Pourquoi Marine Le Pen n’est toujours pas reconnue sur la scène internationale
Posté : 20 janvier 2025 08:08
Marine en rade...
ENTRETIEN. Historien, spécialiste des extrêmes droites, Nicolas Lebourg analyse l’absence d’invitation de la candidate du RN à la présidentielle à l’investiture de Donald Trump.
Donald Trump doit être officiellement investi pour son nouveau mandat présidentiel lundi 20 janvier 2025. Parmi les invités, on y retrouve les dirigeants internationaux les plus radicaux de la planète : Giorgia Meloni, Viktor Orban ou encore Javier Milei. Pour représenter la France, pas d'Emmanuel Macron, mais le 47e président américain pourra compter sur la présence d'Éric Zemmour, de Sarah Knafo et de Marion Maréchal… Mais pas celle de Marine Le Pen. La triple candidate du Front national (devenu Rassemblement national, RN) à l'élection présidentielle ne fera donc pas partie du voyage à Washington. Comment expliquer cette absence ? Le Point a interrogé l'historien et spécialiste des extrêmes droites Nicolas Lebourg, chercheur au Centre d'études politiques et sociales (Cepel), rattaché au CNRS et à l'université de Montpellier et auteur en 2024 de Paris-Moscou, un siècle d'extrême droite, avec Olivier Schmitt (éd. Seuil).
Le Point : À moins d'une semaine de l'investiture de Donald Trump, Marine Le Pen n'a toujours pas été invitée. Est-ce surprenant ? Comment expliquer qu'Éric Zemmour, Sarah Knafo et Marion Maréchal le sont déjà et pas le Rassemblement national ?
Nicolas Lebourg : On peut y voir un effet croisé des marchés politiques des deux côtés de l'Atlantique. En France, Marine Le Pen a construit son originalité politique par rapport à son père en accentuant l'angle social et interventionniste de l'État et en reculant sur la conception ethnique de la nationalité. En revanche, Éric Zemmour assume cet ethnicisme, au cœur de son discours sur le « grand remplacement », et un libéralisme économique poussé. En cela il est plus proche de l'extrême droite américaine. Ses livres témoignent d'un antiaméricanisme obsessionnel, mais ce qu'il reproche aux États-Unis, c'est son rôle dans la transnationalisation du monde, par exemple à travers le rôle de l'Otan. Or le trumpisme méprise absolument ces éléments transnationaux. D'ailleurs, dans son dernier ouvrage, le président de Reconquête ! raconte avoir eu un échange téléphonique avec Trump qu'il qualifie d'« amical », de « chaleureux » et de « fraternel ».
Malgré sa réputation controversée, Jean-Marie Le Pen avait réussi à rencontrer Ronald Reagan. Comment expliquer que sa fille peine toujours à rencontrer Trump ?
Quand le président Reagan serre la main de Jean-Marie Le Pen devant les photographes, il ne sait pas qui il est. L'événement a été organisé par la secte Moon, une secte d'origine coréenne très active dans les réseaux anticommunistes internationaux qui à l'époque finance le FN. C'est aussi elle qui organise la visite de Jean-Marie Le Pen auprès du Congrès juif mondial à New York. Pour Reagan, il s'agit juste de soutenir un anticommuniste présenté par des gens indiscutables sur cette question. Le problème est simple : quelle est la plus-value pour Trump de soutenir Marine Le Pen ? Ce n'est pas une question idéologique mais pragmatique.
Est-ce une énième étape de la stratégie de dédiabolisation de Marine Le Pen de ne pas soutenir publiquement Donald Trump ?
Le point constant du FN/RN en relations internationales, ç'a toujours été de chercher des partenaires qui l'aident à se normaliser face aux électeurs français. Si des amis deviennent encombrants, il change d'amis. Or, Trump est imprévisible et, selon un sondage récent, 8 Français sur 10 ont une mauvaise image de lui, et le résultat est encore pire chez les retraités et les cadres qui sont précisément les secteurs sur lesquels le RN concentre ses efforts depuis 2022. Certes, l'image de Trump est meilleure chez les sympathisants RN, mais Marine Le Pen et Jordan Bardella ne sont pas idiots : tresser outrageusement des lauriers à Trump pourrait être délicat à gérer quand celui-ci aura lancé une guerre douanière contre notre agriculture. Après l'invasion de l'Ukraine, Marine Le Pen ou Éric Zemmour ont dû dépenser beaucoup d'énergie pour justifier leur admiration antérieure de Vladimir Poutine. Le second, outsider, n'a rien à perdre, la première a une présidentielle à gagner : pourquoi recommettrait-elle la même erreur ?
https://www.lepoint.fr/politique/pourqu ... 334_20.php
ENTRETIEN. Historien, spécialiste des extrêmes droites, Nicolas Lebourg analyse l’absence d’invitation de la candidate du RN à la présidentielle à l’investiture de Donald Trump.
