Ukraine : de l’offensive ratée au carnage, un mois de guerre de l’armée russe
Les fronts sont figés, quatre semaines après l’invasion lancée par Moscou le 24 février. Revers tactiques et pauses volontaires des troupes s’entremêlent et l’hypothèse d’un échec militaire devient envisageable.
Par Nathalie Guibert Publié aujourd’hui à 05h33, mis à jour à 06h04
La machine offensive s’est bloquée. Lancée le 24 février, la fulgurante guerre d’annihilation de l’Ukraine voulue par Vladimir Poutine connaît depuis trois semaines un ralentissement brutal. Un enlisement réel, masqué par l’orage de feu projeté sur les civils, dans les hôpitaux de Tchernihiv, les banlieues résidentielles de Kiev, le théâtre de Marioupol.
Il est trop tôt pour solder les comptes d’une opération d’invasion qui, en plus de la Crimée et des régions séparatistes du Donbass prises en 2014, a déjà conquis 49 000 kilomètres carrés supplémentaires de territoire ukrainien – c’est plus que la Belgique, autant que le Danemark. Mais, après un mois de guerre, revers tactiques et pauses volontaires des troupes s’entremêlent, pour dessiner un échec possible de l’armée russe.
L’enlisement russe
Vladimir Poutine voulait « démilitariser » et « dénazifier » le pays en moins d’une semaine, selon des analyses convergentes. Une entreprise dont le coût humain, politique et économique, exorbitant, augmente de jour en jour. Depuis un mois, l’armée ukrainienne résiste. Aucune des grandes villes du pays n’est occupée, sauf Kherson à l’embouchure du Dniepr, dans le sud du pays. Ainsi Kharkiv, but stratégique emblématique car deuxième ville du pays avec 1,5 million d’habitants dans le nord, pourtant toute proche de la frontière russe, n’est pas tombée alors qu’elle est sauvagement bombardée. L’armée russe semble avoir renoncé à la conquérir dans l’immédiat.
« Les forces russes n’ont pas lancé d’attaques de grande ampleur depuis le 4 mars. On a l’impression d’une armée qui s’est obstinée à poursuivre un mauvais plan jusqu’à se retrouver imbriquée, dispersée, et bloquée devant des localités », relevait dès le 16 mars l’ancien colonel français et historien Michel Goya, qui rédige un bulletin régulier des opérations. Cette armée encaisse même des revers sérieux. Zaporijia a tenu, même si sa centrale nucléaire est entre les mains des Russes. Les soldats ukrainiens ont bouté mi-mars leurs adversaires hors de Voznessensk, une ville de 35 000 habitants, prise durant trois jours puis libérée. Le 21 mars, ils « ont repoussé avec de fortes pertes un régiment blindé du sud d’Izioum. Impliquant deux brigades d’assaut aérien (sans hélicoptères), c’est sans doute l’attaque ukrainienne la plus importante de la guerre », note M. Goya.
Les troupes de Moscou sont fixées sur quelques cités, des verrous identifiés dans le plan d’invasion, qu’elles ont donc entrepris d’anéantir faute de les posséder, Tchernihiv, Soumy, Kharkiv, Mykolaïv, Marioupol. « La mort est partout », ont rapporté le 16 mars les journalistes de l’agence AP, plongés dans le martyre de Marioupol. « Les routes environnantes sont minées, et le port bloqué. La nourriture s’épuise et les Russes ont empêché les tentatives humanitaires d’en faire parvenir. Des parents ont même laissé leurs nouveau-nés à l’hôpital, dans l’espoir de leur donner une chance de vivre dans un lieu muni d’eau et d’électricité. »
« Des buts et des calendriers politiques irréalistes ont conduit à une stratégie militaire hasardeuse », analyse Michael Kofman, directeur du programme Russie au Center for a New American Security (CNAS) de Washington. Les Russes sont « au désespoir de montrer des progrès. Il semble de plus en plus que l’armée se concentre sur le Donbass, tandis qu’elle ne fait que se maintenir sur les autres fronts ». Selon ce spécialiste des sujets militaires, « l’efficacité du combat, en se réduisant, ouvre la voie soit à une pause opérationnelle significative, soit à un cessez-le-feu ». L’enjeu de ce court terme n’est pas de trouver un accord politique, mais d’ouvrir une période, nécessaire, pour « réorganiser, consolider et réapprovisionner ». Soit, selon M. Kofman, de marquer « la fin du premier chapitre de cette guerre ».
