Le gouvernement d'entête dans sa proposition de réforme, mais il y a plusieurs pistes qui peuvent permettre de retrouver un équilibre
Augmenter les salaires
La proposition. Le rebond de l'économie après la crise du Covid-19, puis la flambée de l'inflation, ont tiré vers le haut les rémunérations et, à travers elles, le volume des cotisations perçues par les caisses de retraite. C'est l'une des raisons pour lesquelles le système de retraite a enregistré des excédents inattendus en 2021 et 2022, avance le COR. Pour les syndicats, pérenniser l'équilibre du système passe donc aussi par de nouvelles augmentations. Une hausse de 5% des salaires du privé rapporterait 9 milliards d'euros de cotisations par an, chiffre la CGT. Le syndicat propose aussi de "mettre fin aux 28% d'écart de salaire entre les femmes et les hommes", ce qui rapporterait 6 milliards d'euros aux caisses de retraite chaque année, selon lui. En 2010, la Caisse nationale d'Assurance-maladie avait de son côté estimé que l'égalité de salaires entre hommes et femmes rapporterait 11 milliards d'euros l'année de sa mise en œuvre, et 5 milliards d'euros par an à long terme.
Ce qu'en dit le gouvernement. Interrogé sur la pertinence de cette mesure, le cabinet du ministre du Travail, Olivier Dussopt, n'a pas souhaité faire de commentaire. Néanmoins, le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, a redit à "C dans l'air", début janvier, qu'une hausse généralisée des salaires ferait "courir le risque d'une spirale inflationniste".
Par ailleurs, l'exécutif a déjà martelé sa doctrine à ce sujet : ce n'est pas au gouvernement de décréter une augmentation des salaires, mais aux entreprises. "Les augmentations salariales sont le résultat de négociations à l'échelle des entreprises", rappelle à franceinfo Christine Erhel, professeure d'économie au Conservatoire national des arts et métiers. "D'un point de vue pratique, cette mesure me semble compliquée à mettre en œuvre."
Augmenter les cotisations sociales (et supprimer certaines exonérations)
La proposition. A défaut de pouvoir augmenter l'ensemble des salaires, le gouvernement peut agir sur le taux appliqué aux cotisations des employeurs et des travailleurs, soulignent les syndicats, qui militent en faveur d'une hausse des cotisations patronales. Le taux de cotisation effectif des employeurs au titre de la retraite (de base et complémentaire) est de 16,46% pour le salaire moyen (2 340 euros net), relève l'étude d'impact (PDF) du gouvernement sur le projet de réforme des retraites. Or, une augmentation "de l'ordre d'un point" de cette cotisation rapporterait 7,5 milliards d'euros par an, note l'Unsa. Si la CGT souhaite d'abord mettre à contribution les employeurs, la CFTC et l'Unsa se disent, elles, prêtes à demander un effort aux salariés, notamment ceux aux hauts revenus. Certaines organisations syndicales lorgnent aussi du côté des "cadeaux" fiscaux dont ont bénéficié les entreprises. Les exonérations ont fortement réduit les cotisations que payent les entreprises sur les bas salaires, une mesure pourtant jugée inefficace sur l'emploi pour les rémunérations supérieures à 1,6 smic, relevait le Conseil d'analyse économique en 2019.
Les partis de gauche défendent aussi la hausse des cotisations employeurs. Tout comme François Bayrou, le président du MoDem, membre de la majorité présidentielle. "Une très légère augmentation des cotisations patronales, d'un point à peine, (...) pourrait contribuer puissamment [à maintenir l'équilibre financier du système] et surtout garantir qu'il y a une juste répartition des efforts", expliquait-il aux Echos, début janvier. La proposition semble aussi séduire les Français : plus de la moitié (59%) des non-retraités sont ainsi prêts à cotiser davantage pour éviter de partir plus tard, selon un sondage Ifop pour Le Journal du dimanche.
>> Réforme des retraites : augmenter les cotisations de quelques euros par mois suffirait-il à équilibrer le système ?
