Miam
Européennes: notre plateau-repas avec Hayer et Bardella
Les têtes de liste Rassemblement national et Renew s’affrontait jeudi 2 mai sur BFM-TV pour un duel attendu. Liberation vous livré le menu consommé.
Les amuse-gueule. Et sans attendre Valérie Hayer se met à table… Pas mécontente d’affronter son adversaire du RN, pour son premier débat… «enfin, si j’ose dire». Priée par Benjamin Duhamel de trouver une qualité à Jordan Bardella, celle qui «ne se résou(t) pas à voir le Rassemblement national aussi haut dans les sondages», est bien en peine. Allez hop, «le culot d’énoncer autant de mensonges avec autant d’aplomb». Vous reprendrez bien un petit compliment? Là, c’est Bardella qui assaisonne. Une goutte de balsamique, tout doux, pour commencer : «Vous êtes courageuse.» Puis vient la moutarde, forte, qui pique les yeux : «Parce que vous vous êtes portée candidate alors que personne ne souhaitait se porter candidat (...) et que tous les ministres se sont débinés.» Et pour le défaut? «Vous portez le bilan d’Emmanuel Macron et il faudra aussi ce soir être capable d’y répondre.» Bilan : acide.
Monsieur est servi. Le premier plat arrive, on retire la cloche et, surprise : «Hyper Violence des jeunes : comment en sortir?», annonce le bandeau. Il va donc falloir commenter le meurtre du jeune Matisse, mortellement blessé il y a quelques jours par un mineur afghan… Vous n’êtes pas chez Bolloré, non. Mais Bardella a de quoi se sentir à la maison et, les pieds sous la table, déroule ses habituelles sentences sur l’immigration forcément liée à l’insécurité. «J’ai l’impression qu’il y a un éléphant dans le salon que vous ne voulez pas le voir», attaque-t-il quand Hayer lui reproche d’ «essentialiser» les migrants… tout en se baladant sur son terrain : «Je ne nie pas les faits de l’hyper violence des jeunes, évidemment il faut un retour de l’autorité», approuve la macroniste. «Votre bilan c’est aussi une France où pas une seule maman n’a pas peur pour son enfant», conclut le jeune patron d’extrême droite.
Monsieur veut du rab? Volontiers. On enchaîne sur «Sciences po : les universités à la dérive?». La punchline arrive, facile : «La France insoumise bordélise et le gouvernement tolère», assène Bardella. En face, Hayer tente deux clins d’oeil un peu lourdingues à la série Canal à la mode, La Fièvre : «Vous êtes les acteurs de la montée de la fièvre dans le pays.»
Le crouton. La voilà partie se servir elle-même en cuisine. Hayer veut convoquer… Jean-Marie Le Pen. «C’est l’occasion pour vous de clarifier un certain nombre de vos positions et de dire : ‘oui, Jean-Marie Le Pen a été le déshonneur de ma formation politique», met-elle en demeure le successeur du «Menhir» à la présidence du parti d’extrême droite. Mal à l’aise, Bardella, qui, en novembre, avait bégayé sur le sujet («Je ne crois pas que Jean-Marie Le Pen était antisémite») tente de s’en sortir par l’ironie. «Si au bout de quinze minutes de débat vous en êtes à appeler Jean-Marie Le Pen qui s’est retiré de la vie politique…» Avant de convenir que son prédécesseur «a été condamné pour antisémitisme» et que ses «propos étaient des propos antisémites», tout en relativisant leur portée : «Moi j’ai grandi dans un département, la Seine-Saint-Denis, où il n’y a plus beaucoup de Français de confession juive (...). Ce n’est pas la faute du RN.» Pas suffisant pour Hayer, qui constate que son adversaire refuse de répéter sa formule : «
Jean-Marie Le Pen a été le déshonneur de ma formation politique.»
Légèrement agacé, Bardella gesticule, parle beaucoup et interrompt pas mal l’élue Renew..
Il pique dans mon assiette. Gros yeux de Hayer agacée de ne pas pouvoir en placer une: «M. Bardella, est-ce que vous pouvez me laisser parler?» Lui, souriant de toutes ses dents: «D’accord Madame, mais c’est un débat, souffrez qu’on confronte les points de vue.» Plus tard, Hayer retente de finir une phrase: «C’est si difficile que ça de laisser parler une femme, M. Bardella?» Lequel lui renvoie: «Vous allez nous la faire combien de fois, celle-là?» Ou encore, en boomerang: «Laissez-moi parler, ne soyez pas sexiste.» Gonflé.
Le plat de résistance. Abordant l’invasion russe en Ukraine, Hayer reprend un peu le dessus. Elle épingle Thierry Mariani, poutinophile notoire et neuvième sur la liste RN et rappelle que Bardella et ses troupes n’ont voté aucune résolution soutenant l’Ukraine ou condamnant la détention de l’opposant russe Alexeï Navalny… Ah si, «au lendemain de sa mort», en février. «Vous étiez là quand sa veuve est venue au Parlement européen. Comment vous avez pu la regarder dans les yeux?» Là, son adversaire bafouille. Son ami Mariani? Le transfuge venu de LR aurait, tente-t-il dans une explication alambiquée, «la position» de Nicolas Sarkozy et «une sensibilité qui n’est peut-être pas la mienne». Quant à ses votes, il reproche à la candidate macroniste de «faire mumuse» en votant des «résolutions symboliques».
L’intéressée juge avoir «touché la corde sensible». Et pointe «les ingérences russes» : «Vous le savez encore mieux que moi, M. Bardella…»
La peau de banane.
