Cette question hante les spectateurs stupéfaits de cette guerre menée contre un pays occidental qui n'avait commis aucun acte agressif contre la Russie de Poutine.
Cette guerre illégitime, cachée dans ses préparatifs aux frontières est et nord de ce pays, précédée d'une propagande grossière dans ses prétextes - des néonazis et des drogués à Kiev à éliminer et un génocide perpétré au Donbass - s'est rapidement accompagnée des pratiques habituelles de l'armée russe quand elle subit une opposition: bombardements de bâtiments civils, tirs sur des civils, et particularité en Ukraine, assaut sur deux sites nucléaires.
Karim Khan, le procureur de la Cour pénale internationale (CPI), a annoncé, le 2 mars, « l’ouverture immédiate » d’une enquête sur la situation en Ukraine. La veille, le procureur avait été saisi par 39 des 123 Etats membres de la Cour.
Cet excellent article pour jeter les bases d'un débat sur cette question cruciale: peut on tout se permettre au XXIè siècle, alors que tout a été construit au niveau international pour éviter les exactions que le monde a connu de 1938 à 2002...date de création de la COUR PENALE INTERNATIONALE, juridiction ayant reçu mandat de les punir s'ils étaient commis.
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« Je suis convaincu qu’il existe une base raisonnable pour croire que des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité présumés ont été commis » dans ce pays, avait déclaré M. Khan le 28 février. L’enquête recouvrira tous les actes commis en Ukraine depuis « novembre 2013 », soit le début de conflit russo-ukrainien, a-t-il ajouté.
Qu’est-ce qu’un crime de guerre ? Quelle est la différence avec un crime contre l’humanité ? Qui peut être jugé pour crime de guerre ? Quelles peuvent être les conséquences judiciaires pour les auteurs de ces crimes ? Le Monde fait le point.
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De quand date la notion de crime de guerre ?
Le concept de crime de guerre est aussi ancien que le droit de la guerre – qui existe depuis l’Antiquité – et qui désigne les lois, en général coutumières, sur lesquelles s’entendent les parties ennemies lorsqu’elles sont en guerre. En 1945, le tribunal de Nuremberg, chargé de juger des hauts responsables nazis, définit aussi les crimes de guerre comme « les violations des lois et coutumes de la guerre » et précise :
« Assassinat, mauvais traitements ou déportation pour des travaux forcés, ou pour tout autre but, des populations civiles dans les territoires occupés, assassinat ou mauvais traitements des prisonniers de guerre ou des personnes en mer, exécution des otages, pillages de biens publics ou privés, destruction sans motif des villes et des villages, ou dévastation que ne justifient pas les exigences militaires. »
Quelle est la définition actuelle d’un crime de guerre ?
Aucun texte de droit international ne codifie à lui seul tous les crimes de guerre. La définition de ces crimes découle essentiellement de deux traités internationaux :
Les conventions de La Haye de 1899 et de 1907, qui se focalisent, notamment, sur l’interdiction d’utiliser certains moyens de combat (par exemple, se servir de balles expansives, qui se morcellent dans le corps humain).
Les conventions de Genève de 1949 et leurs protocoles additionnels de 1977, qui protègent les personnes qui ne participent pas ou plus aux hostilités : les civils, les membres du personnel sanitaire ou d’organisations humanitaires, les soldats blessés, malades, naufragés ou faits prisonniers.
La définition la plus récente de ce qui constitue un crime de guerre est donnée dans l’article 8 du statut de Rome. Ce traité international, entré en vigueur en 2002, est celui qui a permis de créer la CPI. Les actes prohibés en temps de guerre sont nombreux : homicide intentionnel ; torture ; causer intentionnellement de grandes souffrances ou porter gravement atteinte à l’intégrité physique ou à la santé ; destruction et appropriation de biens non justifiées par des nécessités militaires ; déportation ; prise d’otages ; diriger intentionnellement des attaques contre la population civile ou des biens de caractère civil ; tuer ou blesser un combattant ayant déposé les armes ; pillage, etc.
Il est également interdit d’employer des armes empoisonnées ; des gaz asphyxiants ou toxiques ; des méthodes de guerre de nature à causer des maux superflus ou des souffrances inutiles ; ou encore de commettre des violences sexuelles.
Plus généralement, deux éléments servent à qualifier un crime de guerre, souligne l’Organisation des Nations unies (ONU). D’une part, le comportement incriminé doit avoir eu lieu dans le cadre d’un conflit armé – c’est l’élément contextuel. D’autre part, il faut prendre en compte l’intention et la connaissance de la personne incriminée par rapport à son acte et au contexte – c’est l’élément psychologique.
Quelle est la différence avec un génocide ? Avec un crime contre l’humanité ?
Le mot « génocide » a été utilisé pour la première fois en 1944 par l’avocat juif polonais Raphaël Lemkin dans son livre Le règne de l’Axe en Europe occupée. Il se compose du préfixe grec genos (« race » ou « tribu ») et du suffixe latin cide (« tuer »). La définition d’un génocide est précisée par l’article 6 du statut de Rome. Il s’agit d’un acte « commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux ».
Selon l’article 7 du statut de Rome, un crime contre l’humanité est un acte « commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile ». Contrairement aux crimes de guerre, un crime contre l’humanité peut être perpétré hors conflit armé. Par exemple, l’esclavage, la prostitution forcée, la stérilisation forcée ou l’apartheid sont des crimes contre l’humanité.