Ce qu'en dit le gouvernement. Le gouvernement a bien prévu de mettre à contribution les entreprises, via une hausse des cotisations vieillesse, afin que "chacun prenne sa part", selon Elisabeth Borne. Sauf que cette contribution sera entièrement compensée par la baisse d'une autre cotisation employeurs, la contribution au régime des accidents du travail et maladies professionnelles, une branche de la Sécurité sociale excédentaire. Hors de question, pour l'exécutif, d'"augmenter le coût du travail", alors qu'il vise à atteindre le plein-emploi d'ici à la fin du quinquennat.
De même, pas question de faire porter un poids supplémentaire aux ménages, dans une période où leur pouvoir d'achat est déjà grignoté par l'inflation. "J'entends ceux qui disent 'c'est quelques euros par mois', a relevé le ministre du Travail, Olivier Dussopt, mi-janvier. Sauf que c'est quelques euros en 2023… En 2030, c'est 460 euros" par an et par salarié, compte tenu des besoins de financement, a-t-il ajouté.
Baisser les pensions des retraités actuels
La proposition. Les retraités français ont globalement "les moyens de participer à l'effort collectif", relevait fin décembre le think tank Terra Nova. Les pensionnés actuels "conservent aujourd'hui encore un niveau de vie supérieur à celui de l'ensemble de la population, ce qui n'était pas le cas avant les années 2000". Cette solution n'est néanmoins pas mise en avant par les partis ou les syndicats.
"Il y a une hypocrisie nationale sur le sujet : beaucoup de responsables politiques et syndicaux sont d'accord, mais n'osent pas le dire, de peur de ce qu'ils imaginent être le coût politique pour eux", estime auprès de l'AFP Antoine Foucher, ex-directeur de cabinet de Muriel Pénicaud au ministère du Travail. Parmi les mécanismes possibles, il envisage de sous-indexer les pensions par rapport à l'inflation (elles pourraient alors être revalorisées moins vite que l'augmentation des prix), voire de "jouer" sur l'abattement de 10% sur les revenus soumis à l'impôt, dont bénéficient aussi les retraités alors qu'il est prévu au titre des "frais professionnels". Les plus modestes pourraient être préservés, en ne sollicitant que les retraités percevant plus que le salaire médian, autour de 1 800 euros net.
L'économiste Antoine Bozio, directeur de l'Institut des politiques publiques, également favorable sur BFMTV à la sous-indexation des pensions par rapport aux prix, invite toutefois à distinguer "le conjoncturel d'une réforme de plus long terme". En effet, souligne-t-il, "le niveau de vie relatif des futurs retraités va baisser", puisque, hors période inflationniste, les salaires évoluent plus vite que les prix. Or, c'est sur les prix, et non les salaires, que les pensions sont indexées. A terme, le niveau de vie des actifs est donc amené à progresser plus rapidement que celui des retraités.
Ce qu'en dit le gouvernement. La baisse du niveau des pensions est totalement écartée par le gouvernement. Il veut au contraire relever légèrement les plus faibles d'entre elles, en cas de carrière complète. Les retraités ont par ailleurs déjà contribué au financement du système par leurs cotisations salariales, et le font encore via la CSG, prélevée sur les pensions, rappelle l'exécutif. "Si [les baisses de pensions] devaient à elles seules résorber le déficit du système de retraites (...), cela impliquerait, à la pension moyenne, une baisse annuelle d'environ 103 euros en 2023, 462 euros en 2024, 684 euros en 2027 et 719 euros en 2030", détaille le gouvernement dans son étude d'impact.
Néanmoins, cette mesure pourrait être un outil parmi d'autres, comme le pensent certains dans la majorité. C'est le cas de Marc Ferracci, député Renaissance des Français de l'étranger, qui assure au Monde (article réservé aux abonnés) qu'une "réflexion sur le juste partage de l’effort entre les générations" s’impose.
