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Islamo-gauchisme : le rapport qui secoue l’université
EXCLUSIF. Le CNRS a refusé de mener l’enquête sur l’« islamo-gauchisme » dans la recherche. L’Observatoire du décolonialisme s’en est saisi.
Refus du CNRS. Ce rapport que le CNRS n'a pas voulu faire, d'autres l'ont établi. Des universitaires de l'Observatoire du décolonialisme et des idéologies identitaires ont méthodiquement recensé des preuves de ces approches militantes, glanées au fil des thèses, des revues universitaires, des programmes de recherche, des enseignements, ou des annonces de recrutement. Pour constituer ce rapport sur les manifestations idéologiques à l'université et dans la recherche, de 140 pages (qui sera rendu public le 19 juin), la dizaine d'enquêteurs a décortiqué des productions universitaires, qui, bien qu'en accès libre, sont trop rarement lues en dehors des cercles de spécialistes.
Il ressort de cette immersion un inventaire non exhaustif d'écrits académiques où des métaphores sont assénées comme des faits, un patchwork qui suscite embarras, hilarité, consternation… ou les trois à la fois.
Ce rapport, que Frédérique Vidal n'a jamais réussi à obtenir de la part des institutions universitaires tombe à pic, alors qu'on apprenait par Le Monde vendredi 11 juin que
six enseignants-chercheurs avaient déposé une procédure de référé et un recours en annulation devant le Conseil d'État pour contraindre la ministre à renoncer officiellement à toute enquête officielle qui, d'après les requérants, « bafoue les libertés académiques et menace de soumettre à un contrôle politique, au-delà des seules sciences sociales, la recherche dans son ensemble ». Ce rapport off donc, sera, à n'en pas douter, mal accueilli et sévèrement critiqué par les universitaires qui défendent ce type d'enseignements et voient dans la critique de ces derniers un nouveau maccarthysme.
« Contrairement à ceux qui nous attaquent, nous ne harcelons pas les collègues jusqu’à ce qu’ils craquent… »
Xavier-Laurent Salvador Cofondateur de l’Observatoire du décolonialisme
« Cancel culture ». Inventorier des travaux universitaires sur la base de leur dérive idéologique supposée constitue-t-il une menace sur les libertés académiques ? « Il ne faudrait pas inverser les rôles, répond Xavier-Laurent Salvador , cofondateur de l'Observatoire du décolonialisme,nous restons dans le cadre d'une évaluation par les pairs, c'est-à-dire dans le cadre normal d'un fonctionnement universitaire. Contrairement à ceux qui nous attaquent, nous n'intentons aucun procès, nous n'empêchons aucune conférence, nous ne harcelons pas les collègues jusqu'à ce qu'ils craquent, nous ne pratiquons pas la cancel culture et nous ne donnons aucun nom !
Simplement, nous voulons que le monde universitaire, le monde politique et le grand public puissent prendre la mesure par eux-mêmes de ce phénomène militant, dans le cadre d'un débat loyal et contradictoire. » Pour ce médiéviste, l'université doit, aujourd'hui, affronter un militantisme qui tente de reconfigurer la connaissance à son profit. Le sujet dépasse la simple querelle d'universitaires : « C'est à l'université que se fabriquent l'école, le collège et le lycée de demain. Quand on voit apparaître, dans les cours dispensés aux futurs enseignants, des intitulés qui évoquent le problème de l
a "laïcité radicale" ou "la gestion de la classe au filtre du gender", il faut simplement être certain que c'est bien cette école que l'on veut pour l'avenir », explique-t-il.
Politologue, spécialiste du vote Front national, Pascal Perrineau a lu ce rapport et s'étonne : « Je suis frappé par la vitesse à laquelle les choses évoluent. J'avais le sentiment qu'il s'agissait en France d'un mouvement marginal, mais il faut reconnaître que la propagation s'accélère. » Pour l'universitaire, le phénomène reste certes minoritaire et essentiellement cantonné aux sciences humaines et sociales, mais s'installe dans les milieux académiques, y compris dans les grandes écoles censées former les futurs cadres du pays : « Sciences Po propose cinq cours sur les collectivités locales, contre vingt-cinq cours sur le genre. Il ne faudrait pas que l'intérêt pour ces thèmes conduise à l'oubli de problématiques importantes, comme celle des territoires », met en garde ce fin connaisseur de la géographie électorale.
« Sciences Po propose cinq cours sur les collectivités locales, contre vingt-cinq cours sur le genre. »
Pascal Perrineau Politologue, professeur à Sciences Po Paris
Professeur émérite de littérature et romancier, Pierre Jourde s'alarme de cette volonté de reconfigurer la cartographie des savoirs au détriment des disciplines établies. Il n'y voit rien de moins qu'une « entreprise de destruction de la bibliothèque d'Alexandrie. Ce sentiment est exprimé très clairement dans des universités américaines où l'on voit des spécialistes de lettres classiques expliquer très sérieusement que cela ne serait pas si grave si leur discipline disparaissait, parce que les lettres classiques n'étaient finalement pas assez justes, pas assez décoloniales, ou pas assez noires ».
