À table !!!...
Au RN, le droit des femmes reste en cuisine
Féminisme de façade, ambiguïté sur l’IVG, double discours sur la parité… Si elle fait mine de défendre les droits des femmes, la formation d’extrême droite conserve une ligne nataliste et sexiste.
Le cri vient du cœur. «Ah non !» s’exclame la députée de La France insoumise Clémentine Autain dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale.
Ce 12 octobre, l’élu du Rassemblement national (RN) Emmanuel Taché de La Pagerie vient de citer Simone de Beauvoir pour appuyer sa proposition de loi visant à soutenir les femmes qui souffrent d’endométriose. Un texte dénoncé par la gauche et la majorité, jugé inutile et ne correspondant pas aux demandes des associations spécialisées.
«Ils parlent de cinq stades de la maladie alors qu’il n’y en a que quatre, disent que ça ne concerne que les femmes en âge de procréer alors que c’est faux et évoquent un chemin de guérison quand il n’y a pas de traitement… C’est une instrumentalisation de la souffrance des femmes», s’indigne Véronique Riotton, députée Renaissance et présidente de la délégation aux droits des femmes. Qui rappelle l’absence de élus RN (sauf un), en janvier 2022, lors de l’adoption de la résolution portée par la même Clémentine Autain sur… l’endométriose.
Qu’importe. Pour le parti d’extrême droite, l’opération vise à afficher un intérêt pour le thème des droits des femmes, en s’appropriant au passage Simone de Beauvoir, figure historique devenue consensuelle. «Elle ne vous appartient pas !» s’écrie plus tard le député frontiste Jocelyn Dessigny quand l’écolo Sandrine Rousseau, à son tour, proteste contre la récupération de l’autrice du Deuxième Sexe. L’homme ne manque pas de culot : en juin, il avait écopé d’une sanction financière pour avoir intimé à Mathilde Panot, présidente du groupe insoumis : «Arrête de parler ! Poissonnière !» C’est encore lui qui avait affirmé, en septembre, à l’occasion des débats sur le projet de loi «pour le plein-emploi» : «Nous partons du principe qu’une mère au foyer, elle est peut-être mieux à la maison à s’occuper des enfants.» «C’est injuste, je n’ai pas dit qu’il fallait que les femmes restent à la maison, mais que si une mère veut rester à la maison, elle doit pouvoir le faire», se défend le même auprès de Libération, sans émettre l’idée qu’un homme puisse bénéficier d’une telle mesure.
Exclusivement sous l’angle de la natalité
Le RN est loin d’être devenu favorable aux droits des femmes. Sur ce sujet aussi, Marine Le Pen a mis sous le boisseau les mesures les plus réactionnaires du programme historique de son parti. En plus de s’opposer systématiquement à toute avancée en matière d’égalité, les élus frontistes envisagent le sujet presque exclusivement sous l’angle de la natalité. Ils continuent de défendre l’idée que la femme serait plus à sa place à la maison. Quitte à les payer pour cela.
En 2012, Marine Le Pen défendait encore, comme son père en 2002 et en 2007, l’instauration d’un «revenu parental» prétendument destiné à la mère, comme au père du nouveau-né. Officiellement, cette vieille idée frontiste ne figure plus au programme du RN depuis deux présidentielles. Mais dans les faits, les déclarations des responsables lepénistes sont sans équivoques : en 2015, lors de débats en commission où ses collègues planchaient sur l’égalité salariale et l’accès des femmes au marché du travail, le député européen Dominique Martin défendait ainsi «la liberté des femmes à ne pas travailler». «Ça aurait l’avantage de libérer des emplois», faisait-il valoir. Raturée du programme de 2017, la mesure est réapparue cet automne au détour d’un débat sur le RSA, soutenue par une très proche de la patronne, la députée du Pas-de-Calais Caroline Parmentier, qui l’a certes conditionnée à une amélioration des finances publiques.
