..............................Retraites: Jean-Paul Delevoye a «oublié» de déclarer ses liens avec le monde de l’assurance..............................
La déclaration d’intérêts du haut-commissaire aux Retraites a été publiée samedi. Il y manque sa fonction d’administrateur au sein d’un institut de formation de l’assurance, révèle le Parisien. Une «erreur» de sa part, reconnaît l’intéressé.
La déclaration d'intérêts de Jean-Paul Delevoye est tombée ce samedi 7 décembre sur le site de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Nommé haut-commissaire aux Retraites et devenu membre du gouvernement le 3 septembre, le chef d'orchestre de la réforme des retraites a dû se soumettre à ce passage obligé, comme tous les membres de l'exécutif.
Qu'y découvre-t-on ? En plus de cumuler un salaire de ministre délégué de 10 135 euros brut et ses pensions de retraite liées à ses anciennes fonctions (rien d'illégal), Jean-Paul Delevoye peut également compter sur d'autres revenus, selon sa déclaration. Il occupe la fonction de président du think-tank Parallaxe de « HEP Education au sein du groupe de formation IGS » depuis 2017, avec à la clé une coquette rémunération. Selon sa déclaration, en 2018 et en 2019, il a perçu à ce titre 5368,38 euros mensuels, soit un montant annuel de 64 420 euros net.
Concernant ses activités passées, entre 2016 et 2017, il indique avoir eu des fonctions rémunérées comme conseiller du délégué général du groupe de formation IGS : 25 000 euros net en 2016 et 40 000 euros net en 2017. Au point 6 de sa déclaration concernant « les fonctions bénévoles susceptibles de faire naître un conflit d'intérêts », on découvre aussi qu'il est président d'une association des orchestres nationaux, appelée la Chartreuse de Neuville.
Un oubli, l'institut de formation des assureurs:
Le hic, c'est qu'il manque une indication de taille à son arc professionnel. Et sans doute l'une des plus gênantes au vu de ses fonctions de haut-commissaire chargé de la réforme des retraites (depuis 2017). Jean-Paul Delevoye est en effet étroitement lié au monde de l'assurance, depuis 2016, date à laquelle il est devenu l'un des administrateurs de l'Ifpass, l'Institut de formation de la profession de l'assurance.
Cet institut est présidé par Roger Belot, président d'honneur de la MAIF, et compte des administrateurs issus du sérail de l'assurance et des mutuelles. « C'est l'organisme de référence de la branche, les ressources de l'institut s'élèvent à environ 16 millions d'euros par an. Il emploie 90 permanents à temps plein environ, dont 400 à 500 vacataires, et forme près de 9000 apprenants par an », selon une source interne.
« L'Ifpass est étroitement lié à la Fédération française de l'assurance (FFA). Tous les assureurs y forment leurs salariés actuels et futurs », confirme un ancien dirigeant, pour qui « les liens avec Jean-Paul Delevoye sont précieux, notamment parce que l'ensemble du secteur est très intéressé par la réforme ». Fin octobre, le directeur général d'AG2R La Mondiale, André Renaudin, ne le cachait d'ailleurs pas, déclarant au Journal du Dimanche : « La réforme des retraites ouvre des perspectives. »
« Pour moi, ce n'était pas important »:
En clair, le mandat de Jean-Paul Delevoye au sein de l'Ifpass ne semble-t-il pas « susceptible de faire naître un conflit d'intérêts » ? Alors, pourquoi ne figure-t-il pas au point 6 de sa déclaration ? « C'est une omission par oubli », a répondu, ce dimanche par téléphone, au Parisien-Aujourd'hui en France le haut-commissaire. Il affirme « n'y [avoir] pas pensé une seconde », avant d'ajouter : « Je reconnais que ce n'est pas responsable.» « Autant j'accorde de l'importance à la Chartreuse, autant là… » lance-t-il sur un ton elliptique, comme pour justifier cette surprenante négligence.
A la question de savoir quel est son rôle en tant qu'administrateur de l'Ifpass et de la possible interférence avec son action ministérielle, Jean-Paul Delevoye répond : « A l'Ifpass, c'est une fonction bénévole, je n'y vais quasiment jamais, car je n'ai pas le temps. » « Je ne connais rien dans le domaine de la formation des assureurs », jure-t-il.
