Elon Musk a qualifié l’ancien commissaire européen de «tyran de l’Europe», l’accusant d’avoir fait l’aveu d’un projet d’annuler les élections allemandes si l’extrême droite venait à l’emporter.
Dernière joute en date du milliardaire d’extrême droite : Elon Musk s’en est pris récemment à l’ancien commissaire européen au marché intérieur, Thierry Breton. Samedi 11 janvier, sur son réseau social X, celui qui est désormais engagé corps et âme aux côtés de l’AfD, parti xénophobe allemand, dans la course aux élections fédérales du 23 février, a publiquement moqué la «surprenante absurdité» de Thierry Breton, qualifié sobrement de «tyran de l’Europe».
The astounding absurdity of @ThierryBreton
as tyrant of Europe
https://t.co/fdLp8rbF0M
— Elon Musk (@elonmusk) January 11, 2025
Musk s’appuie sur une publication de Visegrad24, média en ligne conservateur polonais. Cette dernière affirme : «L’ancien commissaire européen Thierry Breton dit que l’Union européenne dispose de mécanismes pour annuler une potentielle victoire de l’AfD aux élections : “On l’a fait en Roumanie et on le fera évidemment en Allemagne si nécessaire”.» Et d’accompagner son tweet d’un extrait vidéo de vingt secondes, tiré d’une interview en date du 9 janvier dans l’émission Apolline Matin, sur RMC. On y entend Thierry Breton tenir ces propos : «Attendons de voir ce qu’il va se passer et pour l’instant, gardons notre sang-froid et faisons appliquer nos lois en Europe, lorsque celles-ci risquent d’être circonvenues et qu’elles peuvent, si on ne les applique pas, conduire à des interférences. On l’a fait en Roumanie, il faudra évidemment le faire, si c’est nécessaire, en Allemagne.»
Avant Visegrad24 – et avant Musk –
c’est Myriam Palomba, chroniqueuse sur TPMP et candidate aux dernières européennes sur la liste d’extrême droite de Florian Philippot, qui a relayé cette séquence dès le 10 janvier, s’insurgeant : «Incroyable. Le censeur pro-européen Thierry Breton vient d’avouer que l’UE avait fait annuler les élections en Roumanie et qu’elle se permettra de le faire aussi en Allemagne si l’AfD gagnait.»
Sur X, samedi matin, Thierry Breton a riposté au tweet de Musk : «Tyran de l’Europe ? Wow ! Mais non, Elon Musk : l’Union européenne ne dispose pas d’un mécanisme pour annuler une élection, où que ce soit dans l’Union européenne. Ce n’est pas du tout ce qui est dit dans la vidéo, qui porte uniquement sur l’application du DSA et des obligations de modération. Mauvaise traduction… ou énième fake news ?»
Tyrant of Europe
? Wow!
But No @elonmusk: the EU has NO mechanism to nullify any election anywhere in EU. Not at all what is said in the video below related only to the application of the DSA and its moderation obligations. Lost in translation
…or another fake news
?
https://t.co/oqh8wI4O55
— Thierry Breton (@ThierryBreton) January 11, 2025
Isolées d’une interview qui dure environ sept minutes, les vingt secondes partagées par la complosphère et l’extrême droite ne mentionnent pas explicitement l’objet des propos de Thierry Breton : en l’occurrence,
le DSA, pour «Digital Services Act», soit en Français, le «règlement européen sur les services numériques», comme le mentionne l’ex-commissaire européen dans son tweet.
Concrètement, ce dernier est interrogé par Apolline de Malherbe sur «le bras de fer délirant» entre Elon Musk, Donald Trump et l’Europe, à quelques heures de la conversation sur X programmée entre le propriétaire du réseau social et Alice Weidel, candidate pour le parti d’extrême droite allemand, et alors qu’Elon Musk réclame par ailleurs quotidiennement la démission du Premier ministre britannique.
Thierry Breton répond en se focalisant sur le DSA. Il dit ainsi : «Lors du dernier mandat à la Commission, j’ai été celui qui a porté cette loi sur les réseaux sociaux, et je le dis très clairement à votre micro : certainement pas pour brider la parole. […] Donc au fond, [Musk] a le droit de s’exprimer. En revanche, s’il le fait sur les réseaux sociaux qui sont régulés en Europe, alors là l’Europe a son mot à dire, c’est la loi que j’ai portée et qui a été votée par nos instances démocratiques, par le Parlement européen et le Conseil. Et cette loi, elle dit quoi ? Tout simplement que lorsque vous utilisez un réseau social, il y a un effet amplificateur. C’est ça qui est contrôlé, pour éviter qu’on fasse n’importe quoi.» Et de poursuivre : «A partir du moment où il opère en Europe, où nous avons des lois pour contrôler l’amplification faite artificiellement par des algorithmes et qui peuvent interférer dans nos élections, nos démocraties, sur nos enfants, alors là évidemment, nous, on régule.»
