Retraite à 60 ans, blocage des prix, augmentation des fonctionnaires... La très lourde facture du programme du Nouveau Front
«Nous ferons en sorte de financer ce projet très ambitieux en le prenant dans la poche de ceux qui ont les moyens», explique Olivier Faure, premier secrétaire du parti socialiste lors de la conférence du nouveau «Front Populaire».
DÉCRYPTAGE - Pour financer ces mesures, la gauche prévoit le retour de l’ISF, la suppression de la flat tax, la taxation des superprofits des entreprises, et de nombreuses autres hausses d’impôts.
«On peut toujours promettre la lune», a sèchement commenté Bruno Le Maire sur France info. Davantage de vacances, de fonctionnaires, de logements, de places en crèches, de cantines scolaires bio et gratuites... «Ce serait vraiment super si on pouvait le faire», ironise un membre de la majorité en découvrant le programme du nouveau «Front Populaire», présenté ce vendredi par les représentants des quatre partis fondateurs (PS, PC, EELV et LFI). Un programme qui «est un délire total» selon le ministre de l’économie, rappelant qu’«il y a une réalité économique».
Dans un contexte où le déficit culmine à 5,5% du PIB, où les taux d’emprunt du pays augmentent et où la France va devoir présenter au moins 25 milliards d’euros d’économies dès 2025 si elle veut rester dans les clous de ses engagements budgétaires européens, le programme du Front populaire apparaît de fait à contre-courant. Car si on tente de chiffrer la liste des dépenses nouvelles, la facture devient vite vertigineuse.
À court terme, l’alliance de gauche souhaite, abroger la dernière reforme des retraites. «Dans les quinze jours après notre victoire, le 7 juillet prochain», a précisé Marine Tondelier, secrétaire nationale du parti écologiste (EELV). Une mesure que les administrations de Bercy chiffrent à 18 milliards d’euros (13 milliards si les mesures coûteuses étaient également supprimées, ce qui est peu crédible). Quant à la retraite à 60 ans, un «objectif commun» que réaffirme le programme, cela provoquerait «70 milliards de dépenses à financer, moins de travail et une croissance conduisant à un appauvrissement de la France», fustige un membre du cabinet de Bruno Le Maire.
Toujours sur le front social, l’augmentation du Smic à 1600 euros net - soit 2000 euros bruts - pourrait coûter au moins 2 milliards d’euros aux comptes publics, selon les agents de Bercy. Étonnamment, cette estimation est inférieure à celle mise en avant dans le «contre-budget» de la Nupes, présenté en 2022, qui partage beaucoup de mesures avec le programme du Front populaire. Pour un Smic à 1500 euros net, l’ancienne alliance des partis de gauche chiffrait le coût à plus de 3 milliards d’euros. De plus, «la hausse des salaires reviendrait à creuser encore plus le déficit commercial tout en attisant l'inflation», analyse Sylvain Bersinger, chef économiste du cabinet Asterès.
Pour les fonctionnaires, la gauche propose des hausses de salaires significatives avec une hausse de 10% du point d’indice qui se rapproche de l’ancienne proposition de la Nupes d’une augmentation de 10 milliards d’euros pour le salaire des agents de la fonction publique.
Les cantines scolaires bio et gratuites pourraient coûter jusqu’à 3,2 milliards d’euros, toujours selon les agents de Bercy. L’augmentation du budget des organismes HLM est prévue dans le programme à 1,4 milliard d’euros, auquel s’ajouterait l’augmentation de 10% des APL pour un même ordre de grandeur. Le programme propose également un budget de 2,6 milliards d’euros pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles ou encore de porter le budget du ministère des sports à 1% du budget de l’État, soit environ 7 milliards d’euros (contre 700 millions en 2023). D’autres mesures sont difficiles à chiffrer mais pèseront très lourd comme l’abolition de la taxe sur les factures d’énergie, ou l’annulation de la hausse programmée du prix du gaz et de l’électricité, ou encore l’augmentation des effectifs de fonctionnaires (dans l’éducation et la santé, notamment).
Enfin, certaines des mesures du programme sont si complexes, et leurs répercussions sur l’économie si incertaines, que cela rend la question de leur chiffrage presque dérisoire. La plus emblématique est la mesure qui consisterait à opérer le blocage des prix sur les biens de première nécessité (alimentation, énergie et carburants). En 2022, la Nupes assurait que cette mesure serait à coût neutre pour les finances publiques. Au cabinet de Bruno Le Maire, on affirme au contraire que cette mesure coûterait près de 20 milliards d’euros aux caisses de l’État. «Sans compter que ce serait un grand saut dans l'économie réglementée et le retour à une administration qui dicterait les prix des produits de grande consommation», ajoute un conseiller.
Combien, au final, coûterait vraiment le programme du nouveau «Front populaire» ? Il est encore trop tôt pour le savoir. Mais, en 2022, l’Institut Montaigne avait chiffré le programme présidentiel de Jean-Luc Mélenchon -qui proposait beaucoup de mesures similaires (augmentation du smic, retraite à 60 ans...). La facture s’élevait à environ 300 milliards d’euros de dépenses supplémentaires par an. Cela donne un ordre de grandeur.
Le ministre délégué au Budget, Thomas Cazenave, avance pour sa part le chiffre de 100 milliards d’euros par an pour financer les principales mesures. «Qui paiera ? Les Français», affirme le ministre sur son compte X (ex-twitter). En effet, la gauche compte financer ces coûteuses dépenses nouvelles par une augmentation d’impôt ciblée sur les ménages aisés et sur les grandes entreprises. Elle entend ainsi rétablir un impôt sur la fortune «renforcé» (en lieu et place de l’IFI), abolir la flat tax et des niches fiscales, ressusciter l'exit tax, taxer les super profits des entreprises, instaurer une taxe kilométrique sur les produits importés... En clair, «nous ferons en sorte de financer ce projet très ambitieux en le prenant dans la poche de ceux qui ont les moyens», assène Olivier Faure, premier secrétaire du parti socialiste.
La mesure fiscale qui pourrait rapporter le plus - même si elle n’est pas chiffrée pour l’instant- est celle qui concerne l’impôt sur les successions avec l’ambition d’instaurer un montant d’héritage maximum. Si le seuil «maximum» n’est toujours pas précisé, Jean-Luc Mélenchon avait avancé le chiffre de 12 millions d’euros lors de sa campagne présidentielle en 2022. «Au-delà, je prends tout», avait expliqué à l’époque le leader insoumis.
Au final, «il apparaît évident que les dépenses ou manques à gagner (...) dépassent de plusieurs dizaines de milliards d'euros, au bas mot, les recettes proposées, qui reposent principalement sur une hausse des impôts des plus aisés», conclut Sylvain Bersinger.
Voilà qui fait peur...