L’ombre portée de Trump
Le livre est le quatrième de Woodward depuis la victoire surprise de Trump en 2016. Il se concentre principalement sur les deux guerres qui accaparent l’équipe de sécurité nationale de Biden : la guerre totale de la Russie en Ukraine, qui a commencé en février 2022, et la campagne d’Israël contre le Hamas et d’autres proxys soutenus par l’Iran depuis les attaques du Hamas du 7 octobre 2023.
L’ouvrage examine également l’ombre portée par Trump sur les conflits étrangers des quatre dernières années, ainsi que sur l’environnement politique américain acerbe dans lequel ils se sont déroulés. Et il inclut des évaluations franches de Biden sur ses propres erreurs, notamment sa décision de nommer Merrick Garland au poste de procureur général. Réagissant à la mise en accusation de son fils Hunter – par un procureur spécial nommé par Garland au milieu des récriminations partisanes sur la poursuite de Trump par le ministère de la Justice –, le Président aurait confié à un associé : «Je n’aurais jamais dû choisir Garland.»
Woodward révèle comment Biden a réfléchi à l’héritage qu’il laisserait avant de se retirer de la course présidentielle en juillet, notamment lors d’un déjeuner avec Antony Blinken, son secrétaire d’Etat, au début du mois. Blinken, rapporte Woodward, aurait averti Biden, dans la salle à manger privée attenante au Bureau ovale, que l’héritage de tout dirigeant se résume à une seule phrase – et que, s’il continuait sa campagne et perdait face à Trump, cela deviendrait son héritage. Blinken estimait toutefois, à la fin du repas, que le Président penchait vers le maintien de sa candidature, soulignant l’imprévisibilité de la prise de décision de Biden jusqu’au dernier moment.
War met en lumière les efforts frénétiques, et souvent vains, de l’équipe de Biden pour empêcher l’escalade des combats au Moyen-Orient – des combats que le Président en est venu à considérer comme inséparables des fortunes politiques du Premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou, mais aussi de la dynamique politique aux Etats-Unis.
Selon Woodward, l’un des conseillers à la sécurité nationale de Trump, Keith Kellogg, a secrètement rencontré Nétanyahou lors d’un voyage en Israël plus tôt cette année. A son retour, Kellogg a diffusé une note blâmant en grande partie Biden pour l’attaque menée par le Hamas contre Israël, écrivant : «Cette visite m’a confirmé que l’érosion de la dissuasion américaine à l’échelle mondiale et les politiques ratées de l’administration Biden vis-à-vis de l’Iran ont ouvert la voie à une guerre régionale au Moyen-Orient avec des conséquences dévastatrices pour notre allié Israël.»
A ce moment-là, les conseillers de Biden poussaient les dirigeants israéliens à accepter un cessez-le-feu dans le cadre d’une tentative d’éviter une invasion de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza. Leurs supplications furent vaines ; l’offensive de Rafah débuta en mai. Personne n’a ressenti plus vivement les limites de la capacité de l’administration à restreindre Israël que Blinken. «Il était évident que Blinken n’avait aucune influence», écrit Woodward.
«Harris n’a jamais eu d’influence»
Sur l’Ukraine également, l’influence de Trump s’est fait sentir, même depuis son domicile à Mar-a-Lago. La résistance de l’ex-président au financement de l’effort de guerre de Kyiv a créé un blocage au sein du soutien républicain à la Chambre. Au printemps dernier, le président de la Chambre des représentants, Mike Johnson, a réussi à convaincre Trump d’adoucir sa position, non en lui montrant la justesse de la cause ukrainienne, mais en lui faisant comprendre que le plan d’aide serait bon pour les chances électorales des républicains et donc lui serait bénéfique personnellement à l’approche de l’élection de novembre.
War offre plusieurs instantanés de Harris, toujours dans un rôle de soutien à Biden et rarement impliquée directement dans la politique étrangère.
