Et ça n'est hélas pas qu'à Amsterdam que les juifs ne se sentent plus en sécurité.
A Amsterdam, «les Juifs ne se sentent plus en sécurité» : la capitale néerlandaise s’inquiète d’une résurgence de l’antisémitisme
Les violences de la nuit du 7 au 8 novembre en marge d’un match de football nourrissent les craintes de la communauté juive dans la capitale des Pays-Bas, où les actes antisémites ont fortement augmenté depuis les attaques terroristes du 7 Octobre en Israël.
Adossé au comptoir d’une épicerie casher dans le quartier de Buitenveldert, dans le sud d’Amsterdam, Dovi cherche les mots justes. Trois jours plus tôt, dans la nuit du 7 au 8 novembre, des violences ont émaillé la capitale des Pays-Bas en marge du match de football entre l’Ajax locale et le Maccabi Tel-Aviv. Des hommes à scooter ont poursuivi les supporteurs israéliens, les ont frappés après leur avoir, dans certains cas, demandé leur passeport pour identifier leur nationalité. Les ultras du Maccabi eux-mêmes se sont rendus coupables de violences physiques et verbales. Dovi, lui, parle de «pogrom», comme les autorités israéliennes.
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Je suis toujours très positif, je parle avec tout le monde, je travaille avec tout le monde, assure Dovi. Mais là, quelque chose est en train de changer.» Il est rabbin et guide culturel dans la vieille ville. «Avant, quand des touristes me posaient la question, je leur disais qu’Amsterdam était un endroit sûr pour les Juifs. Maintenant, je ne sais plus trop. Jamais je n’aurais imaginé que quelque chose comme ça puisse arriver», souffle-t-il. «Ça fait un an que ça monte ! On savait tous que ça allait finir par arriver», objecte un client de l’épicerie, assis devant son café. Dovi opine doucement.
Avant même les violences de jeudi, qualifiée d’«attaques antisémites totalement inacceptables» par le Premier ministre néerlandais,
Dick Schoof, Amsterdam et les Pays-Bas en général s’inquiétaient depuis les massacres terroristes du 7 octobre 2023 d’une hausse des violences contre la communauté juive du pays, forte d’environ 40 000 personnes. Selon les chiffres officiels, le nombre d’actes antisémites au niveau national a doublé pendant l’année 2023. Le Centre d’information et de documentation sur Israël (CIDI) calcule une hausse encore plus importante : d’après les données de cette organisation de lutte contre l’antisémitisme, 379 actes de cette nature ont été commis en 2023 (dont plus de la moitié à partir du mois d’octobre), soit une augmentation de 245 % par rapport à 2022.
«Il m’a craché dessus»
«Cette année, on va battre tous les records depuis que nous publions des rapports [en 1984]. Et l’année n’est pas encore terminée», alerte Bart van Dijk, chargé de plaidoyer du CIDI, ruban jaune sur le revers de son costume en signe de solidarité avec Israël et avec les otages retenus dans la bande de Gaza. Parmi ces agissements, des menaces en ligne, des actes d’intimidation, comme cette attaque contre l’ambassade israélienne à La Haye, visée le 21 mars par un «objet enflammé», selon la police, et aussi plusieurs agressions physiques.
Bart van Dijk, chargé de plaidoyer du Centre d’information et de documentation sur Israël, à Amsterdam le 9 novembre 2024. (Albert Facelly/Libération)
Dovi, le rabbin, raconte lui-même en avoir été victime, alors qu’il rentrait chez lui, sa fille d’un an dans une poussette, à la suite d’un rassemblement de commémoration du premier anniversaire du 7 Octobre. «J’ai vu un piéton qui venait vers moi.
Il m’a crié “Putain de juif”, et il m’a craché dessus. Je n’avais jamais vécu ça», rapporte-t-il. Deux jours plus tard, dans ce même quartier Buitenveldert où se trouvent plusieurs synagogues, des écoles confessionnelles juives et des restaurants casher, le domicile d’un Israélien de 59 ans, qui avait participé lui aussi à la manifestation du 7 octobre, a été vandalisé. Chez lui, un drapeau israélien a été déchiré et des documents religieux éventrés. L’homme affirme avoir été visé personnellement, parce qu’il avait répondu à visage découvert à la télévision lors de la manifestation. «Dans ce quartier, les gens [juifs] ont peur. Dès que je porte une kippa, je me fais beaucoup d’ennemis», a-t-il expliqué au quotidien De Telegraaf.
Passé tragique
A Amsterdam peut-être plus encore qu’ailleurs, le débat sur l’antisémitisme est sensible et particulièrement inflammable du fait du passé tragique de la capitale des Pays-Bas. Longtemps, la ville a accueilli une communauté juive florissante, issue des vagues d’immigration espagnoles et portugaises du XVIIe siècle, au point d’être parfois surnommée «la Jérusalem de l’Ouest». Juste avant le milieu du XXe siècle, quelque 80 000 Juifs résidaient à Amsterdam. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, cependant, les autorités néerlandaises décident de collaborer avec le régime nazi. Quelque 100 000 Juifs des Pays-Bas sont déportés et assassinés, soit 75 % de la population juive d’avant-guerre – plus que dans n’importe quel autre pays d’Europe de l’Ouest.
Près du centre-ville, à proximité du quartier juif historique où se trouve la prestigieuse synagogue portugaise, le roi Willem-Alexander a inauguré le 10 mars le premier musée national de l’histoire de la Shoah aux Pays-Bas. D’imposants blocs de pierre ont été installés à l’entrée du bâtiment, entre les arbres et les lampadaires, pour en assurer la sécurité.
Critiques en négligence
«Les Juifs ici ne se sentent plus en sécurité. Ils ont le sentiment d’avoir été trahis», déplore Bart Van Dijk, du CIDI, alors que le dispositif policier autour du match de jeudi suscite des critiques en négligence contre les autorités municipales, qui avaient pourtant déployé 800 policiers pour éviter que la situation ne dégénère. «Ce qui s’est passé, c’est le résultat d’une année de diabolisation d’Israël et de légitimation de la violence envers toute personne considérée comme ayant des liens avec Israël», poursuit-il, en référence aux nombreuses manifestations organisées ces derniers mois à Amsterdam et ailleurs en solidarité avec la bande de Gaza, où plus de 41 000 personnes, selon les autorités palestiniennes, ont été tuées en treize mois dans des frappes israéliennes.
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Il y a eu de très nombreuses manifestations propalestiniennes aux Pays-Bas cette année et elles se sont toujours déroulées dans le calme, sans incident violent», conteste Hilla Dayan, enseignante en sociologie politique à l’Amsterdam University College. Selon cette chercheuse israélo-néerlandaise, également membre d’un collectif d’Israéliens opposés à la guerre dans la bande de Gaza, les événements survenus jeudi sont «honteux et très inquiétants», mais ils sont «
utilisés à des fins politiques par les populistes néerlandais, qui manipulent le langage pour faire peur, par exemple en parlant de pogroms». Samedi, le Premier ministre, Dick Schoof, a rencontré le nouveau ministre des Affaires étrangères israéliens, Gideon Saar.
Il lui a assuré «que le gouvernement néerlandais faisait tout pour que la communauté juive de ce pays se sente en sécurité».
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