article complet du Parisien, pour mettre de la lumière sur certains fantasmes et élucubrations complotistes:
A l’Elysée, dans les coulisses de la crise des Gilets jaunes
>Politique|Ava Djamshidi et Nathalie Schuck| 14 décembre 2018, 6h02 |29
Le chef de l’État a passé un nombre incalculable d’heures rivé à ses deux iPhone. AFP/Thibault Camus
Pendant les neuf jours où son mandat a vacillé face à la rue, le président a écouté les critiques, consulté, fait profil bas. Une épreuve politique et personnelle.
« Nul, nul, tu es nul ! On ne comprend rien à ce que tu fais… » : au bout du fil, ce fidèle est en colère. En ces jours de révolte, loin du président autiste que l’on dépeint parfois, Emmanuel Macron s’est laissé rudoyer par ses soutiens, rongés par l’inquiétude. Dans les neuf jours cruciaux qui ont suivi le saccage de l’Arc de Triomphe et précédé son allocution télévisée de lundi, chacun y est allé de sa recommandation sur son téléphone portable.
Si bien que le chef de l’État a passé un nombre incalculable d’heures rivé à ses deux iPhone, recevant un tourbillon de textos, mails et appels de députés, ministres, conseillers officieux ou grands patrons. « C’est la première fois qu’une crise gouvernementale est gérée depuis un smartphone ! » sourit un macroniste.
Du temps de François Mitterrand ou Nicolas Sarkozy, on appelait ces éminences grises qui murmurent à l’oreille des présidents des « visiteurs du soir ». Ils venaient converser le dimanche ou à la nuit tombée sous les dorures de l’Élysée. Le « nouveau monde » est passé par là. Président pressé de 40 ans, Macron ne reçoit pas, ou peu.
Un comité de sages aux tempes blanches
S’il a rencontré discrètement un Gilet jaune convié au Palais, s’il a déjeuné avec Sarkozy et reçu des élus des Yvelines, il a surtout textoté. Avec Daniel Cohn-Bendit, par exemple, qui lui a suggéré de battre sa coulpe : « Montre que tu as compris que des phrases ont blessé. » Ou avec l’économiste Philippe Aghion, partisan d’une taxe sur les hauts revenus. Débordé, il n’a pas toujours répondu, se contentant d’un : « Je fais mon miel. »
Souvent critiqué pour l’absence de poids lourds à ses côtés, il s’est entouré, en ces jours d’orage, d’un comité de sages aux tempes blanches. Des hommes de bonne volonté, des « vieux de la vieille » comme le communicant Philippe Grangeon -qui le presse de renouer avec l’empathie de sa campagne-, François Bayrou -qui le pousse à se recentrer-, le patron de l’Assemblée, ancien du PS, Richard Ferrand -qui le somme de ne pas oublier « la France qui perd »-, ou l’ancien ministre chiraquien Jean-Paul Delevoye.
Ces hommes -deux siècles et demi à eux quatre- ont été omniprésents en coulisses. C’est avec eux qu’il a évoqué les pistes de sortie de crise. Mais c’est seul qu’il a arbitré.
Brigitte Macron a plaidé pour l’apaisement
Seul, aussi, qu’il a rédigé son discours dimanche, sans doute le plus important de sa vie. Et l’un des plus chers de l’histoire : « 12 milliards pour 12 minutes, du jamais-vu ! » siffle un Marcheur. Le président voulait quelque chose de très personnel. « Comme dans ces couples qui, le jour de leur mariage, s’écrivent une lettre pour la lire des années après quand ça va mal, il voulait rappeler aux Français qu’ils se sont aimés », philosophe, lyrique, l’un de ses proches.
Son épouse Brigitte, dont l’avis lui est si précieux, est l’une des rares à avoir lu le texte avant. Elle voulait qu’il s’en sorte, a plaidé pour l’apaisement. « Elle est sincèrement triste de ce qui arrive. Et vous savez quoi ? Elle comprend la colère. C’est le fruit de trente ans d’impuissance », confie un intime. La première dame était comme hypnotisée par les chaînes info, émue par les témoignages de ces employés au bout du rouleau en gilet jaune, autant que stupéfaite par la haine tripale contre son mari. Elle a trouvé ça « dur ».
Des mesures découvertes en direct par les ministres
Lundi, à 19 heures, lors de l’enregistrement de l’allocution à l’Élysée, seuls ses communicants et sa femme se trouvaient dans la pièce. Une prise a suffi. Certes, le nœud de cravate était de travers, le regard désaxé en raison d’un prompteur mal réglé. « C’était un peu Actors Studio », achève un ami. Mais le ton a été jugé bon. Quant aux mesures, nombre de ministres et certains conseillers de son cabinet les ont découvertes… en direct. Furieux des pressions exercées par Bercy, le président a voulu tenir tête aux « technos ».
Le matin même, Bruno Le Maire assurait que la hausse de CSG pour les retraités serait maintenue. Et Édouard Philippe brandissait, lors de la grand-messe organisée à l’Élysée avec élus et partenaires sociaux, le chiffre d’une dette de « 100 % du PIB ». « Une ultime pression pour l’empêcher ! » accuse un intime. Au sommet de l’État, le fossé entre « sociaux » et tenants de l’orthodoxie budgétaire est désormais béant.
«Une épreuve personnelle»
Mais depuis lundi, le président respire mieux. L’audience énorme -23 millions de téléspectateurs, un Français sur trois- l’a rasséréné. Il n’est pas « hollandisé », sa hantise. Reste la violence. « Il a vécu ça comme une épreuve personnelle », confie un proche. Durant ces jours où son quinquennat a été suspendu en l’air, régnait une ambiance crépusculaire.
« Sarkozy s’est représenté mais n’a pas été réélu, Hollande n’a pas pu se représenter, Macron ne finira peut-être pas son mandat… » frémissait l’un. Le président a été bouleversé que les chocolateries Trogneux, dans la famille de sa femme, soient prises pour cible. Ou par cette petite main de sa campagne, en larmes, qui a appelé la première dame après avoir été menacée.
La semaine passée, les Macron sont sortis dîner en tête-à-tête dans Paris. À leur retour, ils sont passés remercier les standardistes du Palais, qui ont essuyé des insultes. Soulagé, le président sait que tout peut encore basculer. Que beaucoup dépend de lui. Un ami l’avertit : « S’il ressort une phrase à la con, cette fois ça comptera double. »