Le livre raconte comment Harris a cherché à inciter le président français Emmanuel Macron à agir à l’automne 2021, en prévision de ce que la communauté du renseignement américain indiquait être une action militaire russe majeure contre l’Ukraine. De même, la vice-présidente a plaidé sa cause auprès du président ukrainien Volodymyr Zelensky lors de la Conférence de Munich sur la sécurité en février 2022, allant jusqu’à lui suggérer de mettre en place un plan de succession pour assurer la stabilité «si vous êtes capturé ou tué», comme elle l’a formulé. Et le livre révèle comment son ton adopté en public après une rencontre en juillet avec Nétanyahou – promettant qu’elle «ne resterait pas silencieuse» sur les souffrances des Palestiniens – contrastait avec son approche plus amicale en privé. Cette différence, selon Woodward, a exaspéré Nétanyahou, qui a été surpris par ses remarques publiques.
D’un point de vue israélien, cependant, Harris avait peu de responsabilité dans l’approche de l’administration face au conflit. «Jusqu’à maintenant, je n’avais pas l’impression que la vice-présidente Harris avait eu un quelconque impact sur nos questions», aurait déclaré Michael Herzog, l’ambassadeur israélien à Washington, à propos de la période précédant la candidature de Harris pour remplacer Biden. «Elle était présente, mais elle n’a jamais eu d’influence.»
Quant à la prise de décision de Trump en matière de politique étrangère lorsqu’il était chef des armées, le livre montre comment il a sollicité un large éventail d’opinions, y compris de personnes sans expertise pertinente. Lors d’une réunion de haut niveau sur l’Afghanistan tenue à un moment donné dans la Situation Room, Trump a fait le tour de la table pour demander l’avis de chacun. «Monsieur le Président, je suis la personne qui prend les notes», a répondu une personne. «Oh non, a répliqué Trump. Si vous êtes dans cette salle, vous parlez.» La personne a brièvement partagé son opinion.
Erreurs coûteuses
War présente le retrait d’Afghanistan, à l’été 2021, comme une blessure pour l’administration Biden qui a ensuite façonné sa réponse sur d’autres points chauds internationaux. Ce fiasco, où le renseignement américain a échoué à prévoir la rapidité avec laquelle les talibans prendraient le pouvoir, a suscité la sympathie de l’architecte de l’invasion initiale en 2001, George W. Bush, qui aurait dit à Biden, selon le livre : «Oh là là, je comprends ce que tu traverses. J’ai aussi été [baisé] par mes services de renseignement.»
Woodward oppose cet échec du renseignement en Afghanistan à l’extraordinaire perspicacité des espions américains quant aux plans russes avant l’invasion à grande échelle de l’Ukraine en 2022. Les capacités américaines, rapporte Woodward, incluaient une source à l’intérieur du Kremlin. Le livre montre comment les premières décisions de Biden, parfois en conflit avec les jugements de ses plus proches conseillers, ont influencé le cours de la guerre.
L’une des plus importantes était sa promesse publique que Washington n’engagerait pas de troupes dans le conflit, retirant ainsi un levier de négociation clé tout en posant un jalon pour le public américain, méfiant face à de nouvelles implications militaires à l’étranger. Biden, selon Woodward, estimait que les agressions russes passées avaient été mal gérées par ses prédécesseurs, y compris par celui qu’il avait servi, Barack Obama. «Barack n’a jamais pris Poutine au sérieux», aurait déclaré Biden à un proche.
Les propres erreurs de Biden ont été coûteuses, révèle le livre. En janvier 2022, il semblait saper la détermination américaine en évoquant la possibilité que la Russie ne cherche qu’une «incursion mineure». Son conseiller à la sécurité nationale, Jake Sullivan, a dû réparer les dégâts avec ses homologues de neuf pays de l’Otan, en plus du Japon, révèle Woodward.
Woodward écrit que la mission diplomatie la plus délicate de Biden, cependant, a consisté à tenter de fermer la porte à l’option nucléaire russe. A l’automne 2022, cette option semblait plausible, les agences de renseignement américaines rapportant que Poutine envisageait sérieusement l’utilisation d’une arme nucléaire tactique – évaluant cette probabilité à 50 % à un moment donné. Une tentative particulièrement frénétique de ramener Moscou du bord du gouffre eut lieu en octobre de cette année-là, lorsque la Russie semblait préparer une escalade en accusant l’Ukraine de se préparer à faire exploser une bombe radiologique.
