Once a écrit : ↑10 décembre 2023 18:21
Je pense à une chose qui peut faire aussi la différence, et malheureusement en faveur de la Russie : il y a une grande différence entre le soldat ukrainien qui se bat en ce moment les pieds dans la boue d'une tranchée et le soldat russe en face, qui se bat dans les mêmes conditions.
Le premier ne se bat que pour sauver sa peau, il se bat aussi pour défendre son pays, sa patrie.
Et même si il peste contre ses pairs de Kiev à l'abri et qui vivent sur leurs petits nuages, même si il peste contre son Président Zélensky qui fait de la politique et qui ne prend pas suffisamment la mesure de ce qui se passe sur le terrain, il continue, il poursuit son combat qui n'est pas que le sien.
Il ne se bat pas pour des médailles ni pour le fric. Par ailleurs, si il a sous sa responsabilité quelques hommes, il va tout faire pour les protéger et pour leur éviter des blessures ou des coups fatals. Il connaît le prix du sang et il a vu suffisamment de morts ou de blessés et d'estropiés autour de lui. Il sait à quel point des vies sont brisées au retour, il sait à quel point les familles pleurent leurs victimes.
Les choses sont très différentes pour le soldat russe en face : généralement, il n'est pas recruté en Russie de l'Ouest, non. Il provient plutôt de la Russie pauvre, de la Russie de l'Est, il fait partie d'une minorité ethnique pas très instruite et plutôt frustre. Sa famille est pauvre, très pauvre et voir partir un des siens au combat n'est pas vécu de la même manière qu'en Ukraine. Parce que ce soldat perçoit des primes flatteuses et conséquentes qui lui permettront plus tard s'il revient vivant au pays de trouver une femme, de fonder une famille et d'entrevoir des jours meilleurs. Mais s'il ne revient pas vivant, sa famille, elle, touchera à vie ce qui lui permettra de subsister décemment. Alors, elle pourra toujours poser une photo du fils défunt sur le buffet du salon et le pleurer à sa façon mais elle lui sera surtout reconnaissant d'être parti à la guerre pour sauver sa famille. Et si l'état russe ne lui retourne pas le corps parce qu'il ne sera pas soucié de le rapatrier, cette famille n'aura qu'à se taire, parce que si elle l'ouvrait, l'état lui dira : "ne vous plaignez pas et n'exigez rien sinon nous dirons que votre fils a déserté et vous aurez la honte."
En Russie, on envoie de la chair à canon qui va se battre pour du fric et on se moque du prix de la vie de ses soldats parce que les réserves semblent inépuisables.
En Ukraine, on envoie des soldats se battre pour la défense de leur pays, pas pour du fric et on a le sens du coût de la vie, on évite les pertes d'hommes.
C'est une raison qui explique le grand malentendu de cet été entre l'état-major américain et l'état-major ukrainien : les Américains souhaitaient un "D Day", une grande offensive, un grand débarquement en Ukraine, comme en 44 sur les côtes françaises.
Avec leurs gros sabots, ils ne mesuraient pas le coût en hommes que cela aurait causé dans les troupes ukrainiennes (qui en avaient déjà suffisamment perdu des hommes !). Et puis les Ukrainiens n'avaient pas une véritable armada à leur disposition comme les Américains en 44 et puis les défenses russes, en face, étaient sacrément édifiées.
Les Ukrainiens ont bien pris conscience de tout cela et ont bien fait d'agir comme ils l'ont fait, au compte-goutte, en mesurant les risques, et en évitant de nouvelles pertes d'hommes inutiles pour des gains de territoires dérisoires.
Les Américains leur en ont voulu de cela et c'est à partir de là qu'ils ont commencé à prendre un peu la tangente : enfin, c'est l'impression que j'ai. Ils auraient aimé que les Ukrainiens remportent le Donbass en quelques semaines et ne leur ont pas pardonné de ne pas réaliser un exploit comme le leur en 44.
C'est très regrettable. Au contraire, ils auraient dû prendre en compte la spécificité des difficultés sur le terrain et admettre que les choses aient pu se passer autrement qu'ils l'auraient souhaité.
En tout cas, coup de chapeau au soldat ukrainien qui est sur le front en ce moment, qui se bat dans des conditions de plus en plus catastrophiques avec un manque important de munitions, qui voit bien que le moral n'est pas bon à l'arrière, qui sait que des jeunes ukrainiens essaient de fuir en Europe pour éviter la conscription alors que lui risque sa vie H 24, qui suit sur son portable les nouvelles internationales avec les atermoiements de l' UE et des Etats-Unis, qui est parfaitement au courant de tout ce qui se passe dans son dos en ce moment et qui tient bon malgré tout, et qui essaie de tenir sa position coûte que coûte.
Et qui ne se bat pas pour du fric ni des médailles. Non, mais parce qu'il donne un sens à son combat et parce qu'il essaie de faire en sorte que son combat ait un sens.
Quand j'y réfléchis , je me demande ce que l'on aurait à cœur de défendre avec le même courage désespéré si on en était au même point un jour en Europe.
J'ai bien peur que - depuis la triste période de la Collaboration - l'on ait définitivement perdu le sens de ce que c'est de défendre son pays, sa patrie avec ses valeurs.
Et qu'on n'ait pas le courage ni la conviction de défendre ce que l'on est et ce en quoi l'on croit comme le font en ce moment même les soldats ukrainiens sur le front Est.
Encore une fois : coup de chapeau à eux, quoiqu'il advienne et en espérant que l'Ukraine s'en sortira un jour.