Quelle est la nature des crimes reprochés à la Russie ?
Le procureur de la CPI, Karim Khan, n’a pas précisé la nature exacte des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité présumés commis par la Russie en Ukraine.
Le premier ministre britannique, Boris Johnson, a accusé mercredi 2 mars le président russe, Vladimir Poutine, d’être « coupable d’un crime de guerre » après des bombardements touchant des civils en Ukraine, faisant écho à une accusation antérieure du président ukrainien, Volodymyr Zelensky. M. Johnson a également comparé M. Poutine à l’ancien président yougoslave Slobodan Milosevic, mort en cellule avant la fin de son procès devant la justice internationale pour génocide et crimes de guerre.
De son côté, la diplomatie américaine a estimé, après la frappe d’une centrale nucléaire ukrainienne par la Russie, que « cibler intentionnellement des civils ou des infrastructures civiles, comme des centrales nucléaires, est un crime de guerre ». « Des centaines sinon des milliers de civils ont été tués et blessés », a déploré le 3 mars le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, évoquant le pilonnage meurtrier des villes ukrainiennes.
Autre fait reproché à la Russie : l’usage de bombes à sous-munitions à Kharkiv, la deuxième ville d’Ukraine, qui constitue un crime de guerre. Ces armes sont interdites par la convention d’Oslo de 2008, mais Moscou ne l’a pas signée. Elles sont composées d’un conteneur, tel un obus, regroupant des projectiles explosifs, de taille plus réduite. Très imprécises, ces armes frappent une immense proportion de civils. Certaines restent non explosées et peuvent tuer des années après, comme peuvent le faire les mines.
Vont désormais s’engager des recherches visant à débusquer les preuves pour dénoncer et prévenir les crimes, et pour alimenter les dossiers à venir de la CPI.
Qui juge les crimes de guerre ?
En vertu du statut de Rome, la CPI, située à La Haye, aux Pays-Bas, est compétente pour juger les personnes accusées de crime de guerre, de génocide, de crime contre l’humanité, et aussi de crime d’agression (l’emploi par un Etat de la force armée contre la souveraineté, l’intégrité territoriale ou l’indépendance d’un autre Etat).
Formellement, il faut que le crime ait été commis sur le territoire d’un des 123 Etats ayant ratifié le statut de Rome, ou que le crime ait été commis par un ressortissant d’un Etat l’ayant ratifié, ou qu’un Etat non signataire du statut accepte ad hoc la compétence de la CPI.
Vladimir Poutine a décidé, en 2016, de retirer la signature de la Russie du statut de Rome (qu’elle n’avait, du reste, jamais ratifié). De son côté, l’Ukraine a signé ce traité international en 2000, mais ne l’a pas ratifié non plus. Toutefois, à partir de 2014, Kiev a reconnu à plusieurs reprises la compétence du tribunal de La Haye pour juger les crimes graves perpétrés sur le territoire. Sans cette reconnaissance de la part de l’Ukraine, l’enquête annoncée le 28 février par la CPI n’aurait pas été possible.
Une enquête de la CPI peut être déclenchée par trois acteurs : le procureur de la Cour ; un Etat ayant ratifié le statut ; le Conseil de sécurité de l’ONU (comme la Russie est un membre permanent de cet organe, il est évident qu’elle aurait utilisé son droit de veto).
Qui peut être jugé pour crime de guerre ?
Les crimes de guerre sont considérés comme des violations graves du droit international humanitaire. Ils engagent la responsabilité pénale individuelle de leurs auteurs (et non des Etats). Toute personne majeure au moment des faits qui lui sont reprochés peut être jugée par la CPI. Aucune loi d’immunité ne peut empêcher la Cour d’intenter des poursuites contre un individu. En outre, les crimes relevant de la compétence de la CPI ne se prescrivent pas.
A supposer que l’enquête de la Cour en Ukraine permette d’identifier des suspects de crimes de guerre, ces derniers ne pourront être arrêtés que sur le territoire d’un Etat qui respecte sa juridiction. La CPI est donc limitée par la discrétion des Etats pour faire arrêter les suspects présents sur leur sol, ainsi que par son absence de force de police.
Une personne souffrant d’une maladie mentale ; qui se trouvait « dans un état d’intoxication qui la privait de la faculté de comprendre le caractère délictueux » de son comportement ; ou encore qui a commis un de ces crimes sous une menace de mort, peut être exonérée des charges juridiques qui lui sont reprochées.
Quelles peuvent être les conséquences judiciaires pour les auteurs de ces crimes ?
A l’issue d’un procès, le tribunal de La Haye peut décider d’une peine de prison – qui peut aller jusqu’à perpétuité – contre l’auteur d’un crime. Peuvent s’ajouter une amende et la confiscation des biens et profits tirés du crime. Les peines d’emprisonnement sont accomplies dans un Etat désigné par la Cour à partir de la liste des pays qui lui ont fait savoir qu’ils étaient disposés à recevoir des condamnés.
Par ailleurs, la CPI peut accorder aux victimes ou à leurs ayants droit des réparations, telles que la restitution, l’indemnisation ou la réhabilitation. Il revient à la Cour d’évaluer l’ampleur du dommage, de la perte ou du préjudice causé aux victimes.
Hier, le 9 mars, un hôpital civil de Marioupol a été bombardé faisant 3 victimes civiles.