Entre fiction et réalité.
Qui sont les petits soldats de Jordan Bardella
Autour du jeune président du RN, ils sont cinq hommes et une femme d’une discrétion absolue. Ensemble, ils ont construit l’identité médiatique du vainqueur des européennes.
Nelson Getten
07 Juill 2024, 5:48
Le 14 juin, BFMTV organise un plateau intitulé « Qui est vraiment Bardella ? ». Face à la présentatrice Julie Hammett, Pierre-Stéphane Fort, journaliste d'investigation et auteur du Grand Remplaçant - La face cachée de Jordan Bardella (Éd. StudioFact), dresse le portrait du plus proche conseiller du patron du Rassemblement national (RN), Pierre-Romain Thionnet. Sur des images datant de 2019 et diffusées à l'antenne, on voit l'ancien président de la Cocarde étudiante, syndicat ancré à droite, mener une bagarre entre jeunes. En direct, Pierre-Stéphane Fort commente : « C'est lui qui mène ses troupes à l'assaut des étudiants de gauche à Nanterre [...]. C'est quelqu'un pour qui, manifestement, la violence est un outil en politique. »
À ce moment-là, Pierre-Romain Thionnet est dans le couloir, il doit entrer en plateau quelques minutes plus tard, ayant refusé d'y être en même temps que Pierre-Stéphane Fort. Il ne viendra finalement jamais, excédé par la séquence qu'il vient de voir et arguant qu'on lui a tendu « un piège ». À l'antenne, Julie Hammett, elle-même surprise, interroge Philippe Ballard, député RN de l'Oise, sur cette défection de dernière minute. « C'est un tribunal ? Une convocation ? s'emporte Ballard. Moi, on m'appelle, je réponds, je viens... » Contrairement à Pierre-Romain Thionnet qui, lui, répond rarement aux journalistes. Il est le plus proche conseiller de l'ombre de Jordan Bardella, certains le considèrent comme le « cerveau », l'idéologue.
Dévoués nuit et jour au chef
Rat de bibliothèque dans sa jeunesse, Thionnet est un admirateur d'Alain de Benoist, théoricien de la nouvelle droite, un courant de pensée politique d'extrême droite identitaire de la fin des années 1970. Selon cette théorie, l'Europe est un continent de race blanche, elle doit le rester, et pour y parvenir, c'est un combat culturel qu'il faut mener et gagner. Parmi les autres inspirateurs de l'ancien assistant parlementaire de Bardella à Bruxelles, on trouve Renaud Camus, théoricien du grand remplacement.
Autour de Thionnet et de Bardella, un groupe de six personnes, cinq hommes et une femme, dévoués nuit et jour au chef. Ils devraient, selon toute vraisemblance, suivre Jordan Bardella s'il entrait à Matignon. Certains ont été proches des milieux identitaires au début de leur militantisme. Aujourd'hui, on les appelle « le commando ». De cette petite cellule, rien ne fuite, rien ne sort ou presque. Un interlocuteur de La Tribune Dimanche a croisé l'un de ces « soldats » il y a quelques jours : « On a parlé rugby, c'est tout. De toute façon, aucun des proches de Bardella ne parle de Bardella. Sauf Bardella lui-même. »
Il devance la voiture du patron
S'ils se connaissent tous pour la plupart depuis longtemps, ce qui frappe d'abord, c'est leur âge. Seuls deux d'entre eux ont plus de 30 ans. Arthur Perrier est le chef de cabinet, le maître des horloges. C'est lui qui gère tous les déplacements et l'agenda du patron. Il a 23 ans. Victor Chabert est le communicant, l'attaché de presse. Ancien journaliste d'Europe 1, c'est lui qui accompagne Jordan Bardella dans les studios et s'occupe la stratégie de communication. Souvent, il devance la voiture du patron du RN avec son scooter pour arriver avant lui aux sièges des chaînes de télé. Il a 27 ans. Alexandre Loubet est le directeur des campagnes, européennes et législatives. Ancien proche de Nicolas Dupont-Aignan, il a dû gérer, en parallèle, sa propre campagne puisqu'il a été réélu au premier tour député de Moselle.
