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A Mouans-Sartoux, dans les Alpes-Maritimes, le café de l’établissement pour personnes âgées André-Louis-Bienvenu est devenu un bar - sans alcool. Les résidents s’y pressent.
«Une bière s’il vous plaît !» Marie-Claire Ricaud est la première cliente du bistrot Le Bienvenu aujourd’hui. Elle se retrouve aussitôt attablée devant son demi et une amie. Derrière elle, le faux marbre habille le comptoir, les carreaux vichy s’étalent sur la nappe et les bouchons de liège s’entassent dans un vase. Le Bienvenu est un troquet comme tous les troquets de France. Sauf son adresse : Ehpad André-Louis-Bienvenu, à Mouans-Sartoux (Alpes-Maritimes). Marie-Claire Ricaud est une résidente. Sa prochaine commande est une crêpe.
Marie-Claire Ricaud n’a pas attendu son entrée en maison de retraite pour découvrir les joies des bars. Longtemps, elle a été cliente de l’établissement cannois le Roxy. Sa boisson préférée était le whisky. Aujourd’hui, elle ne sait plus si elle a «40 ans» ou «un millier d’années». Son nom est scotché sur ses lunettes en cas de perte. Mais Marie-Claire Ricaud n’oublie pas qu’elle se «sent décontractée» au bar de l’Ehpad. Elle fait «plein de rencontres» et les gens sont «gentils». Certes, le Bienvenu est «différent» du Roxy. Le bar de l’Ehpad est ouvert le mercredi et le samedi après-midi. Toutes les consos sont à 1 euro. Ici, on ne sert pas de whisky et la bière est sans alcool. «Une histoire de licence [et] d’antécédents médicaux, d’addictions», pointe la psychologue de l’Ehpad, Florence Rivière. Un verre de vin rouge est déjà servi à table midi et soir. «Un Ricard sinon rien !» s’amuse un résident.
«Outil merveilleux»
L’enseigne bleue du Bienvenu s’est allumée pour la première fois en décembre 2023. Ce petit coin à la déco d’antan existait déjà, avec des moulures en bois et un comptoir étroit. On avait posé une télé rétro et on jouait aux dominos. Mais c’était «un leurre, une illusion», relève la psy. L’endroit n’était «pas investi», sans vie. C’est après une formation Montessori que la prise de conscience naît : ce bar est «un outil merveilleux» qu’il faut «faire revivre» : «Les résidents retrouvent des moments vécus au bistrot. On sent une chaleur humaine. Il y a énormément d’échanges, de convivialité, expose l’animatrice, Nathalie Mestre. C’est un soin, une thérapie non médicamenteuse.»
André-Louis-Bienvenu est un Ehpad associatif, privé non lucratif. Des bénévoles font le service. Une crêpe au sucre fume pour M. Picard. Mme Dufour a découvert le Nutella, devenu sa garniture préférée. Le doux parfum des crêpes se répand dans le hall. «Le bistrot apporte l’odeur, le goût, la gourmandise. Les gens sont attirés par cet effet sensoriel, pointe la psy. C’est l’extérieur qui s’invite à l’intérieur.» Le Bienvenu est ouvert aux résidents, aux soignants, aux familles et à tous les visiteurs. «On veut faire franchir les portes de l’Ehpad pour dédramatiser. Notre principe, c’est d’enlever cette image d’un lieu où c’est le Covid, un lieu mouroir, un lieu où rien ne se passe, formule la directrice, Véronique Poilleux. L’Ehpad c’est un lieu de vie intergénérationnel, ouvert sur l’extérieur.» Deux arrière-petites-filles d’une résidente commandent. Même en hiver, on peut manger des glaces.
«Moins d’angoisse»
Au Bienvenu, c’est la vie qui continue. Marie-Françoise et René Ducasse fêtent leur 47e anniversaire de mariage autour d’une crêpe à la crème de marrons. «C’est comme si on était dans un bistrot ailleurs», dit Marie-Françoise qui rend visite à son mari. Le Bienvenu rappelle à Antoinette Lachery, 98 ans, le bistrot que tenait sa mère dans le Pas-de-Calais, avec billard et flipper. Dany Collard, 88 ans, multiplie les allers-retours pour servir ses voisins. Toutes les tables sont occupées : elle pose les boissons sur son déambulateur. A 92 et 81 ans, Raymonde Heinrich et Jean-Claude Choulet forment un jeune couple. Ils se serrent sur le canapé rouge. Raymonde Heinrich roule au café et au panaché : «Avant, il n’y avait rien, juste de la musique. On s’asseyait, on papotait un peu et on attendait le goûter à 16 heures. Là c’est merveilleux, on a tout le temps quelque chose à raconter. Je me sens bien.» La platine vinyle est cassée. Le bar ne se transformera pas en bal.
La nuit est tombée. Marie-Claire Ricaud est assise à la même table devant le même verre. Le niveau de sa bière descend doucement, comme un lent sablier. Elle savoure ce moment. Elle est arrivée de l’hôpital sans parler, sans marcher. Des capacités qu’elle a retrouvées. «C’est une renaissance. Elle est méconnaissable, remarque Florence Rivière, la psychologue. Elle a moins d’angoisse. Elle est même un soutien pour les autres.»
Dany Collard est de retour avec son poste stéréo et un CD de Cat Stevens. «Ça sent le café ici !» Elle murmure un bruit qui monte dans la maison de retraite : Le Bienvenu pourrait s’agrandir. Il suffirait d’abattre la cloison du fond pour empiéter sur «le cabinet du toubib». L’animatrice Nathalie Mestre a toqué sur le mur : il n’est pas porteur.
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