On n’attendait pas cela de sa part mais il a osé : le patron du RN accuse son adversaire d’être… subventionnée par l’étranger. «Moi je ne reçois pas de financements de grandes entreprises américaines», charge-t-il en agitant devant la caméra un tableau blanc et jaune avec des zéros et des virgules. Le parti européen de Valérie Hayer recevrait donc de l’argent de certains Gafam comme Microsoft, Google ou Apple. Là, il faut s’accrocher car c’est un peu compliqué. Le tableau que Libé a pu consulter sur le site du Parlement européen fait bien état de dons allant de cinq mille à dix huit mille euros, adressés à une fondation, la European Liberal Forum, rattachée à un parti, l’Alliance des libéraux et des démocrates pour l’Europe (ALDE) qui participe au groupe Renew, où siègent donc les macronistes.
Sauf que Renaissance n’est pas adhérente à l’ALDE, à la différence par exemple de l’UDI. L’argument bardellien ne s’embarrasse guère de ces subtilités. Commentaire d’un hiérarque frontiste à Bruxelles : «Nos alliés toucheraient des fonds d’une entreprise russe, vous [la presse] l’exploiteriez. Une partie de Renew touche des sous de grosses multinationales et sont rapporteurs sur des sujets qui touchent à ces entreprises. On se ferait défoncer pour moins que ça.»
D’autant qu’en face, Hayer ne réplique pas… alors que la tête de liste du principal allié du RN en Europe, Alternative für Deutschland (AfD) a dû se mettre en retrait de sa campagne européenne car il fait l’objet de deux enquêtes préliminaires pour des soupçons de corruption en provenance de la Russie et de la Chine. Et que son propre assistant parlementaire est carrément arrêté pour espionnage pour le compte de la Chine !
Le réchauffé.
C’était l’énormité déjà ressassée en janvier par LR et l’extrême-droite qui tentaient de surfer sur la colère agricole. «Le la ferme à la fourchette», volet agricole du Green deal, serait rien de moins qu’une stratégie décroissante. Bruxelles, une ZAD? C’est bien connu. Alors Bardella retente, accusant Hayer de s’être soumise «aux fanatismes et à l’idéologie des Verts» : «Je vous accuse d’avoir plongé l’Europe dans la décroissance».
La preuve, la présidente du groupe Renew, qui a voté la semaine dernière le détricotage des règles environnementales de la PAC, en profite pour défendre les accords de libre-échange. Une gauchiste.
L’indigeste. Arrive le sujet de l’immigration, auquel on a l’impression d’avoir déjà pas mal goûté. Mais Bardella restait sur sa faim : «
Pour vous, l’immigration n’est pas un problème, c’est un projet. Je me suis engagé pour que le pays ne ressemble pas au quartier de Seine-Saint-Denis dans lequel j’ai grandi», formule celui qui croit savoir que de plus en plus de ses compatriotes auraient le sentiment «
d’être devenus des étrangers dans leur propre pays». Encore? Sans façon. Si, si, il faut finir. L’immigration, donc, «
pose une question existentielle : qui sommes-nous et qui voulons-nous être, qui voulons-nous rester comme peuple de France?»
En face, Hayer évite de répondre sur le fond et s’emmure dans une position mi-réaliste, mi-techno. Et mi-frontiste? On se demande parfois dans quelle assiette la macroniste pioche ses arguments. «
Pourquoi ce devrait être toujours la France qui accueillerait les demandeurs d’asile ? Pourquoi ce serait systématiquement la France ?»,
s’enquiert-elle avant de rappeler que les députés RN ont voté pour la loi immigration à l’Assemblée et de lui réclamer «un peu de cohérence».
L’insipide. Au cours de la soirée, Hayer commence parfois ses réponses par une concession - «Je vous l’accorde.» Assidue et reconnue dans les arcanes européennes, Hayer peine à faire valoir son avantage sur son collègue absentéiste et dilettante.
Au point que celui-ci, osant renverser les rôles, lui pose une colle lors d’un échange sur le Ceta: «Combien la France exporte-t-elle de fromages vers le Canada ?» Et balance: «Vous ne maîtrisez pas le dossier!» Le monde à l’envers.
Les invités gênants. Ding-dong, qui sonne à cette heure? Pour sa « carte blanche », la candidate Renaissance sort…une photo de famille. On y voit Jordan Bardella poser au milieu de ses alliés européens lors d’un meeting à Florence, en décembre. Et Hayer de lister une série de déclarations de ces derniers, dignes des pires tontons racistes du bout de la table. Du copain polonais qui estime que «les femmes ne devraient pas avoir le droit de vote et être moins payées que les femmes», au cousin flamand qui a fêté sa victoire aux municipales avec des saluts nazis en passant par l’ami bulgare traitant les Roms de «parasites».
La liste est longue et on sent que Bardella n’apprécie pas le dessert. «C’est n’importe quoi», «oh oui, bah oui», maugrée-t-il, avant de renvoyer à Hayer la maltaise Roberta Metsola, élue présidente du Parlement européen grâce notamment aux votes de Renew, malgré ses positions antiavortement.
Le cheveu sur la soupe. A son tour de jouer sa carte blanche qu’il consacre… aux Outre-Mer.
Bardella regrette que ces concitoyens se sentent trop souvent comme des «Français de seconde zone» et promet la création d’un ministère d’Etat. Le rapport avec la choucroute? Aucun. «
Vous êtes à la politique ce que Didier Raoult est à la médecine. Vous n’avez aucun crédit pour parler d’Europe», lui rétorque Hayer. Là, c’était bien vu.
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