L' enquéte démarre en 2005 , a lire ( sauf pour les" sachants" qui connaissent depuis longtemps les coupables)Pénurie de masques : à qui la faute ?
La France a liquidé son stock de masques de protection. Ceux-ci manquent cruellement au personnel de santé. Qui est à l'origine de cette décision ? Par Arnaud Mercier*, The Conversation France
Publié le 24/03/2020 à 15:30 | Le Point.fr
Mise en bouche
À l'heure de la polémique sanitaire interne à la pandémie – l'absence de masques de protection efficaces pour les soignants et pour le personnel indispensable afin de faire fonctionner l'économie du pays même en temps de crise –, il est essentiel de rétablir la chronologie des faits qui a conduit notre pays à se désarmer face au risque de pandémie. Sans doute qu'après le retour à une ère de sécurité sanitaire des commissions d'enquête vont se créer pour faire toute la lumière sur les faits. Avec des moyens d'investigation autres que les nôtres aujourd'hui. Mais, déjà, la lecture complète de nombreux documents officiels publiés permet de rétablir une archéologie des choix de politique publique.
un pti apperçu
L'épidémie H1N1, le point de bascule
C'est dans ce contexte que va survenir un événement qui va, paradoxalement, être à la fois le moment charnière d'application de ces mesures de précaution et leur fossoyeur pour l'avenir. Un arrêté du 3 décembre 2009 est publié concernant « la distribution de kits destinés au traitement des patients atteints par le virus de la grippe de type A (H1N1) ». Il est prévu de distribuer une boîte de masques à chaque patient resté confiné chez lui en puisant dans le stock national, car c'est un impératif de santé publique.
Mais, on le sait, la riposte a été jugée disproportionnée, car finalement le virus H1N1 n'a pas été aussi sévère que prévu et n'a pas tourné à la pandémie. La ministre de la Santé de l'époque, Roselyne Bachelot, en a été quitte pour des mises en accusation politiques de gabegie et des railleries de toutes sortes, à cause d'achats massifs de vaccins qui n'ont pas été utilisés, de commandes auprès de laboratoires qui ont finalement été annulées moyennant des millions d'euros de pénalités. Dans un entretien à Ouest-France le 20 mars dernier, elle déclarait : « Je n'ai qu'une théorie : en matière de gestion d'épidémie, l'armement maximum doit être fait. Nous avions un stock de près d'un milliard de masques chirurgicaux et de 700 millions de masques FFP2. J'ai été moquée pour cela, tournée en dérision, mais, quand on veut armer un pays contre une épidémie, c'est ce qu'il faut ! »
l' épilogue
Le principe comptable supplante le principe de précaution
La préoccupation managériale et uniquement comptable finit donc ici de prendre le dessus et conduit à l'oubli des raisons mêmes pour lesquelles on prévoyait de faire ces stocks, selon une logique du « au cas où », en ne prenant jamais le risque d'être à la merci d'une rupture d'approvisionnement chez les industriels français ou étrangers, par exemple.
Car le court-termisme de la vision ainsi défendue oublie totalement qu'une pandémie, par définition, est une épidémie mondialisée, qui peut provoquer des ruptures des chaînes d'approvisionnement. Du coup, même l'appareil industriel national peut être gravement perturbé, notamment si les ouvriers chargés de la fabrication des futurs masques refusent de se rendre dans les usines pour une légitime crainte pour leur santé.
Et, afin d'éviter de commander des doses de produits de santé en trop grande quantité et pour éviter d'avoir à annuler avec pénalités au moment d'une épidémie qui aurait été moins sévère que prévu ou jugulée par l'usage de ces protections (cas du H1N1), Francis Delattre souligne que « le ministre chargé de la Santé a décidé de développer une nouvelle modalité d'acquisition » : la réservation de capacités de production et d'acquisition auprès de laboratoires.
Cet outil, aussi appelé « sleeping contract », sera ainsi utilisé pour des vaccins contre une grippe de type pandémique. Un avis de marché public est publié par l'Eprus le 8 août 2014 concernant « une tranche ferme constituée de la réservation de capacités de production de 5 millions d'euros de doses de vaccins pandémiques [et] une tranche conditionnelle permettant, en cas de déclaration d'une pandémie avérée, la production et la livraison de doses vaccinales ».
Ce dispositif contractuel, tout droit venu du libéralisme pragmatique britannique, est donc importé en France par Marisol Touraine, alors ministre socialiste de la Santé. Il s'agit en somme d'une « précommande » qui ne demande qu'à être activée. Cette parfaite rationalité comptable devient l'objet d'une des recommandations du rapporteur Les Républicains :
« Recommandation n° 5 : afin de réduire les coûts d'acquisition et de stockage, poursuivre le développement de la réservation de capacités de production de produits de santé, tout en maintenant des stocks physiques pour les produits stables. » Au principe de précaution « stocker pour être sûr d'avoir en cas de crise, car c'est vital » se substitue la logique : être sûr de ne pas trop stocker car c'est essentiel de ne pas dépenser plus qu'il ne faut.