............................L'Affaire du domicile fictif d'un Milliardaire qui empoisonne Monaco..........................
L'affaire Amon lève le voile sur ces milliardaires qui s'affirment résidents du Rocher pour raisons financières. Sous l'œil indulgent des autorités ?
Le divorce entre Maurice Amon, un riche mécène suisse, et son épouse américaine, Tracey Espy-Hejailan, empoisonne le Rocher depuis plusieurs années.
Tout part d'un incroyable divorce. En septembre 2015, Maurice Amon, un milliardaire suisse, souhaite se séparer de sa femme, Tracy Espy-Hejailan, de nationalité américaine. Affirmant avoir son domicile sur le Rocher, il se réclame de la loi monégasque, tandis qu'elle jure ne pas vivre en principauté et n'y avoir jamais vécu. La différence est primordiale. Car en théorie, le droit monégasque pourrait permettre au mari de tout récupérer, jusqu'à la moindre donation faite à sa conjointe du temps de leur concubinage.
Commence alors une intense guérilla judiciaire, lors de laquelle l'épouse va affirmer que Maurice Amon a sciemment menti aux autorités pour obtenir, depuis 2011, le renouvellement de cartes et certificats de résidence. Un précieux sésame dont Maurice Amon se sert pour prouver qu'il avait bien son domicile en principauté. L'affaire est embarrassante pour Monaco, qui affirme, sur le sujet, avoir fait de nombreux efforts pour se conformer aux préconisations des institutions internationales.
Un divorce surveillé de près:
De fait, comme Le Point le révèle, le divorce et ses possibles répercussions sont surveillés en haut lieu. Un dossier contenant des documents sur Maurice Amon a en effet été retrouvé, en 2017, lors de perquisitions effectuées… dans le bureau de l'ancien ministre monégasque de la Justice Philippe Narmino. La pochette contenant les documents se trouvait dans le tiroir central de son bureau. Une étonnante trouvaille… Et, selon nos informations, l'affaire vient de connaître un nouveau rebondissement.
Un des majordomes du couple Amon, Franck*, a témoigné, le 21 janvier dernier, devant le juge Morgan Raymond. Pourquoi si tard, des années après le début de l'enquête ? « Je n'étais pas rassuré de me présenter devant les services de police, car ma situation professionnelle dépend principalement de mes précédentes fonctions », a-t-il répondu au magistrat. En clair : un majordome ne trouve du travail que si son précédent employeur le recommande.
« J'ai reçu un appel téléphonique assez étrange deux ans après avoir été démis de mes fonctions auprès de monsieur Amon, ajoute-t-il. Il s'agissait de l'ancien bras droit de Maurice Amon qui me demandait comment mon contrat de travail me liant à lui s'était retrouvé dans le dossier de la défense de Tracey Hejailan, épouse Amon. Il m'indiquait également, lors de cet appel, que se trouvait dans mon contrat une clause de confidentialité que je me devais de respecter (…) J'ai considéré cet appel téléphonique comme une menace. »
Un rythme de vie nomade:
Franck précise ensuite avoir accompagné le couple lors de tous ses voyages : « Pour vous expliquer, nous passions l'hiver à la montagne jusqu'à mi-février au minimum. On passait ensuite beaucoup de temps à Paris et à New York. Nous passions un à deux mois en Sardaigne. À Londres, je n'y suis allé qu'une fois avec monsieur Amon alors qu'avec Tracey au moins une trentaine de fois. »
Mais alors, quid de la résidence officielle du richissime mécène pendant toutes ces années ? « Je dirais la Suisse, dit Franck. Mais en temps cumulé, plutôt Paris et New York. Je sais qu'en 2012, je ne suis pas venu à Monaco. J'y suis peut-être allé une fois en 2013. En revanche, à partir de 2014, j'ai séjourné une fois en juin au Fairmont (un hôtel, NDLR) pendant quinze jours. En 2015, l'installation était définitive. »
Un appartement inhabité:
Et c'est là que le bât blesse. Pour justifier son domicile à Monaco, Maurice Amon va, lors de sa demande de divorce, produire les titres de séjour obtenus ces dernières années. À commencer par sa carte de résident, acquise une première fois en 2011. Pour obtenir une telle carte, la loi monégasque impose, comme préalable, de posséder un « logement à Monaco de taille adaptée au besoin des personnes y résidant ». Maurice Amon va donc produire aux autorités des attestations de plusieurs appartements qu'il vient d'acheter à Monaco, et qu'il compte réunir en un seul.
Premier problème : à l'époque, Maurice Amon n'occupe absolument pas ces appartements, qui sont inhabitables en l'état, puisqu'en travaux. Il faut également comprendre que, contrairement au « certificat de résidence », la « carte de résident » n'est en aucun cas un document des autorités monégasques, affirmant que la personne réside effectivement bien sur son territoire. C'est simplement une carte de séjour, un titre que se doit d'obtenir tout étranger souhaitant passer plus de trois mois sur le Rocher.
