Avec le Brexit, le retour du poulet au chlore américain en Europe?
Lever les interdictions qui pèsent sur certains produits agricoles américains est l'un des objectifs d'un accord de libre-échange Etats-Unis/Royaume-uni en cas de Brexit.
BREXIT - Economiquement, les Etats-Unis ont-ils vraiment intérêt au Brexit ? Si “hard Brexit” il y a, “nous conclurons un grand accord commercial”, promet Trump depuis son arrivée au pouvoir. “Le potentiel est sans limite”, ce sera “un très, très gros deal, considérable et très bon pour les deux pays”.
Dans les discours du président américain, aucun superlatif n’est de trop pour vanter la future relation entre Londres et Washington.
Dans la réalité, le marché britannique pour les Etats-Unis, “c’est une goutte d’eau”, relativise l’économiste Véronique Riches-Flores, interrogée par le HuffPost. “Ce n’est pas un marché attractif, il est petit, instable... Aucune grosse entreprise américaine n’a d’intérêt particulier en Angleterre. Ce que les américains cherchent, c’est un partenariat géostratégique pour se positionner sur le marché européen et plus particulièrement, le marché agricole européen.”
Aujourd’hui, Bruxelles, au grand dam de Trump, boycotte ou limite toute une série de produits agricoles américains, des poulets lavés au chlore, aux OGM en passant par le bœuf aux hormones.
Le scénario rêvé pour les Etats-Unis: exporter plus facilement en Angleterre leur nourriture et profiter d’un possible accord entre le Royaume-Uni et l’UE pour pénétrer le marché européen.
“Les Européens comptent bien se prémunir d’un tel scénario, c’est l’un des enjeux des négociations sur le Brexit entre l’UE et le Royaume-Uni”, insiste Véronique Riches-Flores. Une vigilance qui pourrait être accrue avec la montée en puissance des Verts aux dernières élections européennes. Mais Trump n’a pas dit son dernier mot. “Les Allemands, notamment, ne sont pas complètement fermés à des compromis dans le secteur agricole pour protéger leur industrie automobile, menacée par Trump dans le cadre de sa guerre commerciale contre l’Europe.”
Les sept dangers alimentaires du Brexit
“Si le gouvernement britannique accepte un accord de libre-échange avec les États-Unis, nous pourrions faire face à un certain nombre de risques pour la sécurité des aliments”, estime un rapport du Chartered Institue for Environmental Health, intitulé “nourrir la Grande-Bretagne après le Brexit”, qui liste sept dangers potentiels.
Parmi eux, le poulet au chlore mais aussi les pesticides. “Les concentrations de résidus de pesticides dans les produits agricoles américains sont souvent considérablement plus élevées que dans les productions de l’UE”, explique, par exemple, le rapport. “L’importation de ces produits entraînerait une nette augmentation de la quantité de pesticides ingérés par les consommateurs britanniques.”
Autre danger: la ractopamine, un médicament fréquemment utilisé dans les élevages américains pour booster la masse musculaire des porcs tout en réduisant la graisse, et fabriquer ainsi une viande plus rentable. En Europe, une loi interdit son usage au vu de ses potentiels dangers pour la santé.
Une autre pratique jugée acceptable par les autorités américaines, mais interdite en Europe, consiste à mélanger ce qu’on appelle poliment “litière de poulet” - plus concrètement, des matières fécales de poulet - dans les aliments pour animaux, y compris les aliments destinés à la volaille.
Pour les USA, pas d’accord sans poulet au chlore
Tant qu’il reste membre de l’Union européenne, le Royaume-Uni ne négocie pas lui-même ses traités commerciaux. C’est l’Europe qui s’en charge. Comme l’a dit Trump à la première ministre Theresa May lors de sa visite aux Etats-Unis en 2017, “en sortant de l’UE, vous allez pouvoir conclure des accords de libre-échange sans avoir quelqu’un qui vous surveille et regarde ce que vous faites.”
Dans une synthèse du gouvernement américain sur les ambitions d’une future négociation commerciale avec le Royaume-Uni en cas de Brexit, publiée en février, on peut lire parmi les objectifs: ”éliminer les pratiques qui faussent ou réduisent injustement les opportunités d’accès au marché agricole américain, notamment en limitant les restrictions non tarifaires discriminantes à l’égard des produits agricoles américains.” Ce document propose aussi d’”établir des engagements spécifiques pour le commerce des produits issus des biotechnologies”.
Pas vraiment du goût des Anglais, en tous cas de l’opinion publique. Theresa May a dû réagir dans un communiqué précisant “qu’il a toujours été très clair que nous n’abaisserions pas nos standards alimentaires lors d’un futur accord commercial.”
Côté Etats-Unis, en revanche, ce n’est pas si clair. Pour le ministre de l’Economie Wilbur Ross, la modification des règles dans le domaine de la sécurité alimentaire constitue un ”élément essentiel de toute discussion commerciale” entre Londres et Washington. Sans poulet au chlore, pas d’accord, a t-il fait comprendre lors de la conférence annuelle de la CBI (Confederation of British Industry annual conference) à Londres en 2017, relatée dans le journal The Independent.
Plus récemment, dans une tribune publiée en mars dans le quotidien The Telegraph, l’ambassadeur américain, Robert Wood Johnson, fustigeait “les termes trompeurs de poulet au chlore et bœuf aux hormones”, utilisés “pour jeter l’opprobre sur l’agriculture américaine.” Il prévenait: “continuer à calomnier les pratiques agricoles américaines enfermera la Grande Bretagne dans le musée de l’agriculture de l’Union européenne.”