ENQUÊTE - Changer son véhicule classé «trop polluant» pour pouvoir circuler en ville, rénover son appartement taxé de «passoire thermique» pour être autorisé à le louer… Au nom de la lutte pour la protection de l’environnement, l’addition est de plus en plus salée pour de nombreux foyers frappés par de nouvelles obligations en 2025.
Sur le front des restrictions et des obligations qui touchent les Français dans leur quotidien, 2025 démarre en fanfare. Au nom de la nécessaire protection de l’environnement, les nouvelles contraintes auxquelles ils doivent se plier exigent d’énièmes efforts financiers que beaucoup ne peuvent pas supporter.
Mercredi 1er janvier, le couperet est tombé sur les véhicules dits Crit’Air 3. Les voitures diesels immatriculées avant 2011 et celles à essence immatriculées avant 2006 ne doivent plus rouler dans certains secteurs des grandes villes baptisés zones à faibles émissions (ZFE). Ces règles obligatoires s’imposent dans les métropoles les plus denses du pays : Paris et Lyon. Celles de Montpellier et Grenoble ont aussi décidé de les appliquer, alors qu’elles n’étaient pas tenues de s’y plier en raison d’une amélioration de la qualité de l’air ces derniers temps.
Pour de nombreux usagers de la route, ces restrictions sont un véritable coup de massue. Car si les premières interdictions similaires, intervenues dès 2023, n’avaient touché que les modèles les plus anciens, immatriculés avant 2000 et donc moins nombreux, la donne a changé. Pour la région parisienne où 77 des 131 communes de la métropole — dont Paris — sont concernées par la ZFE, 250.000 véhicules avaient déjà été sortis du parc. Depuis le 1er janvier, pour la même région, c’est quasiment le double. Et dans ce coup de filet bien plus étendu, on trouve des voitures qui n’ont rien de guimbardes.
«Pas de solution alternative»
« C’est absurde ! », peste Adèle. Avec sa Mercedes Classe C de 1999 bien entretenue qui dort au garage, cette banlieusarde de l’Ouest parisien ne pensait pas être concernée. « J’ai regardé par curiosité ma carte grise, et, là, stupeur : je ne dois plus rouler ! », s’étrangle celle pour qui il est hors de question de se débarrasser de son véhicule. « Je n’ai pas les moyens d’en acheter un autre et je ne le laisserai pas non plus au parking. J’en ai besoin pour mes déplacements professionnels », rage-t-elle avec le sentiment d’être prise au piège.
Mais aussi abandonnée, depuis que l’État a supprimé la prime à la conversion et alors que le métro du Grand Paris, qui doit permettre de relier les banlieues entre elles, n’est toujours pas prêt. « Excepté les aides des métropoles, pas de soutien financier, pas de solution alternative et on doit se débrouiller seul. C’est n’importe quoi », fulmine de son côté José. Concerné par cette interdiction, lui aussi a choisi son camp : il fera partie des hors-la-loi.
On frôle le dérogatoire quasi permanent ! C’est dire si cette règle ne tient pas. Elle est aussitôt détricotée. C’est tellement absurde que vingt-deux catégories socioprofessionnelles pourront également continuer à circuler librement.
Conscientes de l’effort demandé à leurs administrés, les collectivités, qui se voient accorder par la loi une marge de manœuvre dans l’aménagement des règles, ont desserré l’étau. Dans Paris et sa petite couronne, les Crit’Air 3 pourront ainsi déroger aux restrictions 24 jours par an. Si l’on y ajoute le week-end, exclu d’office de l’interdiction, cela porte à 139 le nombre de journées de dérogation, soit plus du tiers par an. « On frôle le dérogatoire quasi permanent ! C’est dire si cette règle ne tient pas. Elle est aussitôt détricotée, ironise Yves Carra, porte-parole de l’Automobile Club Association (ACA). C’est tellement absurde que vingt-deux catégories socioprofessionnelles pourront également continuer à circuler librement. »
Les autorités ont aussi provisoirement renoncé à faire pleuvoir les amendes sur la tête des contrevenants qui, pris en faute, devaient s’acquitter de 68 euros d’amende. La métropole de Paris a décidé de repousser d’un an les contrôles. Celle de Grenoble porte le délai de tolérance à six mois. Quant aux nouveaux radars créés spécifiquement pour ces contraventions, ils ne devraient pas voir le jour avant 2026. « Pas grand monde ne va respecter la règle », prophétise Isabelle, une conductrice en région parisienne.
«L’écologie sanction permanente»
« De toute façon, ce dispositif est une véritable usine à gaz. On s’y perd ! », renchérit Marianne Grand, coordinatrice, pour la Gironde, de la Fédération française des motards en colère. Outre Paris, Lyon, Montpellier et Grenoble, qui font la une des médias en raison des règles draconiennes annoncées, une kyrielle d’autres ZFE voient le jour çà et là avec des régimes d’exclusion pour le moment moins féroces mais tous différents.