Opposants à l’avortement
L’intention est de favoriser la natalité française, entendue comme un moyen de lutter contre l’immigration considérée, elle, comme un «remplacement» de population. Sur l’IVG par exemple, si Marine Le Pen a fait évoluer la position de son parti, son groupe est celui qui a voté le plus massivement contre sa constitutionnalisation en novembre 2022 : 23 contre et 13 abstentions, parmi lesquelles des opposants à l’avortement, comme la députée des Bouches-du-Rhône Joëlle Mélin. Marine Le Pen, sans se prononcer sur le fond, laisse ouverte, comme sur tous les sujets sociétaux, la possibilité de trancher la question par référendum.
«
Je ne suis pas contre l’IVG, je suis contre sa banalisation», a récemment défendu Mathilde Paris, porte-parole du groupe RN, qui est toutefois revenue sur ses déclarations passées, comparant (tout de même) l’opération à la Shoah. Au niveau européen,
le RN a voté en 2020 contre une résolution dénonçant le recul du droit à l’avortement en Pologne, au motif qu’elle porterait «atteinte à la souveraineté [du pays] dans le domaine de la santé, une compétence exclusive des Etats».
«Seule la partie utérine des femmes les intéresse»
En France, la philosophie du RN reste la même. «
Moi je préfère qu’on fabrique des travailleurs français plutôt qu’on les importe […], qu’on ait des petits Français demain, plutôt que d’ouvrir les vannes et de voir l’immigration comme un projet de peuplement», a ainsi défendu le vice-président RN de l’Assemblée, Sébastien Chenu, en février. «
C’est à ce moment que j’ai eu une alerte : j’ai compris que leur seule stratégie pour régler la réforme des retraites, c’était de faire des enfants», raconte Sandrine Rousseau, députée écologiste, pour qui «seule la partie utérine des femmes les intéresse».
Sans surprise, parmi les 18 livrets thématiques du programme frontiste en 2022, aucun n’est consacré aux droits des femmes, alors qu’un pan entier porte sur la famille.
Souvent défendus avec une arrière-pensée xénophobe, ces combats passent systématiquement derrière la lutte contre l’immigration et le droit d’asile. Le parti s’est toujours opposé à la Convention d’Istanbul sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, au motif qu’elle créerait «une nouvelle filière d’immigration».
«Sont-ce des raisons pour bénéficier de l’asile ? Si oui, va falloir en accueillir du monde», argumente un cadre du RN, en écho à son président, Jordan Bardella, qui s’est prononcé contre l’accueil des femmes afghanes.
«Les hommes sont en danger»
Impensable, aussi, pour le RN, de lutter contre le sexisme comme idéologie. La présence des mots «genre» ou «intersectionnalité» dans un texte entraîne systématiquement l’abstention ou le vote défavorable. Si elle n’hésite pas à se dire féministe, comme nombre de cadres femmes du parti, Edwige Diaz ajoute aussitôt qu’elle s’oppose aux dérives d’une idéologie qui pourrait nuire aux hommes. «Je pense que les hommes sont en danger, car ils peuvent être victimes des accusations non fondées […]. Ça existe : DSK est l’émergence de cette malsanité», soutient la vice-présidente frontiste, qui croit que l’ex-patron du FMI a bénéficié d’un non-lieu, alors que les poursuites pour viol à son encontre ont été abandonnées après une transaction financière avec la plaignante.
Sur les sujets d’égalité, le RN répond en général aux abonnés absents… tout en brouillant les pistes. Jusque-là opposée aux lois sur la parité, Marine Le Pen a fait mine de se convertir pendant la présidentielle. «J’avoue qu’à l’usage, incontestablement, cette loi a permis à des femmes d’émerger», a-t-elle ainsi reconnu le 7 mars 2022 sur LCI.
A condition, toutefois, d’arrêter là le progrès. «Les lois ont été bonnes pour l’impulsion, l’amorçage, mais je ne veux pas qu’on aille trop loin car ce serait dévalorisant pour les femmes», partage Edwige Diaz, vice-présidente du parti.
Double discours sur la parité
En mai 2021, ni Le Pen ni aucun député RN n’avaient jugé utile de prendre part au vote de la loi Rixain, visant à accélérer l’égalité économique et professionnelle, en créant notamment une obligation de représentation équilibrée entre les femmes et les hommes dans les postes de direction des grandes entreprises.
