En meeting dans l’Eure, Marine Le Pen et Jordan Bardella jouent à fond la carte du «tous pourris»
Posté : 16 décembre 2024 06:49
Chassez le naturel...
S’inventant comme ennemi un brumeux «parti unique» rassemblant toutes les formations sauf le RN, les deux leaders d’extrême droite ont défendu tant bien que mal, ce dimanche 15 décembre à Etrépagny dans l’Eure, la censure du gouvernement Barnier, pourfendue par les agriculteurs.
Ne dites surtout pas que Marine Le Pen sera la première cheffe de groupe parlementaire à être reçue par le Premier ministre à Matignon, lundi 16 décembre au matin, dès 9 heures. Ni que François Bayou a d’ores et déjà appelé la députée du Pas-de-Calais, selon l’Express, avant sa nomination, pour lui proposer d’échanger le principe d’une non-censure a priori contre la promesse de mettre en place la proportionnelle rapidement. En meeting à Etrépagny, dans l’Eure, ce dimanche 15 décembre, l’affaire est entendue : le Rassemblement national se fait passer pour l’unique parti sans compromission face au «parti unique» regroupant tous les autres. Seul contre tous : la droite, la gauche, les macronistes, les médias et même les sociologues, ont dénoncé Le Pen et son dauphin Jordan Bardella.
Le «système», en somme, coupable de s’entendre pour exclure les onze millions d’électeurs de la formation d’extrême droite. Pourquoi s’en priver ? Vu d’Etrépagny, ville d’un peu plus de 3 500 habitants entre Beauvais et Rouen, les tractations, pince-fesses et dîners mondains auxquels les casques à plumes frontistes se livrent paraissent lointains. Nul ici ne pourrait se douter que vendredi, Jordan Bardella est allé faire sa cour au Chinese Business Club, un cercle d’influence pour patrons et financiers, à deux pas des Champs-Elysées, pour leur assurer que le RN ne leur veut que du bien.
Jordan Bardella et Marine Le Pen en meeting à Etrépagny, ce dimanche 15 décembre. (Denis Allard/Libération). Ici, au milieu des champs de betteraves, sous le ciel maussade où la brume se confond avec le panache de la sucrerie de la commune, plusieurs milliers de militants frontistes crottent leurs chaussures en convergeant vers la petite salle où se tient la réunion. Les voitures s’étirent le long des routes, des sympathisants rebroussent déjà chemin face à l’affluence, des Marseillaise éclatent çà et là. Premier orateur, le député local, Timothée Houssin, rappelle le chemin parcouru : en 2010, quand il n’était que simple militant, la liste du FN bataillait dur pour se hisser à 10 % des suffrages. Aujourd’hui, l’extrême droite a remporté quatre des cinq sièges du département.
«Gauchiasses», «corrompus», «pourris»
Houssin ne dit pas tout : sa carrière politique n’a pas poussé comme les betteraves, à la force du seul crachin normand. Entre 2014 et 2015, cet apparatchik pur sucre est suspecté d’emploi fictif, étant payé par le contribuable européen comme assistant parlementaire de Nicolas Bay tout en travaillant pour le secrétaire général du parti. Pour cela, il encourt dix mois avec sursis, un an d’inéligibilité avec exécution provisoire et dix mille euros d’amende. Un parti comme les autres. L’assistance, qui n’a pas l’air de lui en tenir rigueur, a d’autres motifs de gronde. A une vingtaine de kilomètres de là, aux Andelys, 8 000 habitants, les deux usines ont fermé cette année. Trois cents salariés sur le carreau et autant de rancœur contre le marché européen de l’énergie, le libre-échange et le dumping social, qui pousse l’une des entreprises à délocaliser en Serbie. Sans parler du Mercosur qui inquiète ceux qui vivent de la production du sucre.
C’est justement aux agriculteurs que Marine Le Pen consacre une bonne moitié de son discours. Cajolés, flattés, bénis – la patronne frontiste ne ménage pas ses efforts pour «les sculpteurs de nos paysages […], les premiers artisans de la grandeur et de la beauté de la France». Elle assure le service après-vente de sa censure du gouvernement Barnier qui a défrisé une bonne partie du monde agricole, persuadée d’avoir obtenu des avancées que l’abandon du budget ferait disparaître. Une permanence de députée frontiste a été murée, une autre a vu son pas-de-porte envahi de fumier. Depuis, Marine Le Pen a sorti les rames, écrit une lettre publique aux paysans et dénonce la FNSEA, coupable d’avoir défendu l’Europe et le libre-échange.
La censure, elle, a été prise avec «calme et détermination» face aux «tartuffes» du «parti unique». «Tous ensemble, ils sont en train de se coaliser, dans un seul but : durer, se coopter, gouverner – ou plutôt, jouer à gouverner, car ils ne sont plus maîtres de rien.» Gourmande, Le Pen, qui retrouve les accents populistes de son camp. Jordan Bardella mouille aussi le col roulé pour faire le SAV de la censure. «Si nous avons décidé il y a quelques jours, avec beaucoup de gravité, de rejeter ce budget et d’en censurer les décideurs, c’est précisément pour vous protéger», assure le même avant de donner, lui aussi, dans le «tous pourris». Chauffés par leur idole, plusieurs sympathisants menacent les journalistes de BFM et de LCI, traitées de «gauchiasses», «corrompus», «pourris» et menacées de se faire sortir. Comme au bon vieux du temps du FN.
https://www.liberation.fr/politique/en- ... FY6Z4OHQY/
S’inventant comme ennemi un brumeux «parti unique» rassemblant toutes les formations sauf le RN, les deux leaders d’extrême droite ont défendu tant bien que mal, ce dimanche 15 décembre à Etrépagny dans l’Eure, la censure du gouvernement Barnier, pourfendue par les agriculteurs.
