Loin des lieux de combat acharnés des Ukrainiens contre l'envahisseur qui bombarde 100 000 obus/jour, qui déporte, viole, coupe des têtes (voir l'article), écrase et assassine les civils...une procureure d'une ville de 15 000 habitants, grand comme Saran dans notre Loiret, a mené l'enquête (10 000 pages) du 1er procès d'un Russe inculpé pour crime de guerre.
Elle a depuis le début de l'invasion fait son métier, ouvert des enquêtes, rassemblé les preuves, monté les dossiers vers Kiev qui s'est lancé sur les traces des coupables pour en retrouver déjà certains, pour la plupart enfuis avec leurs hordes en débandade dans le nord du pays. Ils seront jugés par contumace.
Il faut aller vite, dans le respect du droit, sous les yeux et le contrôle de a CPI qui travaille de son côté sous les ordres de son procureur anglais, en envoyant ses 42 enquêteurs sur le terrain. Les états européens, dont la France avec ses gendarmes spécialisés en identification, participent à ce vaste travail de vérité.
Il faut aller vite, car la Russie spécialiste en propagande grossière va tout faire pour décrédibiliser les occidentaux et leur sens de la vérité et des valeurs humanitaires protégées par le droit international.
Un excellent article factuel qui raconte comment ce 1er procès va pouvoir s'ouvrir ce mercredi à Borodianka:
« Nous devons aller plus vite que les Russes pour établir les faits » : à Kiev, un premier procès pour « crime de guerre »
Par Florence Aubenas (Kiev, envoyée spéciale)
Publié aujourd’hui à 05h34, mis à jour à 06h33
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Factuel
Un soldat russe de 21 ans, Vadim Chichimarine, est accusé d’avoir délibérément tué un civil qui circulait à vélo. L’audience, qui devait débuter mercredi dans la capitale ukrainienne, témoigne de la frénésie judiciaire qui s’est emparée du pays.
Les crimes de guerre ont un visage depuis quelques jours en Ukraine : celui d’un gosse aux traits fins, presque imberbe, le sergent russe Vadim Chichimarine, 21 ans. D’une rafale d’AK-74, il a tué un commerçant poussant son vélo dans un village ukrainien près de Soumy, dans le nord-est du pays. L’homme est mort à quelques mètres de chez lui, il ne portait pas d’arme, il avait 62 ans, selon Iryna Venediktova, la procureure générale. Le sergent Chichimarine a été arrêté alors qu’il cherchait à s’enfuir avec quatre autres militaires. C’était le 28 février 2022, la guerre en était à son quatrième jour. Moins de trois mois après le début de l’invasion, les 1 000 cotes du dossier Chichimarine sont bouclées et le premier procès pour crime de guerre se tient, ce mercredi 18 mai, devant un tribunal de quartier de Kiev – l’Ukraine ne dispose pas de cour spéciale.
Lire nos explications : Guerre en Ukraine : qu’est-ce qu’un crime de guerre ? Qui peut être jugé, et qui peut juger ?
Ce n’est que le début d’un long processus : le parquet général affirme avoir déjà recensé plus de 12 000 cas présumés de crimes de guerre. Juger de simples militaires – avant même de poursuivre des haut gradés – pour de tels faits reste rare sur le plan international. C’est encore plus exceptionnel quand les combats se déchaînent toujours dans le pays.
La statue représentant le poète Taras Chevtchenko a été endommagée par la guerre, dans le centre-ville de Borodianka (Ukraine), le 12 mai 2022.
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L’avocat ukrainien du sergent russe, Viktor Ovsiannikov, commis d’office, a, comme beaucoup de ses collègues, plutôt l’expérience des dossiers qui traînent pendant des années. « Mais celui-là fait l’objet d’une attention particulière, dit-il. Il devait être lancé le plus rapidement possible, tout le monde le comprend ici. » Dans cette guerre hybride, les combats se jouent avec autant d’acharnement sur le front de l’information que sur celui des armes. A Moscou, le Comité d’enquête de la Fédération de Russie, principal organe d’investigation judiciaire, travaille déjà lui aussi à plein temps sur des supposés crimes de guerre ukrainiens. « Nous devons aller plus vite qu’eux pour établir les faits, ne pas les laisser installer leur fiction », estime un magistrat ukrainien. Aujourd’hui, le pays tout entier semble lancé dans une course de vitesse des enquêtes sur la guerre en temps réel. Une justice immédiate.