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Jordan Bardella, c'est un produit. Grattez pas : y a rien derrière, vous allez être déçu
Au RN, on raconte que Bardella voit « du monde ». Parmi eux, Pierre-Édouard Stérin. Le milliardaire proche de Marine Le Pen a reconnu avoir déjeuné avec lui il y a quelques mois. Il y a aussi Thierry Coste, lobbyiste de la chasse et du monde rural qui, après avoir roulé pour Emmanuel Macron, a retourné sa Barbour vendredi dernier en annonçant soutenir Bardella, « le banlieusard qui assume défendre les valeurs rurales », écrit-il dans un communiqué. « C'est encore compliqué de s'afficher aux côtés de Bardella, mais les interlocuteurs sont-là, croyez-moi », explique Thierry Mariani, député européen qui croit en ce « jeune loup » depuis des années.
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Ancien conseiller de Marine Le Pen, il dit avoir rencontré Bardella à plusieurs reprises en tête à tête, notamment au restaurant Le Cardinal, près du siège du parti dans le 16e arrondissement de Paris, où le patron du RN a ses habitudes. « Il est très à l'écoute, je l'ai trouvé brillant. Mais je n'ai jamais vraiment réussi à savoir s'il mimait la brillance. » Après ces entrevues, il lui envoie des notes, Bardella finira par ne plus répondre, Stéphan ne fera pas partie du commando.
La bête médiatique rame
Mercredi dernier, trois longues interviews étaient à son agenda : France Bleu à midi, le 20 Heures de France 2 et une émission spéciale sur BFMTV dans laquelle il est poussé dans ses retranchements face aux révélations sur certains candidats très problématiques. La bête médiatique rame pour éteindre l'incendie provoqué par les « brebis galeuses » mais peu importe, le résultat est là : des éléments de langage et des extraits découpés pour être publiés sur les réseaux sociaux. « À la télé, Jordan Bardella coupe rarement la parole pour ne pas se la faire couper, cela permet d'avoir des extraits beaucoup plus fluides et beaucoup plus percutants à publier sur les réseaux », analyse, admiratif, Stanislas Rigault, président de Génération Z, qui a participé activement à la campagne d'Éric Zemmour en 2022. « Mais si vous lui demandez quel temps il fait, il vous répondra que l'insécurité est galopante dans la France de Macron », reprend-il, plus bravache.
Parfois, les ficelles de communication sont grosses : dans l'une de ses vidéos TikTok de la semaine, dans une loge d'une émission de télé, le prétendant à Matignon demande une pomme. Quelques instants plus tard, on le voit le fruit en main déclarer : « J'aime les pommes », dans une imitation de Jacques Chirac qui ne devrait pas mettre Laurent Gerra à la retraite. « Là, c'était chiraquien », reprend l'un de ses conseillers comme pour s'assurer que la référence avait été comprise par chacune des 5 millions de vues. En cette semaine d'entre-deux-tours, des dizaines de vidéos et d'interviews, mais aucun déplacement ni meeting pour soutenir les candidats. Croisé au bas de l'immeuble de France Télévisions enfourchant son scooter, Victor Chabert, le responsable com, explique mollement qu'« il y a trop de médias quand ils se déplacent, [que] c'est plus pratique quand Jordan Bardella fait plusieurs plateaux ».
Beaucoup plus à l'aise financièrement
De l'autre côté de la rue, deux retraités et leur fils sont venus tenter d'apercevoir à la sortie du studio de France 2 celui qu'ils espèrent voir à Matignon. « Ce qu'on connaît de lui ? On sait qu'il a grandi dans une cité de Seine-Saint-Denis, dans une HLM, avec sa maman ; c'est pour ça qu'il connaît aussi bien les problèmes liés à l'islam et à l'insécurité », explique Marie, la soixantaine, qui rêverait de l'avoir comme gendre. C'est effectivement ce que raconte Jordan Bardella.
Ce qu'il ne dit pas, c'est qu'il a été dans une école privée catholique, que la cité dans laquelle il a grandi était loin d'être un coupe-gorge et que son père, divorcé de sa mère, était, lui, beaucoup plus à l'aise financièrement. Depuis des années, il vit à Garches, banlieue cossue des Hautsde-Seine, où il se fait particulièrement discret. Au printemps dernier, l'ex-tête de liste aux élections européennes devait sortir un livre autobiographique, le projet a été avorté ou reporté. À la rentrée, il participera avec ses parents à l'émission Une ambition intime de Karine Le Marchand. L'occasion de continuer d'étoffer une histoire qu'il veut être le seul à raconter.
https://www.latribune.fr/economie/franc ... 01685.html