril, le Rassemblement national avait même volé au secours de Némésis lors d’une session du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté. Les élus du parti d’extrême droite, dont le porte-parole du parti, Julien Odoul, avaient brandi des pancartes sur lesquelles on pouvait lire «violeurs étrangers dehors» en soutien à une des membres du collectif, Yona Faedda, interpellée quelques jours plus tôt pour avoir brandi une pancarte similaire lors du carnaval de Besançon. La maire écologiste de la ville avait porté plainte pour «incitation à la haine ou à la violence en raison de l’origine». Une plainte qui n’avait donné lieu à aucune poursuite. Les Némésis avaient nié tout racisme, assurant ne viser, parmi les étrangers, que les «violeurs». Mais une photo diffusée à la même époque par Yona Faedda sur Instagram, montre, à côté d’elle, une camarade brandissant ce message sans équivoque : «Libérez-nous de l’immigration».
https://www.liberation.fr/politique/le- ... XY42C4FXQ/