Matière à confusion
Thierry Breton évoque ensuite le cas précis de la Roumanie. A cette occasion, et contrairement à ce qu’il affirme dans sa réponse à Elon Musk, il prononce une phrase prêtant à confusion : «Je ne doute pas que [la loi] sera appliquée. […] Cela a été fait du reste sur TikTok, ce réseau chinois dont on a eu des suspicions qu’il avait été utilisé, manipulé, pour interférer dans les élections en Roumanie.» Il précise, liant lui-même le DSA à l’annulation des élections roumaines : «C’est allé, précisément parce qu’on applique cette loi, jusqu’à l’invalidation des élections.»
Puis il enchaîne au sujet du scrutin à venir en Allemagne : «J’avais déjà annoncé à Elon Musk, quand j’étais encore en poste au mois d’août, que même lorsqu’il faisait des discussions politiques retransmises en Europe avec une plateforme qui elle-même est régulée, il doit suivre les règles européennes. Là, avec l’AfD, il faut les suivre, Je suis certain qu’on va prendre toutes les mesures pour s’assurer qu’il respecte la loi et s’il ne la respecte pas, il y a des amendes et la possibilité d’interdiction.» Enfin, dans les toutes dernières secondes de l’interview, Thierry Breton invite à attendre de voir si Musk sera effectivement nommé dans l’administration Trump. C’est cette phrase qui sera ensuite isolée sur les réseaux : «Pour l’instant, gardons notre sang-froid et faisons appliquer nos lois en Europe lorsque celles-ci risquent d’être circonvenues, et qu’elles peuvent, si on ne les applique pas, conduire effectivement à des interférences. On l’a fait en Roumanie, il faudra évidemment le faire si c’est nécessaire en Allemagne.»
Cour constitutionnelle de Roumanie
Dans les faits, en Roumanie le 6 décembre, c’est bien la Cour constitutionnelle – et non l’Union européenne – qui a décidé, à l’unanimité, d’annuler «l’ensemble du processus électoral concernant l’élection du président de la Roumanie», «afin de garantir l’exactitude et la légalité» du scrutin. Le candidat d’extrême droite Calin Georgescu, notamment opposé à l’aide militaire en Ukraine, était en tête du premier tour. Il a dénoncé un «coup d’Etat» face à cette décision, qui est intervenue suite à la déclassification, par les autorités roumaines, de rapports des services de renseignements rapportant une campagne russe menée sur TikTok, en faveur de Georgescu.
En parallèle, la Commission européenne a envoyé à TikTok une demande d’information urgente sur le sujet. Le 17 décembre, soit plus de dix jours après l’annulation de l’élection par les autorités roumaines, la Commission a ouvert une enquête en vertu du DSA. Ce règlement européen sur les services numériques, qui date d’octobre 2022, vise notamment les fournisseurs d’accès à internet et les plateformes en ligne, parmi lesquelles les réseaux sociaux – dont X. Il entend lutter contre les contenus illicites en facilitant leur signalement et leur retrait, améliorer la transparence en matière de modération et enfin atténuer les risques systémiques générés sur les droits fondamentaux, la santé publique ou encore les processus électoraux.
Ce règlement prévoit des sanctions envers les plateformes pouvant conduire à des amendes et à une interdiction du marché européen. Dans le détail, ce texte ne mentionne aucune marge de manœuvre quant à une éventuelle annulation d’élections dans les Etats membres.
«Compétence nationale»
Auprès de CheckNews, la Commission européenne confirme que le DSA ne peut en aucun cas aboutir à une décision affectant le processus électoral, telle que l’annulation d’une élection – et que le périmètre de ce dernier se concentre sur les plateformes numériques. Un porte-parole précise ainsi :
«Il appartient aux autorités roumaines de prendre les décisions sur le processus électoral. Les élections sont une compétence nationale et la Commission ne s’occupe pas du processus électoral roumain, qui est l’affaire des autorités roumaines. Cette décision d’ouvrir une enquête tient compte des informations reçues à partir de rapports de renseignement déclassifiés des autorités roumaines ainsi que de rapports émanant de tiers. L’enquête porte également sur l’analyse de rapports fournis par TikTok en 2023 et 2024, les réponses aux demandes d’information de la Commission et des documents internes fournis par TikTok.»
La Commission indique en outre que l’enquête, toujours en cours, n’a pas encore rendu ses conclusions. En Roumanie, le premier tour du scrutin est à nouveau programmé pour mai. Concernant sa phrase pouvant porter à confusion, Thierry Breton, de son côté, reconnaît auprès de CheckNews un «raccourci de langage» et indique qu’en «tout état de cause, les autorités locales sont seules habilitées à prendre les décisions finales qu’elles jugent utiles, et non pas le DSA».