Les Droits de l'Homme revisités par le RN on croit rêver !
A Beaucaire, Le Pen dégaine une fumeuse «déclaration des droits des peuples et des nations»
A quelques mois des élections européennes, la patronne du RN a sorti ce concept pour soi-disant protéger «les peuples et toutes les nations» des «organismes supranationaux» et des multinationales.
Le tout pour masquer un discours toujours aussi europhobe.
Une fois n’est pas coutume, Marine Le Pen a fait preuve «d’un excès de modestie». Elle avoue n’avoir pas osé ajouter le mot «universel» à sa «Déclaration des droits des peuples et des nations». Que l’on se rassure, cet excès ne dure pas. «Je pense que ça fait bien longtemps que la France n’a rien à dire au monde», a remarqué la députée du Pas-de-Calais, dont le parti d’extrême droite organisait ses universités d’été à Beaucaire, municipalité RN, dans le Gard.
La voilà qui prend donc sur elle de porter cette offrande au concert des nations : un texte en seize articles pensé sur le modèle de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen mais pensé pour les peuples et les nations. Chut : ne lui dites pas qu’il existe une Organisation des nations unies (ONU) dont le premier article reconnaît le «principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes». Le texte de Le Pen, lui, estime que «tous les peuples et toutes les nations sont égaux en dignité et en droits». Ça change.
Samedi matin, la triple candidate à l’élection présidentielle, toujours partante pour une quatrième édition («Je suis candidate tant que j’aurai décidé de ne plus l’être», affirme-t-elle), avait l’air assez fière de son idée. Elle en expose la philosophie devant la presse réunie dans une auberge au milieu des vignes, à l’écart de la ville.
«La proposition que je vais faire est issue d’une longue réflexion que j’avais engagée y cinq ans, raconte-t-elle.
Elle part d’un constat : en 45 [en fait, 1948, ndlr.],
la déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen visait à protéger contre les abus des Etats. Aujourd’hui, les grandes menaces ne viennent pas uniquement des Etats mais d’organismes supranationaux ou d’entités commerciales comme les Gafam […] qui peuvent intervenir sur la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes.»
Chez Salvini dès dimanche
Sa «déclaration» vise donc «à sacraliser des droits supplémentaires» et pas, comme c’est généralement le cas avec l’extrême droite, à en retirer, promet Le Pen. «Cela va à l’inverse de la vision caricaturale que certains ont de nous, d’un mouvement étriqué qui ne pense qu’à son pays», se félicite-t-elle. Même que ce ne serait pas contradictoire avec la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen !
Omettant de préciser que la mesure phare de son programme, la priorité nationale, est inconstitutionnelle, précisément parce que contraire au principe d’égalité contenu dans tout un tas déclarations, dont celle des droits de l’homme et du citoyen de 1789, retenue dans le «bloc constitutionnel» français. Qu’importe, Marine Le Pen compte porter sa bonne nouvelle sur les chemins de l’Europe et du monde.
Elle commencera dès ce dimanche, à Pontida en Italie, chez son ami Matteo Salvini qui serait d’ores et déjà fan de l’idée. Il faut dire que le cousin italien a grand besoin de Le Pen en ce moment pour se relancer face à son alliée et concurrente, Giorgia Meloni. Mais ne gâchons pas la fête.
Elle est plutôt réussie, ce samedi après-midi, autour des arènes de Beaucaire, au pied du château. Des dizaines de stands qui vendent du kouglof, du saucisson, des huîtres, des casquettes, un viticulteur qui chante du Adamo («Laisse mes mains sur tes hanches»),
un député qui vend son vin, des montagnes de paperasse des groupes RN au Parlement européen et à l’Assemblée nationale, où l’on se presse un peu moins qu’auprès des tireuses à bière.
D’ailleurs, jeunes et moins jeunes commencent à parler un peu plus fort et avoir l’œil qui brille. Un concert de musique gitane en dehors des arènes, des spectacles équestres camarguais à l’intérieur, des femmes en tenue traditionnelle qui posent, en amazone, sur leur cheval. «Cette ambiance, on dirait les BBR ! [les fêtes Bleu blanc rouge, pensées comme une contre Fête de l’Humanité mise en place dans les années 1980, ndlr.]», s’émerveille un député de la vieille école. De fait, près de 4 000 personnes déambulent sous les platanes. Il faut remonter à quelques paires d’années pour retrouver un tel succès.
La Nupes, le gouvernement et Libération hués
Tout le monde à Beaucaire ne partage pas cette liesse. Sur la place de la République, à l’intérieur de la ville, quatre énormes platanes abritent une trentaine de contremanifestants. Ligue des droits de l’Homme, militants socialistes, des communistes, des anciens de listes concurrentes à Julien Sanchez, maire RN de la ville. Ils sont ravis de croiser Libé, dont ils ont tous lu l’enquête sur la gestion de leur ville par l’extrême droite. «
Pour une fois qu’on parle de ses méthodes», s’exclame une dame, un t-shirt floqué d’un dessin représentant une flamme frontiste jetée à la poubelle.
Ces méthodes, une habitante originaire de Suisse et d’Allemagne les résume : «Un jour, Yoann Gilet [le député de la circonscription, ndlr.] m’a traitée de décérébrée, il me dit «retournez en Suisse ça me fera des vacances», un ancien conseiller départemental a levé la main sur moi une fois. Je ne sors plus de chez moi, j’ai trop peur de les rencontrer, qu’ils me provoquent et de ne pas me retenir. Je les connais ils me feront un procès, ils ne font que ça !»
Retour aux arènes. 18 heures, début des discours. Julien Sanchez en profite pour dérouler son bilan et tacler «une certaine presse militante». Bardella arrive en star sur la scène, chemise blanche, petite foulée. Un peu de social, un peu d’ordre «parce qu’un projet de redressement national n’a de sens que s’il réussit à conjuguer le verbe être et le verbe avoir». Sa nouvelle formule, lui aussi en est très fier, vous allez l’entendre pendant six mois sur les plateaux télés. Il fait huer la Nupes, le gouvernement, Libération, critique Bruxelles, fait exploser l’assistance de bonheur quand il propose de suspendre les allocations familiales aux parents de mineurs multirécidivistes, et termine en plagiant carrément le communiste Fabien Roussel : «nous sommes les jours heureux face aux passions tristes».
Discours europhobe et flou
Au tour de Marine Le Pen, entre deux larsens, de vitupérer contre l’Europe, «les technocrates bruxellois», «Madame von der Leyen et sa cohorte d’eurocrates», la Commission européenne, «premier emblème de servitude» dans laquelle serait plongée la France. Son discours est à la fois férocement europhobe et suffisamment flou pour ne pas trop s’avancer sur un éventuel Frexit. Pratique : ça permet de taper sur la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, qui se rêverait «en chef d’un nouvel Etat fédéral imposé aux nations du continent», sur l’UE qui se comporterait comme un «Empire»
tout en oubliant de rappeler qu’aucune grande décision ne se prend sans la voix de la France au Conseil de l’UE, constitué par les chefs d’Etat et de gouvernements démocratiquement élus de l’union… Du populisme d’extrême droite, qu’une fumeuse «Déclaration des droits des peuples et des nations» risque d’avoir du mal à rendre moins crasse.
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