Sans une décapitation du gouvernement de Volodymyr Zelensky qui couperait la capitale de ses régions, Kiev est jugée hors de portée immédiate par tous les observateurs. Bulletin du 21 mars signé Goya : « Zone Kiev Nord-Est : toutes les forces russes sont passées en mode défensif et on assiste à la mise en place de fortifications de campagne (champs de mines, travaux du génie). La bataille de Kiev se transforme en siège d’artillerie de longue durée. » L’état-major ukrainien a annoncé le 22 mars avoir repris la ville de Makariv, à 60 kilomètres de la capitale. Pour tenir celle-ci, « le périmètre d’encerclement, environ 90 kilomètres, impose un volume de force considérable », soulignait la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) dans une note très complète du 14 mars. Soit de 150 000 à 200 000 hommes sans même compter les forces d’assaut, estiment les auteurs Philippe Gros et Vincent Tourret, ce qui impliquerait une réorganisation très profonde du champ de bataille.
Moscou parviendra-t-elle à adapter assez vite son opération ? L’armée russe n’est plus l’Armée rouge, elle a pourtant entrepris une campagne interarmes à l’ancienne, comme elle n’en avait pas réalisé depuis soixante-dix ans : la stratégie du rideau de feu de la deuxième guerre mondiale, quand la prise de Berlin en 1945 s’est menée avec un canon tous les dix mètres. Soit une guerre d’artillerie de masse, avec du matériel soviétique des années 1980 – véhicules de transport de troupes BTR-70, chars T-72, camions lance-roquettes BM-21 Grad, bombes de 500 kg.
Une ambition à même de broyer les populations, mais dont l’excès contient son propre piège. Des moyens ont manqué dès les premiers jours. Du renseignement, d’abord. Les forces spatiales russes dominent le ciel, mais n’ont pas réussi à le maîtriser totalement, échouant à supprimer d’emblée les défenses aériennes du pays. Moscou manque de satellites militaires – seize disponibles seulement selon nos informations.
Les 160 missiles, tirés le premier jour contre les 75 sites militaires ukrainiens visés selon Moscou, n’ont pas suffi – à titre de comparaison, avant d’entrer en Libye, où la menace antiaérienne était jugée beaucoup plus faible, Américains et Britanniques avaient en mars 2011 tiré une salve de 100 Tomahawk sur 20 cibles pour dégager le ciel. Les munitions russes n’ont en outre pas été assez précises. La surconsommation des missiles de croisière – environ 1 000 Iskander, Kh-55 et autres Kalibr tirés depuis le 24 février selon le Pentagone, soit entre 40 et 60 par jour – est un problème. Car le stock russe, estimé à 1 400 en 2019 par la FOI, l’agence suédoise de recherche pour la défense, ne devait dépasser 2 500 qu’en 2029, et une partie de ce nombre est réservée aux armes nucléaires.
Le Pentagone estime ainsi que l’Ukraine a conservé 56 avions de chasse, de quoi mener de 5 à 10 sorties quotidiennes, contre 200 pour ses assaillants. Gênés durant les trois premières semaines par une mauvaise météo, les aviateurs russes sont davantage déployés depuis peu. Mais ils ont perdu 24 chasseurs-bombardiers sur les 550 engagés dans la bataille, et deux Iliouchine II-76 transportant au total 300 soldats des troupes d’assaut.
Au cours de ce premier mois, les munitions guidées ont aussi manqué pour l’artillerie au sol, face à des positions ukrainiennes mobiles, et donc efficaces. Tout comme les drones Orlan que Moscou avait pourtant largement utilisés en Syrie. Ou encore les moyens de guerre électronique, ceux des communications sécurisées, et, plus globalement, les soutiens (essence, maintenance, nourriture, soins du soldat) dont l’absence a laissé les unités, partout, vulnérables au harcèlement ukrainien. Le cas le plus emblématique fut l’échec des troupes d’élite larguées sur l’aéroport d’Hostomel, près de Kiev, aux premières heures de l’invasion, repoussées faute d’appuis.
