Procès du RN : Marine Le Pen face aux contradictions de ses ex-assistants parlementaires
Par Valérie de Senneville
Publié le 16 oct. 2024 à 16:44Mis à jour le 16 oct. 2024 à 17:02
Pendant trois jours, la leader du Rassemblement national a dû s'expliquer sur le travail de ses assistants parlementaires quand elle était députée européenne.
Marine Le Pen est une femme politique. Personne ne le niera, pas même, bien sûr, le tribunal judiciaire de Paris devant lequel elle comparait depuis le 30 septembre. Problème : comme dans tous les procès d'hommes et femmes politiques, quand deux logiques s'affrontent - politique et juridique -,
à la fin, c'est le droit qui gagne.
Et les juges le savent. Alors quand la cheffe de file du mouvement nationaliste s'engouffre dans sa logique politique, le tribunal laisse filer la ligne. Marine Le Pen, persuadée que toute cette histoire n'est que « politique » parce que le RN est « la bête noire du Parlement européen », déroule sa vision du travail des eurodéputés et de leurs assistants. Et c'est là que cela commence à déraper.
Un « blob qui engloutit tout »
La leader du parti nationaliste monte souvent au créneau. Mais depuis lundi, c'est elle qui est en première ligne. Ce mercredi encore, elle glisse aux journalistes avant l'audience « qu'il y a un fantasme des juges sur le fonctionnement des partis politiques ».
Et au bout de ces trois jours le climat se tend entre la présidente Bénédicte de Perthuis et Marine Le Pen : «
C'est une situation assez étrange. Il y a un problème de droit : c'est à moi de prouver mon innocence ! Il y a un renversement de la charge de la preuve ! » s'agace-t-elle.
La présidente, elle toujours calme, reprend la procédure pour expliquer que « le moment de la preuve viendra plus tard […] Je sais que ça vous agace, mais on doit vous poser des questions et on va vous poser des questions », insiste la juge.
A la barre, sans faiblir, Marine Le Pen a détaillé sa vision du Parlement européen, un « blob qui engloutit tout », sorte de monstre vorace : « De temps en temps, vous devez rappeler aux eurodéputés : 'Coucou, vous êtes là pour faire de la politique.' » A force de métaphore, d'envolées politiques, Marine Le Pen esquive habilement les questions précises sans être interrompue par la présidente Bénédicte de Perthuis.
Marine Le Pen Cheffe de file du RN
Mais il faut bien justifier le travail de ses assistants parlementaires. C'est pour cela que le RN, Marine Le Pen et 24 autres personnes sont renvoyés : détournement de fonds publics, pour avoir mis en place un « système » permettant de faire rémunérer par le Parlement européen des assistants d'eurodéputés travaillant exclusivement pour le parti.
Alors Marine Le Pen explique sans relâche que le mandat d'un député, c'est aussi la parole politique. Dès lors, comment distinguer son rôle de présidente du RN (de 2011 à 2021) de celui d'eurodéputé « à trois puis sept [eurodéputés NDLR], on avait un poids epsilonesque. Il nous restait que la parole politique. Le mandat, c'est aussi l'activité politique », insiste-t-elle. Le député travaille pour son parti, et l'assistant qui l'accompagne travaille donc indirectement pour lui. Ce qui justifierait aussi, selon elle, « une sorte de mutualisation » des assistants parlementaires qui mettent en commun notes, revues de presse ou activités de secrétariat.
« Vous cherchez la petite bête »
L'avocat de l'institution européenne, Patrick Maisonneuve, prend alors un plaisir matois à citer une déclaration de l'ex-présidente du RN, pendant l'instruction, dans laquelle elle affirme que « lorsque les assistants parlementaires n'étaient pas strictement attachés à des tâches parlementaires, ils pouvaient aussi travailler pour le parti ».
«
Je conteste formellement avoir dit cela », rétorque Marine Le Pen.