Prudence avec Israël
L’équipe de Biden a été confrontée à des moments tout aussi éprouvants avec les Israéliens, rapporte Woodward, présageant de la récente campagne de Nétanyahou contre le Hezbollah, le groupe militant basé au Liban et proxy de l’Iran, dans un rejet explicite des appels américains à un cessez-le-feu. En parallèle des revendications non fondées de la Russie sur l’intention de l’Ukraine d’utiliser une bombe radiologique, les Israéliens semblaient prêts, dans les jours qui ont suivi le 7 octobre 2023, à lancer une frappe préventive contre le Hezbollah, sur la base d’avertissements «fantômes» de mobilisation de l’organisation le long de la frontière nord d’Israël.
«Les Israéliens font toujours ça», fut la réaction de Brett McGurk, coordinateur du Moyen-Orient de Biden, selon le livre. «Ils déclarent Nous avons les infos ! Vous verrez. Vous verrez. Mais dans 50 % des cas, les soi-disant infos ne se matérialisent jamais.» Les drones signalés par les Israéliens se révélèrent être des oiseaux.
Le livre montre toutefois que l’administration Biden a peu modifié sa politique envers Israël, même lorsque de hauts responsables américains ont perdu leur conviction que le gouvernement israélien agissait de bonne foi. Dès les jours suivant le 7 Octobre, Blinken avait l’impression que l’approche du ministre de la Défense Yoav Gallant était : «Peu importe combien de personnes meurent. J’ai pour mission d’éradiquer le Hamas, et peu importe combien de Palestiniens meurent. Peu importe combien d’Israéliens meurent.»
Biden, selon Woodward, était prudent quant à l’idée de fixer des limites à la conduite d’Israël de peur que Nétanyahou ne les outrepasse. Lors d’un appel en tête-à-tête en avril, Nétanyahou avait promis à Biden que l’offensive de Rafah ne durerait que trois semaines, une promesse que le président américain n’a jamais pris au sérieux. «Ça prendra des mois», avait répliqué Biden. En privé, Biden se plaignait que Nétanyahou était un menteur uniquement intéressé par sa survie politique. Et il en concluait de même pour ses collaborateurs, affirmant que 18 des 19 personnes travaillant pour Nétanyahou étaient «des menteurs».
En même temps, le soutien à la politique de Biden au Moyen-Orient est venu d’endroits inattendus, révèle le livre. Avant les attaques du 7 Octobre, le sénateur Lindsey Graham (R-S.C.), un fidèle lieutenant de Trump, était devenu un interlocuteur de confiance pour le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane. Graham avait transmis à Biden des informations sur les perspectives de normalisation des relations entre l’Arabie Saoudite et Israël, croyant que cela devait être fait sous la présidence de Biden, arguant que les démocrates au Congrès seraient réticents à soutenir une initiative parrainée par Trump. Graham avait promis qu’il pouvait livrer les votes républicains.
Après le 7 Octobre, Graham a continué à dialoguer avec le prince héritier. Lors d’une visite du sénateur à Riyad en mars, qui est racontée par Woodward, Graham a proposé un appel téléphonique avec Trump, alors le prince héritier a sorti un téléphone prépayé étiqueté «TRUMP 45». Lors de réunions précédentes, le prince avait brandi d’autres appareils similaires, y compris un étiquetté «JAKE SULLIVAN» pour le conseiller à la sécurité nationale de Biden.
Pendant cet appel de mars avec Trump, mené par le prince héritier sur haut-parleur alors que Graham était présent, l’ex-président a taquiné le sénateur pour avoir autrefois demandé la destitution du prince saoudien à cause de l’assassinat du chroniqueur du Washington Post, Jamal Khashoggi, dont la CIA a conclu qu’il a été ordonné par Mohammed ben Salmane. Graham a balayé la remarque, admettant s’être trompé à propos de l’autocrate.
La cour royale de Riyad, cependant, n’est pas la comparaison que Graham utilise lorsqu’il décrit ses visites à la résidence de Trump à Mar-a-Lago. Selon Woodward, le sénateur invoque une forme d’autoritarisme encore plus brutale. «Aller à Mar-a-Lago, c’est un peu comme aller en Corée du Nord», cite le livre. «Tout le monde se lève et applaudit chaque fois que Trump entre.»
Article original de Isaac Stanley-Becker, publié le 8 octobre 2024 dans le «Washington Post»
Cet article publié dans le «Washington Post» a été sélectionné par «Libération». Il a été traduit avec l’aide d’outils d’intelligence artificielle, sous la supervision de nos journalistes, puis édité par la rédaction.