Le dégel n’a rien arrangé. La « raspoutitsa » gênera jusqu’en mai le mouvement des unités russes dont les nombreux blindés sont contraints d’emprunter les routes en colonnes. « Elles sont largement restées collées au réseau routier ukrainien et ont montré leur réticence à conduire des manœuvres plein champ. La destruction de ponts par les forces ukrainiennes a aussi joué un rôle-clé pour faire caler l’avance russe », a noté le renseignement militaire britannique le 16 mars. Selon le blog « Oryx », qui tient à jour un décompte vérifié, 1 662 véhicules et équipements ont été perdus côté russe. L’état-major ukrainien aurait à déplorer pour sa part la perte de 447 équipements, dont 11 avions et la quasi-totalité de sa marine de guerre.
Voici exposées soudainement les lacunes de la modernisation de la défense russe menée depuis 2008, a souligné dans Le Monde Isabelle Facon, directrice adjointe de la FRS. « L’emploi des forces en conditions réelles, dans un conflit majeur où il faut tenir beaucoup de terrain face à un adversaire mieux entraîné, mieux équipé et plus motivé qu’anticipé, constitue un test de nature bien différente » des grands exercices récents que les Occidentaux ont scruté de près, souligne-t-elle dans une tribune.
Redouté ou admiré, l’armement de haute technologie sert depuis un mois la démonstration de puissance et la communication stratégique du Kremlin, plus que l’avantage militaire décisif. C’est ainsi qu’a été annoncé le 20 mars l’emploi d’un missile « hypersonique » Kinzhal, dont ni la vitesse, ni les réelles capacités, ni même le fait qu’il ait atteint la bonne cible n’ont pu être attestés. « Ce peut être un signal en vue d’une éventuelle escalade avec les Occidentaux, mais c’est d’abord un rideau de fumée tiré devant les difficultés du moment sur le terrain », souligne Elie Tenenbaum, directeur des études de sécurité de l’Institut français des relations internationales. Reste une vérité : « Les énormes stocks d’artillerie lourde, de roquettes, de blindés de l’époque soviétique donnent aux Russes une capacité à encaisser les pertes matérielles sans commune mesure avec celle des Occidentaux. »
L’armée russe risque-t-elle plutôt de flancher sur le plan humain ? Inédit depuis la deuxième guerre mondiale, le taux de ses pertes est jugé « insoutenable » par tous les analystes. Mardi 22 mars, le journal Komsomolskaïa Pravda a évoqué, avant de retirer son article, un rapport du ministère de la défense totalisant 9 861 morts et 16 153 blessés. La Russie aurait perdu 8 % de sa force de combat totale en deux semaines selon le renseignement américain, 10 % aujourd’hui. De nombreux officiers et au moins cinq généraux ont été tués selon des informations ukrainiennes non confirmées par le Kremlin. C’est le cas de Vitali Guerassimov, premier commandant adjoint de la 41e armée, qui avait servi en Syrie et en Crimée, tué à Kharkiv, le 7 mars.
Moscou a engagé les 120 000 combattants que comptait la force de 200 000 hommes prédéployée en Biélorussie. Les analystes estiment qu’elle a mobilisé 70 % de sa force opérationnelle terrestre en Ukraine. Ou encore 120 des 196 bataillons en ordre de marche mentionnés par le ministre Sergueï Choïgou en 2021. « C’est beaucoup, même si elle avance depuis une semaine avec plus de précautions pour réduire les pertes, juge Elie Tenenbaum. L’armée russe a engagé l’essentiel des troupes de bon niveau disponibles et elle n’a pas de réserve. » Le porte-parole du ministère de la défense russe, Igor Konachenkov, a dû admettre dès le 9 mars, « malheureusement (…), la présence de conscrits dans les unités des forces armées russes impliquées dans l’opération spéciale sur le territoire de l’Ukraine ». Vladimir Poutine a vite annoncé des mesures sociales significatives pour les familles de militaires.