Manque de chance, ces déclarations ont été faites dans une lettre adressée par elle aux juges d'instruction au début de l'enquête. « Vous cherchez la petite bête », se défend-elle après quelques minutes d'embarras vite dissimulé : « Ce n'est pas 'pour', c'est au 'bénéfice' du parti. »
Il n'empêche, le tribunal cherche vainement quel rôle ont joué, au Parlement européen, certains de ses assistants en dehors du parti. Un exemple. Catherine Griset, assistante au Parlement européen de Marine Le Pen, mais également sa cheffe de cabinet au parti, et donc rémunérée par le Parlement européen entre 2010 et 2016. Pendant la période où elle était censée être à Bruxelles, comme assistante accréditée avec donc l'obligation d'y résider, elle n'aurait passé que « douze heures » dans les locaux du Parlement européen entre octobre 2014 et août 2015 selon la pointeuse du Parlement.
Souffleur de théâtre
Interrogée mardi par le tribunal, Catherine Griset, aujourd'hui députée européenne du RN, répète inlassablement sa leçon. De peur qu'elle l'oublie, son avocat n'arrête pas de lui susurrer ses répliques à l'oreille. Au point d'exaspérer Bénédicte de Perthuis qui demande sèchement à l'avocat d'arrêter de jouer les souffleurs de théâtre : « C'est à votre cliente que je m'adresse. »
Alors pour ne pas dévier, Catherine Griset répète comme un mantra : « Je ne travaillais pas pour le parti, je travaillais pour Marine Le Pen », soutient-elle d'un ton peu assuré. Elle est « désolée » car elle n'avait « pas compris » qu'elle devait « vivre toujours à Bruxelles […] Je n'avais pas conscience de faire quelque chose de pas bien. »
Bénédicte de Perthuis savoure : « Vous déclarez ne pas avoir su que vous deviez vivre à Bruxelles. Pourquoi alors payer vos billets d'avion ou de train [quand elle doit s'y rendre avec Marine Le Pen, NDLR]. On n'a jamais vu des gens payer sur leurs propres deniers leurs déplacements professionnels », s'interroge faussement naïve Bénédicte de Perthuis. « Ben… heu… » Catherine Griset bafouille, hésite. Quatre heures plus tard, la voix de l'ex-assistante n'est plus qu'un filet parfois inaudible et le tribunal n'a toujours eu aucune explication concrète.
Pendant l'interrogatoire de celle qu'elle a connue il y a trente-deux ans, Marine Le Pen, elle, s'agace, se lève, va voir son avocat, ses lourds dossiers épinglés de Post-it sous le bras. Elle ne peut s'empêcher de laisser échapper de temps en temps un : « Mme la présidente, pardon mais… »
A la fin n'y tenant plus, elle tient à revenir sur son premier interrogatoire, la veille, parce qu'elle a eu « l'impression » que le tribunal estimait qu'elle ne se souciait que bien peu des règles.
« Comportement olé olé »
« Je ne souhaite pas que le tribunal mette en doute le sérieux avec lequel je respectais les règles », avertit-elle d'un ton sec. « Je n'avais pas à l'égard des règles un comportement olé olé. »
Plus tard, Micheline Bruna, secrétaire particulière de Jean-Marie Le Pen, un temps sur « l'enveloppe » de Marine Le Pen, est soumise au même régime et aux mêmes hésitations que Thierry Légier, ancien garde du corps de Jean-Marie Le Pen et de Marine Le Pen, qui tente d'expliquer qu'il s'occupait « aussi » de l'agenda et de la presse. Même chose encore avec Guillaume L'Huillier, directeur de cabinet de Jean-Marie Le Pen, passé successivement des enveloppes de Bruno Gollnisch à Marine Le Pen.
Au fur et à mesure des explications vaines des assistants, Bénédicte de Perthuis semble perdre patience mais continue inlassablement à pointer les contradictions des prévenus et/ou leurs incohérences. « Ben, on n'a toujours pas compris depuis la semaine dernière », réplique-t-elle ainsi à Guillaume L'Huillier qui l'interpelle : « C'est toujours les mêmes questions que la semaine dernière [quand il avait été entendu comme assistants de Bruno Gollnisch]. »
L'audience doit se poursuivre jusqu'au 27 novembre.
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