Donald Trump doit être officiellement investi pour son nouveau mandat présidentiel lundi 20 janvier 2025. Parmi les invités, on y retrouve les dirigeants internationaux les plus radicaux de la planète : Giorgia Meloni, Viktor Orban ou encore Javier Milei. Pour représenter la France, pas d'Emmanuel Macron, mais le 47e président américain pourra compter sur la présence d'Éric Zemmour, de Sarah Knafo et de Marion Maréchal… Mais pas celle de Marine Le Pen. La triple candidate du Front national (devenu Rassemblement national, RN) à l'élection présidentielle ne fera donc pas partie du voyage à Washington. Comment expliquer cette absence ? Le Point a interrogé l'historien et spécialiste des extrêmes droites Nicolas Lebourg, chercheur au Centre d'études politiques et sociales (Cepel), rattaché au CNRS et à l'université de Montpellier et auteur en 2024 de Paris-Moscou, un siècle d'extrême droite, avec Olivier Schmitt (éd. Seuil).
Le Point : À moins d'une semaine de l'investiture de Donald Trump, Marine Le Pen n'a toujours pas été invitée. Est-ce surprenant ? Comment expliquer qu'Éric Zemmour, Sarah Knafo et Marion Maréchal le sont déjà et pas le Rassemblement national ?
Nicolas Lebourg : On peut y voir un effet croisé des marchés politiques des deux côtés de l'Atlantique. En France, Marine Le Pen a construit son originalité politique par rapport à son père en accentuant l'angle social et interventionniste de l'État et en reculant sur la conception ethnique de la nationalité. En revanche, Éric Zemmour assume cet ethnicisme, au cœur de son discours sur le « grand remplacement », et un libéralisme économique poussé. En cela il est plus proche de l'extrême droite américaine. Ses livres témoignent d'un antiaméricanisme obsessionnel, mais ce qu'il reproche aux États-Unis, c'est son rôle dans la transnationalisation du monde, par exemple à travers le rôle de l'Otan. Or le trumpisme méprise absolument ces éléments transnationaux. D'ailleurs, dans son dernier ouvrage, le président de Reconquête ! raconte avoir eu un échange téléphonique avec Trump qu'il qualifie d'« amical », de « chaleureux » et de « fraternel ».
Malgré sa réputation controversée, Jean-Marie Le Pen avait réussi à rencontrer Ronald Reagan. Comment expliquer que sa fille peine toujours à rencontrer Trump ?
Quand le président Reagan serre la main de Jean-Marie Le Pen devant les photographes, il ne sait pas qui il est. L'événement a été organisé par la secte Moon, une secte d'origine coréenne très active dans les réseaux anticommunistes internationaux qui à l'époque finance le FN. C'est aussi elle qui organise la visite de Jean-Marie Le Pen auprès du Congrès juif mondial à New York. Pour Reagan, il s'agit juste de soutenir un anticommuniste présenté par des gens indiscutables sur cette question. Le problème est simple : quelle est la plus-value pour Trump de soutenir Marine Le Pen ? Ce n'est pas une question idéologique mais pragmatique.
Est-ce une énième étape de la stratégie de dédiabolisation de Marine Le Pen de ne pas soutenir publiquement Donald Trump ?
Le point constant du FN/RN en relations internationales, ç'a toujours été de chercher des partenaires qui l'aident à se normaliser face aux électeurs français. Si des amis deviennent encombrants, il change d'amis. Or, Trump est imprévisible et, selon un sondage récent, 8 Français sur 10 ont une mauvaise image de lui, et le résultat est encore pire chez les retraités et les cadres qui sont précisément les secteurs sur lesquels le RN concentre ses efforts depuis 2022. Certes, l'image de Trump est meilleure chez les sympathisants RN, mais Marine Le Pen et Jordan Bardella ne sont pas idiots : tresser outrageusement des lauriers à Trump pourrait être délicat à gérer quand celui-ci aura lancé une guerre douanière contre notre agriculture. Après l'invasion de l'Ukraine, Marine Le Pen ou Éric Zemmour ont dû dépenser beaucoup d'énergie pour justifier leur admiration antérieure de Vladimir Poutine. Le second, outsider, n'a rien à perdre, la première a une présidentielle à gagner : pourquoi recommettrait-elle la même erreur ?
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