1 « Nanard » roulé dans la farine
Au départ, il y a un mauvais coup. En 1992, lorsqu’il est bombardé ministre de la Ville, Bernard Tapie est sommé par Pierre Bérégovoy de vendre ses sociétés. Il confie le mandat de vente d’Adidas (qu’il avait acheté deux ans plus tôt) au Crédit lyonnais. Pour 2 milliards de francs, Tapie s’en sort plutôt bien. Mais la banque va rouler Tapie dans la farine ! Via des sociétés offshore, le Crédit lyonnais rachète l’entreprise avant de la revendre, une fois redressée, à Robert Louis-Dreyfus. Montant de la plus-value pour la banque : 1 milliard de francs ! « Nanard » est très en colère.
2 L’État entre dans la danse
Le Crédit lyonnais est sauvé in extremis de la faillite par l’État. La puissance publique écope en même temps du passif de la banque, via le consortium de réalisation (CDR). Celui-ci est présidé par Jean-François Rocchi. Tapie, qui entend obtenir réparation, se retourne donc contre l’État. Si, dès le début, il ne fait pas mystère de sa préférence pour un jugement arbitral, c’est d’abord la voie judiciaire qui est privilégiée par Thierry Breton, alors ministre de l’Économie. Les différentes procédures, dont un arrêt de la cour d’appel de Paris, laissent entendre aux experts de Bercy que Tapie ne peut pas espérer gagner plus de 135 millions d’euros.
3 Un pactole de 403 millions d’euros
Mais, avec l’arrivée de Nicolas Sarkozy, Bercy change de position. Christine Lagarde et le CDR, contre l’avis de nombreux fonctionnaires, se lancent dans la voie arbitrale. Cette justice privée est généralement utilisée en droit des affaires pour solder les litiges internationaux. D’un point de vue juridique, la légitimité de l’État pour faire appel à ce type de justice est présentée comme fragile. Qu’à cela ne tienne : avant même que le compromis d’arbitrage ne soit signé, trois arbitres sont désignés. Le CDR penche pour Pierre Estoup, ancien premier président de la cour d’appel de Versailles. L’État désigne Pierre Mazeaud, ancien président du Conseil constitutionnel. Et Tapie, l’avocat Jean-Denis Bredin. La clause d’impartialité est draconienne. Le 7 juillet 2008, le tribunal arbitral alloue 403 millions d’euros à Bernard Tapie dont 45 millions… pour préjudice moral (pour avoir passé des années en prison à tort, Patrick Dils a à peine obtenu 1 million !).
4 Tapie sauvé par l’arbitre ?
La décision a-t-elle été impartiale ? Les juges en charge de l’enquête semblent en douter. En mettant en examen Pierre Estoup pour « escroquerie en bande organisée », ils soupçonnent le magistrat (qui aurait été chargé de la rédaction du jugement) d’avoir caché ses liens avec Tapie et l’avocat de ce dernier, Me Maurice Lantourne.
Concernant l’arbitre Jean-Denis Bredin, les mauvaises langues avaient déjà relevé qu’il avait milité dans le même parti politique (le MRG) que Tapie. Le domicile de l’avocat a d’ores et déjà été perquisitionné, sans que celui-ci soit pour l’instant inquiété.
5 La bande à « Nanard » ?
Mais, à travers ce chef de mise en examen, les juges suspectent une entreprise concertée afin de favoriser Bernard Tapie dans l’arbitrage. C’est donc une véritable cartographie de cette décision que sont en train d’établir les magistrats, afin de déceler d’éventuels autres liens suspects. D’aucuns ont notamment relevé le passage à Bercy de Jean-Louis Borloo au moment où le projet insensé d’arbitrage aurait pris corps. Le président de l’UDI - qui se défend de toute intervention - n’est autre que l’ancien avocat d’affaires de Bernard Tapie. Récemment, dédouanant Borloo, l’ex-directeur de cabinet de Christine Lagarde, Stéphane Richard, a accusé, lui, Jean-François Rocchi d’avoir pesé de tout son poids en faveur de l’arbitrage.
En perquisitionnant le domicile de Claude Guéant, les juges semblent ne pas écarter l’hypothèse d’un ordre venu d’en haut. Au cours de cette période, plusieurs rencontres avaient eu lieu entre Tapie et Guéant d’abord, puis entre Tapie et Sarkozy ensuite. De quoi ajouter un parfum supplémentaire de scandale. Mais en l’absence d’une trace écrite, il sera difficile aux enquêteurs d’apporter la preuve d’une machination impliquant le sommet de l’État.
Si elle était toutefois confirmée, comme le sous-entendent plusieurs personnalités de premier plan, cette hypothèse laisserait planer une autre question : qu’avait dans sa main Bernard Tapie pour justifier une telle prise de risque ?
Une question à 403 millions d’euros ?