« Pour voyager, c’est le casse-tête. Partie de Bordeaux, je n’ai pas pu rejoindre en deux-roues Strasbourg car ma moto n’y était pas autorisée », déplore Marianne Grand, contrainte de se rabattre sur le train pour effectuer son voyage. « On est dans l’écologie sanction permanente. On nous restreint toujours plus nos libertés et on paie toujours plus », s’agace la même motarde. Depuis le 1er janvier, certaines catégories de motos sont bannies de la métropole bordelaise : « La FFMC Gironde a dénoncé ces règles et a saisi la justice. Ça suffit ! »
À l’heure où, au nom de l’anti-gaspi et du respect de l’environnement, on répare tout, sa machine à laver comme son sèche-cheveux, on nous demande de mettre une voiture qui marche à la casse. Ça n’a pas de sens !
Adèle, propriétaire d’une Mercedes Classe C de 1999
Pour Yves Carra, l’exécutif pourrait pourtant largement s’éviter ce casse-tête : « Au lieu de discriminer les véhicules selon leur âge, il faudrait les sélectionner selon leur niveau de pollution. Il existe déjà des dispositifs permettant de rendre des véhicules moins polluants. C’est le cas quand on le fait rouler au superéthanol avec l’installation d’un boîtier qui coûte entre 700 et 1000 euros. C’est bien moins cher que d’acheter un nouveau modèle. » De même, l’installation d’aspirateurs au niveau des freins — un système en plein développement — permettrait de réduire la pollution aux particules fines. « À l’heure où, au nom de l’anti-gaspi et du respect de l’environnement, on répare tout, sa machine à laver comme son sèche-cheveux, on nous demande de mettre une voiture qui marche à la casse. Ça n’a pas de sens ! », fulmine Adèle.
À Paris, le pilonnage permanent contre la voiture et les deux-roues motorisés, sans cesse mis sur le banc des accusés des pollueurs, exaspère. Pour le président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) Paris-Île-de-France, Bernard Cohen-Hadad, la coupe est pleine. « On nous a retiré l’accès aux voies sur berge, on nous impose le périphérique à 50 km/h, on réduit les places de stationnement et on nous barre la route avec une ZTL (zone à trafic limité ) qui interdit désormais le trafic de transit dans le centre de Paris ! énumère-t-il. On voudrait vider la capitale de ses artisans, qui cultivent pourtant un vrai savoir-faire, qu’on ne s’y prendrait pas autrement. » « De plus en plus de petites entreprises mettent la clé sous la porte faute de clients, car on ne vient plus à Paris. Mais, comme il y a un turnover important, cela ne se voit pas. Pour le moment, cette casse sociale passe inaperçue », regrette encore le responsable de la CPME, qui redoute que la capitale devienne une « ville-musée ».
Barrer la route aux SUV
Sur la longue liste des mesures antivoiture assumées par Anne Hidalgo, il faut aussi ajouter celle qui touche les SUV, ces véhicules qui accumulent, pour la maire socialiste, les mauvais superlatifs : surdimensionnés, super-lourds et… super-pollueurs. « Du côté du climat, les SUV ont constitué, ces dix dernières années, la deuxième source de croissance des émissions de CO2 françaises, derrière le secteur aérien », rappelle WWF France sur son site. Pour barrer la route à ces mastodontes, des tarifs de stationnement plus élevés sont entrés en vigueur en octobre.
Alain en a fait les frais. « J’avais payé au prix fort mon stationnement jusqu’à 19 h 57 (18 euros pour une heure, jusqu’à 225 euros pour six heures, ndlr). Il restait donc 3 minutes avant 20 heures, heure à laquelle se garer devient gratuit. J’ai été verbalisé à 19 h 58… J’en avais pour 225 euros d’amende. Comme j’ai payé immédiatement, le prix est tombé à 157 euros. Mais c’est juste hallucinant », peste-t-il.
Toutes ces mesures ont un effet repoussoir
Jean-Marc, un Parisien résidant près de la place de la Madeleine
« Toutes ces mesures ont un effet repoussoir », pointe Jean-Marc, un Parisien qui réside près de la place de la Madeleine. Ses amis qui vivent en banlieue renoncent désormais à venir dîner avec lui dans la capitale. « Avec ceux qui habitent dans l’Ouest, on se retrouve à Neuilly-sur-Seine, et je rejoins ceux qui vivent dans l’Est dans un restaurant de Vincennes », raconte-t-il. Frank Delvau, président de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (Umih) Paris-Île-de-France constate ce phénomène : « Face à ces restrictions, des responsables d’établissements parisiens parient désormais sur la proche banlieue. Ils y créent des restaurants tendance, comme ceux que l’on trouve dans Paris. » Bilan : « Ça cartonne », assure-t-il.
Est ce qu'ils ne vont plus pourvoir entrer dans la ville .. 