« Beaucoup d’auto-organisation »
A Borodianka, 15 000 habitants, à la périphérie de Kiev, les services judiciaires locaux se sont installés dans une école après que les bombardements ont réduit en poussière une grande partie de la ville. Des femmes attendent sur un banc devant la classe de géographie. « Ici, chaque tête a son malheur », dit l’une. Tamara Kazbanova, procureure adjointe, a empilé ses dossiers sur le bureau de la maîtresse, au milieu des mappemondes. A l’arrivée des chars russes, le 3 mars, elle avait emporté son ordinateur dans sa fuite vers l’ouest. Dès le lendemain, elle s’est mise à « télétravailler » de sa propre initiative, comme si la chose allait de soi. « Je ne suis pas la seule, se récrie-t-elle aussitôt. Ici, tout fonctionne comme ça, beaucoup d’auto-organisation, sans attendre forcément une directive d’en haut. »
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Prisée des classes moyennes, la région l’avait plutôt habituée aux petits vols et aux affaires de cannabis. Cette fois, ses concitoyens restés sur place – « les plus vieux et les plus coriaces », affirme l’un d’eux – lui envoient les premiers éléments de crimes de guerre supposés. Par portable et au péril de leur vie : filmer ou même téléphoner en public dans des zones occupées conduit à l’arrestation immédiate, la torture, l’exécution, parfois. Au poste de contrôle, les téléphones sont vérifiés avec davantage de soin que les papiers d’identité. « Ils sont considérés comme plus dangereux que les armes », explique un habitant. Dans le dossier du sergent Chichimarine, le premier à être jugé, c’est d’ailleurs la raison du meurtre : le commerçant passait un simple appel.
Lire la tribune : Article réservé à nos abonnés En Ukraine, « la justice internationale s’est saisie, pour la première fois aussi rapidement, d’un crime en cours d’accomplissement »
Depuis son retour à Borodianka, fin mars, après le retrait des Russes, la procureure adjointe reçoit une quinzaine de personnes chaque jour. Feodor Grigorievitch Ivanov, un avocat, est venu signaler les six corps enterrés près de l’hôpital pendant l’occupation, deux femmes et quatre hommes, tous fusillés et l’un d’eux décapité. Il a tracé un plan précis. Ludmila Boïko, une psychologue, témoigne, elle, de cette famille qui a agonisé sous les décombres pendant des heures, appelant à l’aide. Ceux qui s’approchaient pour leur porter secours étaient abattus par un sniper.
Témoigner devant la justice internationale ? Tétiana Riaboushits, directrice d’une maison pour enfants handicapés, n’est pas sûre de le vouloir, sans trop savoir pourquoi. Elle préfère une procédure ukrainienne. Le 6 avril, son père, Grigori Chevtchenko, a été retrouvé dans un garage, à l’autre bout de Borodianka. Il était méconnaissable, battu, torturé, achevé d’une balle. Electricien, il avait ouvert sa maison et sa table à six militaires ukrainiens. Au-delà du volet judiciaire, c’est une frénésie d’enquêtes qui paraît traverser le pays.
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« Pour ne pas laisser les Russes raconter [l’]histoire [des Ukrainiens] à leur façon », Olga Feshynko, 52 ans, sans emploi aujourd’hui, s’est mise à collecter les récits autour d’elle. A la fin des entretiens, elle pose toujours les mêmes questions. « Pourra-t-on pardonner ? » Tout le monde dit que non. Puis : « A quoi rêvez-vous ? » « Les hommes répondent à la victoire et les femmes à la paix », rapporte Olga Feshynko. Elle fait une petite moue. « C’est très conventionnel. » Seul un gamin de 11 ans lui a raconté les choses autrement. Pardonner ? « Oui, on peut. » Quant à son rêve, il voudrait voyager. Elle voudrait en faire un livre.
Jusqu’aux plus petits signes
Dans la salle de géographie, Tamara Kazbanova enregistre les premiers procès-verbaux, puis planifie ses déplacements sur les lieux. Autour, dans les rues, tout est encore là, jusqu’aux plus petits signes, comme ce graffiti russe sur un pan de mur calciné : « Ce quartier, c’est le nôtre. » Ou ces rubans blancs toujours accrochés aux boîtes aux lettres, signe exigé par les soldats occupants pour signaler les maisons encore habitées. Une femme raconte avoir dû le nouer elle-même, devant son mari à genou, un pistolet sur la tempe.
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« L’Ukraine entière est une scène de crime », a lancé Karim Khan, le procureur de la Cour pénale internationale, en visite dans la ville voisine de Boutcha, le 13 avril. A ceux qui parlent d’une justice précipitée, Tamara Kazbanova explique que cette immédiateté facilite le recueil des éléments. Ceux-ci sont ensuite transmis à Kiev, où les services de sécurité prennent la relève, notamment pour le travail d’identification des criminels de guerre présumés. Le sergent Chichimarine sera jugé le premier, « parce que les faits sont simples et qu’il est présent sur le territoire », explique son avocat. Selon l’accusation, l’arme du soldat russe a été saisie, des témoins l’ont reconnu, il a avoué. « Mais ça ne sera pas un spectacle, continue l’avocat. Je reste très attentif au respect du droit. Les instances internationales nous observent. »
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Deux autres procès devraient être rapidement audiencés, dont celui d’un soldat russe dans la région de Brovary, un village en banlieue de Kiev. Il aurait tué un homme et violé sa femme, de manière répétée, en présence de leur fils de 4 ans, selon le parquet général. C’est un ours ouvrant grand la gueule, tatoué sur sa poitrine, qui a permis de l’identifier. La femme avait décrit le dessin. Le militaire a été retrouvé grâce aux réseaux sociaux : sa photo torse nu figure sur sa page Facebook. Le procès aura lieu par contumace, le soldat ayant fui en Russie.