Les accusations du commissaire Carpinelli:
La terminologie est extrêmement proche, comme si le flou était volontairement entretenu par les pouvoirs publics… C'est en tout cas ce qu'affirme le commissaire Christian Carpinelli, ancien chef de la division de police administrative. Mis en cause dans une autre affaire de résidents fictifs, impliquant de riches hommes d'affaires belges, le policier va lâcher une petite bombe, lors d'un de ses interrogatoires : « Certains résidents demandent [une attestation comme quoi ils] détiennent une carte de séjour. Celle-ci est [ensuite] présentée aux administrations étrangères comme s'il s'agissait d'un certificat de résidence », ose-t-il. L'objectif est bien sûr de bénéficier du régime fiscal favorable de Monaco.
Un an après avoir obtenir sa première carte de résident, en juillet 2012, Maurice Amon va donc réclamer un « certificat de résidence ». Pourtant, selon la loi, « les personnes installées en principauté depuis moins de six mois ne [peuvent] se voir délivrer un certificat de résidence que sur présentation de documents justifiant une dérogation ». Or, Maurice Amon va de nouveau fournir ses attestations de propriété pour des appartements qu'il n'habite pas, ainsi que des factures d'électricité d'un faible montant…
De curieuses factures d'hôtel:
Et rebelote d'une année sur l'autre. En juillet 2014, Maurice Amon demande cette fois-ci le renouvellement de sa carte de séjour. Pour l'obtenir, deux choix s'offrent à lui : soit prouver qu'il demeure plus de six mois en principauté, soit que le centre principal de ses activités est Monaco. Le mécène suisse affirme en effet avoir installé son « family office », qui gère la totalité de son patrimoine, à Monaco. Son épouse, elle, soutient qu'il continue à gérer une partie de ses affaires en Suisse ou à l'étranger, en fonction du régime fiscal le plus favorable. Tracey Espy-Hejailan a ainsi fourni des factures de bijoux qui, pour des raisons de TVA, ont été envoyées au Luxembourg.
Comme d'habitude, Maurice Amon va fournir ses attestations de propriété, des factures d'électricité d'un faible montant et, pour enfoncer le clou, une facture prépayée de l'hôtel Colombus, faisant état de réservations à son nom, pour un total de 126 jours, du 17 mars au 31 juillet 2014. De quoi faire bondir son épouse, selon laquelle Maurice Amon, habitué aux chambres de luxe, n'aurait en réalité jamais séjourné dans cet hôtel, facturé – seulement – 250 euros la nuit. À chacun de ses week-ends en principauté, Maurice Amon fréquentait plutôt un établissement d'un standing autrement plus luxueux, l'Hôtel de Paris, mais sous un autre nom que le sien.
C'est ce qui ressort des déclarations devant le juge de Franck, le majordome : « Nous effectuions des réservations à notre nom à l'Hôtel de Paris (…) Il s'agissait de consignes données par Maurice Amon, car il ne souhaitait pas que son nom apparaisse. » Cela s'est par exemple produit en juin 2014, à une époque où Maurice était censé séjourner… à l'hôtel Colombus.
Les autorités monégasques affirment que tout est en ordre:
Malgré ces éléments troublants, Patrice Cellario, conseiller pour l'Intérieur dans le gouvernement de Serge Telle, a affirmé, après une nouvelle enquête administrative, que tout était en ordre : « Les vérifications ad hoc ont été effectuées par les services gouvernementaux et n'ont pas permis de remettre en cause le titre de séjour en Principauté de Monaco de M. Maurice A. Amon, ni les certificats de résidence qui lui avaient été délivrés », a-t-il écrit.
En réalité, ce n'est que le 1er mai 2015 que Maurice Amon a pu prendre possession de son appartement monégasque, les travaux étant achevés. Il y aurait donc habité cinq mois, avant de demander le divorce, le 29 septembre. Son épouse, elle, a fourni en justice les agendas de son mari, et affirme qu'il n'y a séjourné que 31 jours sur cette période. Sur la base des relevés téléphoniques de son ancien compagnon, elle soutient également qu'il n'a passé que 73 jours en principauté, de mars 2015 à février 2016.
Maurice Amon jure être résident, « sans crainte d'être démenti »
Dans un courrier que l'avocat de Maurice Amon nous a fait parvenir, début janvier, à la suite d'un précédent article, il affirme, « sans crainte d'être démenti », qu'il est « résident monégasque depuis 2011, ce qui résulte notamment, mais pas seulement, de cartes de résident qui lui ont été régulièrement délivrées depuis lors et jusqu'à aujourd'hui ». Maurice Amon précise être « propriétaire d'un appartement qu'il occupe à Monaco ».
Dans sa lettre, le juriste ajoutait : « En outre [Maurice Amon] a fondé en 2011 une société dont le siège est à Monaco, animée par une dizaine d'employés, et qui gère la totalité de son patrimoine. » L'homme d'affaires considère donc qu'il a, en principauté, le centre principal de ses activités. « [Maurice Amon] a également l'honneur et le plaisir d'être membre actif de plusieurs grandes associations culturelles monégasques », pouvait-on lire enfin. Sur ce dernier point, Maurice Amon est effectivement un généreux mécène. Sa fondation a versé, entre autres libéralités, 250 000 euros à la Croix-Rouge monégasque le 19 juin 2017.
Source:Le Point.