En juin 2023, six députés RN sont seuls à voter contre (sept autres s’abstiennent) une proposition de loi visant à renforcer l’accès des femmes aux responsabilités dans la fonction publique. Au Parlement européen, Jean-Paul Garraud n’hésite pas à dénoncer une résolution de mars 2022, coupable selon lui d’être «un manifeste pour la parité stricte et obligatoire à tous les échelons du Parlement européen […] jusqu’à une demande explicite d’égalité de temps de parole». Scandale !
Nouveau double discours, en février 2023, sur les inégalités de rémunérations entre hommes et femmes dans les entreprises. «Il faut continuer la politique de pression, de name and shame [nommer et faire honte, ndlr], je ne pense pas que ça vienne par des sanctions», professe alors Jean-Philippe Tanguy, numéro 2 du groupe à l’Assemblée.
Six mois plus tard, le même cosigne un amendement RN… anti «name and shame». «La mise au pilori, soit cette technique consistant à faire étalage public des pratiques vertueuses (ou non) des employeurs, semble relever de la délation», écrivent les frontistes. Au Parlement européen, où le parti préfère s’abstenir que voter contre, de peur de déclencher la polémique, Garraud reproche à un texte visant à renforcer l’égalité des rémunérations d’occasionner des «lourdeurs administratives pour nos entreprises européennes qui peinent à se relever du Covid 19».
Parti dirigé presque exclusivement par des hommes
Comme employeur, pourtant, le RN est «un bon élève de la parité, surtout quand on le compare à LR», note la sociologue Safia Dahani, postdoctorante à l’Ehess, qui explique cela par les sanctions financières liées au non-respect des lois de parité, que la formation, lourdement endettée, a toujours eu à cœur d’éviter. Alors qu’il n’y avait aucune femme au bureau exécutif, plus haute instance du parti, en 2018 (hors Marine Le Pen), il y en a désormais 3 sur 12 membres. Au conseil national (un collège de 100 membres élus par les militants), les femmes sont désormais 44, contre 35 en 2018. Mais sur un total de 102 délégués départementaux, nommés directement par le siège, nous n’avons dénombré que 15 femmes.
«Le RN se féminise globalement depuis 2007, même s’il n’y a pas de politique volontariste de féminisation en interne : on le voit dans les nominations de la direction», conclut Dahani. Pourtant, malgré ses deux vice-présidentes Edwige Diaz et Hélène Laporte le parti reste dirigé presque exclusivement par des hommes.
Le cabinet de Jordan Bardella est totalement masculin, comme la tête du groupe à l’Assemblée. Tous les mardis matin, au Palais-Bourbon, les réunions ne sont animées que par des hommes, hors Marine Le Pen. Laquelle joue souvent le rôle d’arbre qui cache le désert.
Manquements éthiques
Ce paysage assez peu féministe n’implique pourtant pas une moindre propension des femmes à voter RN. «Marine Le Pen a réussi l’exploit d’avoir su fidéliser une frange de la population féminine, qui explique en partie la progression de son parti ces dernières années», note Anja Durovic, chercheuse à Sciences-Po Bordeaux, qui relève que la France, où les femmes ont tendance aujourd’hui à voter davantage Le Pen que les hommes, fait figure d’exception en Europe. Pour Durovic, si la candidate n’est pas un repoussoir pour l’électorat féminin, à la différence par exemple d’un Eric Zemmour, ce n’est pas en raison de leur genre que les femmes votent pour elle. «Les facteurs qui expliquent le vote Le Pen sont les mêmes pour les femmes que pour les hommes : le niveau de diplôme et le sentiment de déclassement», conclut la chercheuse. L’enjeu pour le RN d’apparaître en défense des droits des femmes n’est donc pas si crucial.
Le RN sait, de toute façon, faire son beurre sur les manquements éthiques de ses concurrents. Le cas de l’insoumis Adrien Quatennens, suspendu pour quatre mois de son groupe après une condamnation pour violences conjugales, est sans cesse rappelé, tout comme celui du macroniste Jérôme Peyrat, condamné en 2020 pour le même motif, et qui siège toujours au groupe Renaissance au conseil régional de Nouvelle-Aquitaine. Sanctionné pour la même raison en 2022, l’eurodéputé RN Hervé Juvin a, quant à lui, été définitivement renvoyé de son groupe. Au royaume des aveugles, les héritiers du «borgne» s’en sortent bien.
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