Intrusions militantes, pressions, menaces… Portée haut par des associations étudiantes, cette « culture woke » et ses nouvelles pratiques militantes s'imposent dans l'université avec des méthodes parfois musclées, méticuleusement inventoriées dans ce rapport, qui recense les faits principaux : les intrusions militantes, les annulations de conférences et de formations, l'adoption obligatoire de l'écriture inclusive dans des publications universitaires, le déplacement d'un colloque dont les intervenants sont jugés « islamophobes » (en réalité, des spécialistes du terrorisme…), des pressions pour faire grève, des pressions pour suspendre des enseignements, des perturbations de conférences, des empêchements de faire cours, des contestations de recrutements, des campagnes de diffamation, des plaintes en justice et des menaces contre une enseignante…
« Nous devons faire face à l'importation abusive, en France, d'un rapport à la liberté d'expression calqué sur la culture américaine qui, faute de lois encadrant cette liberté, laisse aux groupes de pression le soin de décider de ce qui est dicible ou pas en public », relate la sociologue Nathalie Heinich , qui soutient l'existence de l'Observatoire du décolonialisme et ce rapport dont elle espère qu'il permettra de prendre conscience de l'ampleur du phénomène. Elle détaille le mécanisme de cette cancel culture , autrement dit « une culture de la censure exercée non par l'État mais directement par les citoyens, et qui se traduit par des déboulonnages, des conférences et colloques annulés, des enseignements empêchés et génère une atmosphère d'intolérance ». Elle a récemment publié Ce que le militantisme fait à la recherche (« Tracts », Gallimard), un court texte dans lequel elle dénonce ces « chercheurs-militants [qui] s'attachent à bâtir [un monde] invivable, habité par la hargne et le désir insatiable de revanche ».
« Suivre une mode est encore le meilleur moyen d’exister et de se faire inviter dans des colloques. »
Pierre-Henri Tavoillot Philosophe
La France « reste une puissance coloniale ». L'influence de la culture nord-américaine de ce mouvement se vérifie régulièrement. Une tribune publiée par L'Obs le 17 mars, signée notamment par Angela Davis et « des intellectuels du monde entier » (ou plus exactement, des intellectuels décoloniaux du monde entier), présentait ainsi la dénonciation de l'« islamo-gauchisme » à l'université comme « une convergence d'idéologies de droite, coloniales et racistes » avant de s'en prendre à « une partie de la gauche blanche, ainsi que des féministes qui ne font aucune analyse anticoloniale, anti-islamophobe et antiraciste, [et qui] sont également des complices de l'invisibilisation de l'oppression coloniale et du racisme, en fournissant des rationalisations idéologiques au racisme structurel porté également par l'État ». S'ensuit cette vérité assénée avec un aplomb docte : la France « reste une puissance coloniale » en raison de ses territoires et collectivités d'outre-mer… « La France est pour ces gens une abomination », analyse Pascal Bruckner , dont Le Sanglot de l'homme blanc, publié en 1983, alertait déjà sur les visions manichéennes en germe dans la gauche occidentale, « nous avons voté une loi sur le voile et une loi sur la burqa, qui dans l'esprit de ces gens ne peut venir que d'un pays raciste. L'extrême gauche américaine vit dans l'abstraction du monde des idées et dans le luxe des campus réservés aux élites. Pour la plupart, ils ne connaissent pas le monde et construisent leurs théories sur leur seul réel nord-américain ».
Comme le démontre le rapport sur les manifestations idéologiques à l'université et dans la recherche, les universités françaises ne semblent pas étanches à ce mouvement qui voudrait réorganiser et structurer toute la société autour de la seule lutte contre les oppressions réelles ou supposées. « La pensée militante dispense de penser, il suffit de s'appuyer sur des certitudes indiscutables », poursuit Pierre Jourde, qui pointe la dérive d'un petit monde qui ne parle qu'à lui-même : « La plupart de ces nouvelles recherches se présentent comme ouvertes au débat, mais refusent de discuter du bien-fondé de notions comme le décolonialisme ou l'identitarisme sexuel . Les colloques sur ces thèmes ressemblent à des assemblées à la nord-coréenne, où tout le monde est d'accord. »
Ceux qui ne participent pas au mouvement se sentent rapidement marginalisés : « les étudiants qui ont fait leur thèse avec moi ont la certitude de n'avoir aucun poste à la sortie dans l'enseignement supérieur, à moins d'abjurer. Car dans les études "Moyen-Orient et Méditerranée" aujourd'hui, les faits n'ont plus d'importance, ce qui compte, c'est la vision du monde que l'on défend. On voudrait faire le lit de l'extrême droite, que l'on ne s'y prendrait pas autrement »,
révèle Gilles Kepel , qui dirige la chaire Moyen-Orient Méditerranée à l'École normale supérieure.
Bon courage a nos ministres de l' éducation nationale , de l' enseignement supérieur etc etc ...