De quoi nourrir les spéculations sur le moral. D’autant que les renforts annoncés ne sont pas arrivés : troupes russes d’Extrême-Orient, garde nationale de la Fédération de Russie, réservistes, mais aussi Syriens relevant du 5e corps d’armée sous commandement russe, milices d’Ossétie du Sud, du Daghestan ou d’Abkhazie, supplétifs tchétchènes voués à accomplir le sale boulot dans les combats urbains, que l’armée russe cède toujours à des « proxys ». Le président Ramzan Kadyrov a promis le 17 mars qu’un proche, Apti Alaoudinov, serait en route « à la tête d’un millier de volontaires de la République tchétchène pour participer à l’opération spéciale pour la démilitarisation et la dénazification de l’Ukraine ».
Les Biélorusses ont semblé encore plus réticents à s’engager. Outre « un manque de confiance réciproque, rappelle Elie Tenenbaum, les forces biélorusses, essentiellement composées de miliciens du ministère de l’intérieur, ne sont pas prêtes à un combat à forte létalité. L’armée de terre est en mauvais état et très marginalement tournée vers l’extérieur avec 10 000 hommes disponibles au plus ». Parmi les anomalies repérées par la FRS dans sa note figure « l’absence d’échelonnement des forces pour l’assaut », un des comportements « complètement inhabituels » de l’armée russe dans cette guerre. Un état de fait qui rend impossible pour l’heure une relance des opérations à l’ouest du Dniepr.
L’Ukraine, une « nation en armes »
En face, le moral de la population ukrainienne comme « nation en armes », serrée autour de son jeune président vêtu de kaki, affiche sa solidité, à l’aide d’opérations d’information réussies. Et si Volodymyr Zelensky en voudrait davantage, le soutien militaire fourni par les Etats-Unis et les Européens pèse. En permanence, une dizaine d’avions de reconnaissance, de surveillance et de renseignement de l’OTAN, mais aussi des satellites militaires, scannent la terre ukrainienne. L’état-major à Kiev bénéficie en temps réel du renseignement du Pentagone. Ce dernier a également mis le commandement cyber américain à sa totale disposition. « En trente-cinq ans de carrière, je n’ai jamais vu un tel partage de renseignement opérationnel », a commenté le général Paul Nakasone, à la fois commandant cyber et patron de la NSA.
Parmi les équipements livrés par les Occidentaux, les systèmes antiaériens S-300 et les milliers de missiles (Stinger, Javelin, NLAW) sont devenus un pilier de la posture défensive des Ukrainiens. Les drones turcs Bayraktar TB2 de l’armée ukrainienne, utilisés avec parcimonie pour des frappes ciblées sur les axes de ravitaillement et l’arrière, se montrent un atout précieux. Tout comme, note Michel Goya, les « petits Switchblade 300 ou 600, des drones rôdeurs “low cost” utilisables comme petits missiles de croisière à faible charge mais d’une très grande précision, qui pourraient être un “game changer” pour les forces ukrainiennes s’ils étaient utilisés en grand nombre ».
L’armée nationale comptait avant-guerre quelque 130 000 hommes, tous services compris. S’y ajoutent les forces de défense territoriale (10 000) et des volontaires, estimés à 100 000. Ses forces spéciales (4 000 hommes environ) ont été bien formées par les Américains et les Britanniques depuis 2014. Et l’organisation décentralisée du commandement, « la capacité d’initiative laissée aux plus petits échelons », se révèle comme un des éléments-clés du bon niveau tactique des bataillons, explique Michel Goya.
Mais les pertes ukrainiennes, dissimulées par la fermeture totale des unités à la presse, seraient comparables à celles des Russes. Si les forces du pays paraissent exceller dans le harcèlement et le ralentissement de l’armée russe, elles « ne sont pas en mesure de monter des contre-offensives d’ampleur capables de reprendre des zones importantes », estime la FRS. Combien de temps pourront-elles tenir ? L’aide militaire des Occidentaux, plus précisément ciblée depuis une semaine par les Russes, pourrait avoir de plus en plus de mal à parvenir. Les frappes lancées pour la première fois depuis des bombardiers à long rayon d’action Tu-95 sur Loutsk et Ivano-Frankivsk le 11 mars – une dizaine de missiles –, puis sur la base de Iavoriv le 13 mars – une trentaine de missiles –, illustrent cette adaptation russe.
Quant au front du Donbass, où 40 % des effectifs militaires ukrainiens ont été déployés face aux séparatistes, il tient encore mais il est menacé d’encerclement. Après Marioupol, quand le verrou de Dnipro tombera, le mouvement de tenaille qui s’exerce depuis le Nord-Est et la Crimée, dans le Sud, sera achevé. Moscou aura alors saisi plus du quart du pays.