Taxer davantage les plus riches
La proposition. Dans son rapport sur les inégalités, publié mi-janvier, l'association de lutte contre la pauvreté Oxfam note que taxer les 42 milliardaires français "d'à peine 2%" par an permettrait de combler le déséquilibre du système de retraites, en rapportant près de 11 milliards d'euros. La proposition a notamment été reprise par l'eurodéputée LFI Manon Aubry sur Twitter. Dans la même veine, le patron du PS, Olivier Faure, a déploré, lors du meeting de la Nupes contre la réforme des retraites, mi-janvier, que le gouvernement écarte le rétablissement de l'impôt sur la fortune (ISF) ou l'instauration d'une taxe sur les "super-profits". Le socialiste, comme l'association Attac, proposent également de remplacer le prélèvement forfaitaire unique (la "flat tax") par l'imposition de l'ensemble des revenus financiers au barème progressif de l'impôt sur le revenu.
>> Réforme des retraites : taxer les milliardaires à 2% suffirait-il à combler le déficit du système ?
Ce qu'en dit le gouvernement. Le raisonnement d'Oxfam est "totalement faux", a estimé Olivier Véran, le porte-parole du gouvernement, lors d'un point presse. "Taxer quelques dizaines de milliardaires" pour remédier au déficit des retraites revient, selon lui, à confondre "la fortune personnelle d'un chef d'entreprise avec le capital d'une entreprise". Des économistes avancent aussi le risque de voir les grandes fortunes, et les emplois liés à leurs entreprises, quitter le territoire. Ou le fait que ces recettes sont volatiles, le patrimoine des plus riches étant généralement constitué d'actions à la valeur fluctuante.
Néanmoins, selon l'économiste Pascal Saint-Amans, "Oxfam met le doigt, avec pertinence, sur le fait qu'il existe de très grandes inégalités en France. Le gouvernement serait bien inspiré de se pencher sur la question de la taxation du capital". Certains, au sein du camp présidentiel, n'y sont d'ailleurs pas opposés. "Je suis pour le fait d'aller chercher de l'argent sur le capital, notamment en agrandissant l'assiette du prélèvement forfaitaire unique, souffle à franceinfo un député de l'aile gauche de la majorité. La question du partage de la valeur n'est plus un débat de gauche, mais un débat de société."
Lutter contre le chômage des seniors
La proposition. En ajoutant aux 56% des 55-64 ans actuellement en activité "10% à 15% de seniors supplémentaires qui travaillent, c'est 10 milliards [d'euros] qui rentrent" chaque année, affirme le leader de la CFTC, Cyril Chabanier. Un objectif qui pourrait passer par davantage de formations après 45 ans et une meilleure gestion des fins de carrière, quitte à imposer une "obligation de négocier" un accord dans les entreprises, comme le réclame la CFDT. Pour y arriver, plusieurs syndicats sont favorables à des sanctions pour les entreprises qui ne garderaient pas leurs salariés les plus âgés.
Ce qu'en dit le gouvernement. De son côté, l'exécutif a proposé de créer un index seniors pour les entreprises de plus de 50 salariés. Celles qui ne le publieraient pas s'exposeraient à une pénalité financière pouvant aller jusqu’à 1% de leur masse salariale. En revanche, l'absence de progression en matière d'emploi des seniors ne sera pas sanctionnée, selon le projet actuel. Insuffisant, pour les syndicats. "On voit bien que l'intention de cet index est, surtout, de ne rien faire qui puisse contraindre les employeurs", soupire auprès de franceinfo Dominique Corona, de l'Unsa.
Article techniquement bien ficelé et qui montre qu'il y a plusieurs pistes a explorer.
A mon sens il faudrait travailler sur ces 5 axes ensemble pour trouver une solution pérenne, notamment l'augmentation des salaires et gérer l'emploi des séniors.
Car oui, tant que nous n'aurons pas réglé la question du chômage des séniors dans notre pays, nous allons paupériser cette classe d'actifs en reculant l'âge de départ en retraite comme le montrent les exemples des pays ayant emprunté le même chemin...