Vaste programme pour la première formation de Suisse qui, depuis 2008, semblait avoir perdu de son mordant, moins habile à dicter l'agenda politique qu'à la grande époque Blocher. Et qui se voit aujourd'hui offrir sur un plateau une éclatante victoire. "L'UDC vient de découvrir avec le radicalisme musulman un thème qui fédère bien au-delà de son électorat traditionnel", remarque le politologue tessinois Oscar Mazzoleni, auteur d'un ouvrage collectif sur Les Partis politiques suisses : tradition et renouvellement, qui vient de sortir en France (éd. Michel Houdiard).
L'UDC - née d'une fusion en 1971 entre le Parti des paysans, artisans et indépendants (PAI) et des Partis démocratiques des cantons de Glaris et des Grisons - n'a pourtant pas toujours été le mouvement national-populiste tonitruant et expert en marketing politique que l'on connaît aujourd'hui. Pendant plus de vingt ans, il était le plus petit des quatre partis représentés au gouvernement et avait pour credo la défense des agriculteurs et des petits commerçants.
Dans les années 1990, l'UDC fait peau neuve et "rompt avec son pragmatisme traditionnel", entamant "un processus de radicalisation", explique Oscar Mazzoleni. Le parti va alors reprendre certaines des revendications exprimées depuis les années 1960 par de petits partis de la droite radicale et populiste. La lutte contre l'immigration, la neutralité stricte de la Suisse, la critique des élites au pouvoir et le rejet de l'Union européenne deviennent des thèmes dominants. Sans oublier la défense de l'ultra-libéralisme économique.
Victoire embarrassante
La nouvelle formation, dominée par la section zurichoise, vole de succès en succès. Son électorat traditionnel s'élargit aux jeunes et aux ouvriers. Aux élections parlementaires, le score de l'UDC passe entre 1991 à 1999 de 11, 9 % des suffrages à 22,5 %, pour arriver à 29 % en octobre 2007. Deux mois plus tard, M. Blocher, "patron" incontesté et principal financier, est expulsé de son siège de ministre par le Parlement qui s'exaspère de ses manquements à la règle qui veut que les conseillers fédéraux mettent en sourdine leur appartenance politique.
A la suite de cette éviction, "un certain flottement s'est produit au parti et chacun a dû trouver ses marques ", reconnaît le député valaisan Oskar Freysinger, principal artisan de l'interdiction des minarets. Selon lui, la victoire du 29 novembre tombe à point nommé et "ouvre de nouvelles perspectives" autour de "l'islam qui va devenir l'un des sujets numéro un pour l'Occident dans les cinquante prochaines années", prédit-il.
L'initiative anti-minarets, lancée par des personnalités de l'UDC et de la droite évangélique, n'a d'abord pas convaincu tout le monde. L'aile économique qui défend les intérêts de l'industrie et de la place financière helvétique s'inquiétait des conséquences négatives. Christoph Blocher lui-même était réticent. "J'ai finalement réussi à les convaincre", affirme M. Freysinger, qui appartient à l'aile "culturaliste", axée sur la thématique des étrangers et du Sonderfall suisse ("l'exception helvétique"). "Jusqu'à ce dimanche, à l'UDC, personne ne croyait que nous allions gagner. Je tablais moi-même sur 40 % à 45 % de oui", avoue-il.
La victoire pourrait être embarrassante à gérer. Tout dépendra des réactions internationales et de leur impact sur l'économie. Déjà la Fédération suisse des agences de voyages dit craindre "les réactions négatives des pays musulmans" et l'Association suisse des banquiers espère que cela ne donnera pas "un mauvais signal" au monde islamique. "Je n'y crois pas. Tout va se calmer", rétorque M. Freysinger, qui se dit peu impressionné par les critiques formulées par l'ONU, Bruxelles ou le Conseil de l'Europe.
Agathe Duparc