N'en déplaise aux rontistes du forum les faits sont têtus.
Antisémitisme
Au Rassemblement national, une haine des Juifs toujours bien ancrée derrière la dédiabolisation
Malgré sa tentative de normaliser son image, le mouvement d’extrême droite perpétue une amnésie volontaire sur son histoire et continue d’entretenir des relations avec des réseaux antisémites.
par Nicolas Massol et Tristan Berteloot
publié le 8 novembre 2023 à 21h14
L’antisémitisme de Jean-Marie Le Pen ? «C’est le sparadrap du capitaine Haddock», formule un proche de la fille du fondateur du Front national (devenu Rassemblement national), trois jours après que son jeune président, Jordan Bardella, a déclaré malgré l’évidence sur BFMTV : «Je ne crois pas que Jean-Marie Le Pen était antisémite.» En fait, la haine des Juifs au parti d’extrême droite est un peu plus qu’un pansement dont on n’arrive pas à se défaire. Tant par son histoire – ni Le Pen ni Bardella ne l’ont jamais reniée – que par les liens que le parti continue d’entretenir avec certains personnages et réseaux liés à l’antisémitisme.
Pas de prise de distance
L’incapacité des cadres frontistes, y compris ceux ralliés après l’exclusion du patriarche, de qualifier clairement les propos, maintes fois répétés et condamnés, de Le Pen père, est d’autant plus forte qu’un député RN actuellement à l’Assemblée,
Frédéric Boccaletti (élu dans le Var), a tenu dans le passé une librairie spécialisée en ouvrages antisémites et négationnistes. Ou que l’un des vice-présidents du RN, David Rachline, maire de Fréjus et fan absolu de Jean-Marie Le Pen, a frayé dans sa jeunesse avec l’auteur antisémite Alain Soral, un temps membre lui-même du comité central du FN. Quand il a pris ses fonctions à Fréjus, en 2014, l’une des premières décisions de Rachline n’a-t-elle pas été de confier une partie de l’événementiel de la ville à un ancien légionnaire nommé Minh Tran-Long passé par la Fédération d’action nationale et européenne, groupuscule néonazi dissous dans les années 80 ? Rachline a aussi été filmé, plus jeune, faisant une blague dans une Mercedes, «la voiture du Führer». Il n’a jamais été sanctionné.
Tout comme lorsque des photos de l’assistant parlementaire de l’eurodéputé RN (aujourd’hui chez Eric Zemmour) Nicolas Bay, déguisé en rabbin et mimant des doigts crochus, avaient été révélées :
le parti d’extrême droite s’était contenté de le recaser en 2019 chez ses alliés allemands de l’AfD, qui siègent au sein du même groupe à Strasbourg.
Marine Le Pen n’a jamais rompu avec les fondateurs de sa formation. «
Les historiens retiendront qu’en 1972 est née en France la force politique qui a eu la lucidité de tenir allumée entre ses mains, dans les vents et la tempête, la flamme de la Nation», écrit-elle ainsi en octobre 2022, à l’occasion du cinquantième anniversaire de son parti.
Aucune référence critique sur le premier vice-président du Front national, François Brigneau, milicien pendant l’Occupation, ou sur le trésorier, Pierre Bousquet, ancien Waffen-SS. Pas de prise de distance avec Pierre Gérard, secrétaire général du FN en 1980 et ancien directeur de la Propagande au Commissariat général aux questions juives, sous Vichy.
Encore moins avec François Duprat, trop jeune pour avoir collaboré avec l’Allemagne nazie, mais bras droit de Le Pen dans les années 70, l’un des premiers négationnistes et diffuseur du best-seller Six millions de morts le sont-ils réellement ? Lors des rapides commémorations du cinquantenaire du FN-RN,
nulle allusion n’est faite, non plus, par Marine Le Pen à l’un de ses premiers déplacements comme présidente, le 27 janvier 2012, jour anniversaire de la libération d’Auschwitz : sa participation, à Vienne, à un bal néonazi.
Rapports obsessionnels au nazisme
A l’amnésie volontaire s’ajoute l’incapacité, voire le refus, de rompre avec les prestataires principaux de ses propres campagnes. Car l’arrière-boutique du FN n’est pas moins fournie en personnalités marquées par ses vocations douteuses avec le nazisme. En mai, au moins deux prestataires réguliers du parti de
Marine Le Pen ont participé à une manifestation néofasciste à Paris, et un troisième, tout aussi important dans le système frontiste des dernières années, a promis de s’y rendre en 2024. Les premiers s’appellent
Axel Loustau et
Olivier Duguet, le troisième
Frédéric Chatillon.
Les trois hommes sont tous d’anciens militants du radical Groupe union défense (GUD),
pas vraiment étrangers à Marine Le Pen. Loustau, comme
Chatillon,
peuvent même être qualifiés de très proches de Marine Le Pen. Il y a moins de deux ans, le premier, 52 ans, portait encore les couleurs du RN au conseil régional d’Ile-de-France, aux côtés de l’actuel président du mouvement,
Jordan Bardella, qu’il a participé à former à la politique lors de la campagne présidentielle de 2017.
Frédéric Chatillon est encore plus simplement le père d’une des anciennes compagnes de
Bardella, qu’il continue de rencontrer régulièrement lors de ses voyages à Rome où
Chatillon réside.
Lui et Loustau ont été jusqu’à il y a très peu de temps les prestataires principaux des campagnes frontistes, présidentielles et européennes, notamment.
Loustau (au moins)
est pourtant connu pour son rapport obsessionnel aux juifs et au nazisme.
Il s’est d’ailleurs déjà fait prendre, devant témoins et en compagnie de Frédéric Chatillon, en train de faire un salut fasciste en 2011 lors d’une fête organisée pour ses 40 ans.
A l’époque, une enquête de Mediapart avait révélé la scène : un homme, présenté comme témoin des soirées de la fine fleur du GUD des années 90, autour de Chatillon et Loustau, racontait que les conversations tournaient alors essentiellement autour des «Juifs, des camps d’extermination» ou de Hitler, qu’ils appellent «Tonton» ou «Tonton dolfi» (diminutif d’Adolf), émoticône dauphin pour dissimuler la chose. «Il n’y a pas une soirée où il n’y a pas un salut nazi.
Et quand ils sont dans un restaurant où il y a du monde, leur blague est de faire des petits saluts, en levant juste la main», disait-il.
Les profils Facebook de Loustau de l’époque débordaient de références implicites à la Shoah, petits mots d’anniversaire écrits en allemand par ses amis le 20 avril, date de naissance d’Adolf Hitler. Ou cette photo, postée en 2012, d’une croix gammée dessinée dans une assiette de riz… Il y a aussi les relations passées, l’adoration que Loustau a pu nourrir à l’égard de personnages comme Léon Degrelle, un négationniste belge qui voyait en Hitler «le génie foudroyant, le plus grand homme de notre siècle».
Loustau et Chatillon ont été longtemps des proches d’Alain Soral ou de Dieudonné, antisémites patentés. Des photos les montrent, comme Jean-Marie Le Pen, en train d’effectuer une quenelle, considérée comme un salut nazi inversé.
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