Jean-Paul Delevoye dit pourtant avoir consulté « des déontologues », mais pas sur l'Ifpass. « Je les ai interrogés pour savoir si mon investissement sur les retraites était compatible avec mes fonctions au sein de Parallaxe, ainsi que sur mes fonctions au sein de l'IGS. Pas de conflits d'intérêts, m'a-t-on répondu. » Car, dit-il, son rôle se borne à y faire la promotion « de l'éducation par la culture, l'art et l'humanisme », un bâton de pèlerin qu'il a pris de longue date aux côtés de l'ancien président Jacques Chirac. « Je ne leur ai pas demandé au sujet de l'Ifpass, car pour moi ce n'était pas important. »
« Je le reconnais, j'ai fait une erreur »:
Que compte faire Jean-Paul Delevoye de cet « oubli » ? « J'ai rempli moi-même cette déclaration. S'il y a incompatibilité, je vais rectifier cela et démissionner de ce mandat exercé de façon extrêmement faible. Mais je le reconnais, j'ai fait une erreur. »
Depuis les lois de 2013 sur la transparence de la vie publique et l'encadrement du lobbying, les ministres, les parlementaires et membres des exécutifs locaux sont tenus de remplir deux déclarations auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Et ce, dans un délai de trois mois après la prise de fonction.
La première déclaration dite « d'intérêts » – celle du haut-commissaire aux Retraites a été publiée officiellement sur le site le 7 décembre après avoir été déposée le 15 novembre − dresse la liste des activités professionnelles rémunérées (ou des gratifications) exercées à la date de la nomination ou au cours des cinq années précédentes, mais aussi des fonctions exercées dans des entreprises publiques ou privées, des participations financières, ainsi que des fonctions bénévoles « susceptibles de faire naître un conflit d'intérêts ». Sept points au total que l'intéressé doit renseigner au risque d'être rappelé à l'ordre par la HATVP.
Cette déclaration vise à débusquer d'éventuels conflits d'intérêts, comme le précise l'article 2 de la loi du 11 octobre 2013 : « Toute situation d'interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou paraître influencer l'exercice indépendant, impartial et objectif d'une fonction. » La deuxième déclaration obligatoire concerne le patrimoine. Celle de Jean-Paul Delevoye est toujours, selon nos informations, en cours de traitement « pour vérifications ».
Les dessous de l’Institut de formation des assureurs:
L’Institut de formation de la profession de l’assurance (Ifpass), créé en 2004, a connu quelques tempêtes. Cette association auparavant paritaire a changé de structure juridique et opéré une réorganisation majeure en 2015, mettant fin définitivement à sa gestion par les partenaires sociaux.
« L’arrêté des comptes 2014 a fait apparaître un résultat net de moins 4,4 millions d’euros, principalement du fait de provisions exceptionnelles tant sur le plan des comptes clients que des comptes sociaux. C’était la panique. L’association perdait de l’argent et la Fédération française de l’assurance n’en finissait pas de renflouer les caisses de l’association paritaire. Cela a aussi mis au jour un management déficient de la gouvernance datant d’avant 2014 », explique une source interne.
La réforme de la formation professionnelle de mars 2014 a aussi pesé sur la nécessité de ce grand ménage. Dans ce contexte, l’Ifpass, aidé de Bernard Spitz, alors président de la Fédération de l’assurance, qui a renfloué les caisses de l’association, a renégocié les dettes sociales avec le directeur de cabinet du ministre du Travail de l’époque, François Rebsamen. Un accord est trouvé en 2015.
C’est à cette occasion que Jean-Paul Delevoye, fin connaisseur du monde paritaire, devient en 2016 administrateur de la nouvelle structure. L’Ifpass s’est par ailleurs « rapproché en 2016 du groupe IGS, leader dans le secteur de la formation initiale et professionnelle continue », comme l’indiquent ses statuts. A ce titre, Delevoye siège avec les administrateurs de l’IGS, où il occupe également des fonctions de conseiller du délégué général rémunérées jusqu’en 2017 selon ses déclarations. Enfin, le think-tank Parallaxe fait aussi partie de l’IGS.
Source:Le Parisien.