Ne dites surtout pas que Marine Le Pen sera la première cheffe de groupe parlementaire à être reçue par le Premier ministre à Matignon, lundi 16 décembre au matin, dès 9 heures. Ni que François Bayou a d’ores et déjà appelé la députée du Pas-de-Calais, selon l’Express, avant sa nomination, pour lui proposer d’échanger le principe d’une non-censure a priori contre la promesse de mettre en place la proportionnelle rapidement. En meeting à Etrépagny, dans l’Eure, ce dimanche 15 décembre, l’affaire est entendue : le Rassemblement national se fait passer pour l’unique parti sans compromission face au «parti unique» regroupant tous les autres. Seul contre tous : la droite, la gauche, les macronistes, les médias et même les sociologues, ont dénoncé Le Pen et son dauphin Jordan Bardella.
Le «système», en somme, coupable de s’entendre pour exclure les onze millions d’électeurs de la formation d’extrême droite. Pourquoi s’en priver ? Vu d’Etrépagny, ville d’un peu plus de 3 500 habitants entre Beauvais et Rouen, les tractations, pince-fesses et dîners mondains auxquels les casques à plumes frontistes se livrent paraissent lointains. Nul ici ne pourrait se douter que vendredi, Jordan Bardella est allé faire sa cour au Chinese Business Club, un cercle d’influence pour patrons et financiers, à deux pas des Champs-Elysées, pour leur assurer que le RN ne leur veut que du bien.
Jordan Bardella et Marine Le Pen en meeting à Etrépagny, ce dimanche 15 décembre. (Denis Allard/Libération). Ici, au milieu des champs de betteraves, sous le ciel maussade où la brume se confond avec le panache de la sucrerie de la commune, plusieurs milliers de militants frontistes crottent leurs chaussures en convergeant vers la petite salle où se tient la réunion. Les voitures s’étirent le long des routes, des sympathisants rebroussent déjà chemin face à l’affluence, des Marseillaise éclatent çà et là. Premier orateur, le député local, Timothée Houssin, rappelle le chemin parcouru : en 2010, quand il n’était que simple militant, la liste du FN bataillait dur pour se hisser à 10 % des suffrages. Aujourd’hui, l’extrême droite a remporté quatre des cinq sièges du département.
«Gauchiasses», «corrompus», «pourris»
Houssin ne dit pas tout : sa carrière politique n’a pas poussé comme les betteraves, à la force du seul crachin normand. Entre 2014 et 2015, cet apparatchik pur sucre est suspecté d’emploi fictif, étant payé par le contribuable européen comme assistant parlementaire de Nicolas Bay tout en travaillant pour le secrétaire général du parti. Pour cela, il encourt dix mois avec sursis, un an d’inéligibilité avec exécution provisoire et dix mille euros d’amende. Un parti comme les autres. L’assistance, qui n’a pas l’air de lui en tenir rigueur, a d’autres motifs de gronde. A une vingtaine de kilomètres de là, aux Andelys, 8 000 habitants, les deux usines ont fermé cette année. Trois cents salariés sur le carreau et autant de rancœur contre le marché européen de l’énergie, le libre-échange et le dumping social, qui pousse l’une des entreprises à délocaliser en Serbie. Sans parler du Mercosur qui inquiète ceux qui vivent de la production du sucre.
C’est justement aux agriculteurs que Marine Le Pen consacre une bonne moitié de son discours. Cajolés, flattés, bénis – la patronne frontiste ne ménage pas ses efforts pour «les sculpteurs de nos paysages […], les premiers artisans de la grandeur et de la beauté de la France». Elle assure le service après-vente de sa censure du gouvernement Barnier qui a défrisé une bonne partie du monde agricole, persuadée d’avoir obtenu des avancées que l’abandon du budget ferait disparaître. Une permanence de députée frontiste a été murée, une autre a vu son pas-de-porte envahi de fumier. Depuis, Marine Le Pen a sorti les rames, écrit une lettre publique aux paysans et dénonce la FNSEA, coupable d’avoir défendu l’Europe et le libre-échange.
La censure, elle, a été prise avec «calme et détermination» face aux «tartuffes» du «parti unique». «Tous ensemble, ils sont en train de se coaliser, dans un seul but : durer, se coopter, gouverner – ou plutôt, jouer à gouverner, car ils ne sont plus maîtres de rien.» Gourmande, Le Pen, qui retrouve les accents populistes de son camp. Jordan Bardella mouille aussi le col roulé pour faire le SAV de la censure. «Si nous avons décidé il y a quelques jours, avec beaucoup de gravité, de rejeter ce budget et d’en censurer les décideurs, c’est précisément pour vous protéger», assure le même avant de donner, lui aussi, dans le «tous pourris». Chauffés par leur idole, plusieurs sympathisants menacent les journalistes de BFM et de LCI, traitées de «gauchiasses», «corrompus», «pourris» et menacées de se faire sortir. Comme au bon vieux du temps du FN.
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