Les scénarios pour la suite
Et ensuite ? Les scénarios pour les prochains mois comptent la possibilité d’un effondrement subit des deux côtés. Côté ukrainien, les forces anéanties basculeraient alors dans l’insurrection, sur le modèle afghan. Côté russe, l’obstination de Vladimir Poutine conduirait à casser la machine de guerre. « Poutine a besoin de réviser sa vision de la victoire en se passant de Kiev », écrit le 18 mars dans le Sydney Morning Herald l’analyste et ancien général australien Mick Ryan.
Une telle situation pourrait déboucher sur une négociation autour d’une partition de l’Ukraine. « La question est de savoir quand Poutine estimera avoir sanctuarisé assez de gains territoriaux pour avancer dans cette négociation, ce n’est pas le cas aujourd’hui », indique Elie Tenenbaum. Le contrôle de toute la rive droite du Dniepr, qui priverait l’Ukraine de son accès à la mer, est à portée de son armée. Une interrogation demeure sur Odessa, imprenable pour le moment. Des moyens n’ont pas été engagés, notamment les navires, seize dont six bâtiments d’assaut amphibie, mis en place face à la grande ville de la mer Noire depuis le 15 mars, comme ont repéré les spécialistes du naval militaire Damien Symon et HI Sutton. Mais les oblasts de Donetsk et de Louhansk sont désormais presque entièrement pris. « Les Russes ont tracé une ligne de Marioupol à Kharkiv et ont la détermination de parvenir à leurs fins », craignait le 17 mars une source gouvernementale nord-européenne qui s’exprimait sous condition d’anonymat en appelant les Européens à continuer à ne pas sous-estimer l’adversaire.
Un deuxième scénario verrait les fronts se figer dans une guerre longue, celle d’un grignotage lent de territoires vidés de leurs habitants, émaillé de revers tactiques et de crimes de guerre. Selon Michael Kofman, du CNAS, l’avancée russe est devenue plus « systématique ». « Dans le Sud, la prise de villes comme Melitopol et Kherson doit leur permettre d’apporter du ravitaillement et de profiter du rail pour avancer vers le Nord. Et inversement depuis les villes prises dans le Nord. » Mais « les événements ont montré une rigidité de la prise de décision russe à tous les niveaux », ont noté les experts de la FRS, hormis dans la 58e armée opérant depuis la Crimée. Selon eux, le plan d’occupation totale du territoire ne s’est pour l’heure adapté qu’à la marge. « Les forces russes continuent de se disperser sur de nombreux axes, de multiplier les sièges et ne se concentrent pas pour réduire le dispositif adverse. »
Une escalade russe forme le troisième scénario, comprenant l’utilisation de l’arme chimique, une fuite en avant dans l’anéantissement des villes, des attaques sur les pourtours de l’Ukraine. L’utilisation d’une frappe nucléaire reste écartée par les spécialistes occidentaux, mais elle entre de part et d’autre dans les calculs de long terme. Les militaires russes n’ignorent rien des faiblesses de leurs forces, explique Isabelle Facon, et « la conscience des limites capacitaires se traduit, aussi, par la préservation d’un rôle pour les armes nucléaires dans les scénarios d’escalade d’un conflit conventionnel ».
Le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, a promis le 9 mars « la défaite stratégique » d’un Vladimir Poutine devenu paria du monde, malgré tous les « gains tactiques de court terme qu’il pourrait faire ». « Nous avons déjà vu que la Russie a échoué sur ses objectifs principaux. Elle n’a pas été capable de prendre l’Ukraine. Elle n’est pas en voie de tenir l’Ukraine sur le long terme. » Cela ne peut, cependant, rassurer les Occidentaux. Après l’erreur initiale du Kremlin, cette « erreur d’appréciation à une échelle napoléonienne », selon les mots de Kori Schake, ancienne cadre du Pentagone et du Conseil de sécurité nationale américain interviewée par « Frontline », sur PBS, le 15 mars, « nous devons craindre de voir Vladimir Poutine dans la position d’un rat pris au piège, souhaitant infliger un maximum de dégâts sur le chemin de son échec ».